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nom d'airs variés, a été fort bien exécuté par MM. Dorus et Brunot. La marche religieuse de l'opéra d'Olympie, de Spontini, a précédé la Symphonie pastorale de Beethoven, dont l'exécution n'a pas été, cette année, aussi irréprochable que les années précédentes. La séance s'est terminée par la deuxième partie de la Création, d'Haydn, dont la fugue qui sert de conclusion a quelque peu vieilli.

Le second concert, qui a été donné le 22 janvier, se composait de la symphonie en si bémol, de Beethoven, qui est la quatrième dans l'ordre de succession, et qui remonte à l'année 1806. Pourquoi donc le programme de la Société des concerts est-il si laconique dans ses indications et dédaigne-t-il de nous éclairer sur une foule de particularités historiques qui ne sont point un luxe inutile pour apprécier une œuvre musicale? Après un charmant chœur d'Idoménée, de Mozart, qui a été chanté un peu trop lentement, est venu un air de danse d'Iphigénie en Aulide, de Gluck, fort original et plein de caractère. Un trio d'une Armida fort inconnue d'Haydn a été ensuite médiocrement chanté par Mile Chambard, MM. Boulo et Bonheur. Ici encore on pouvait désirer que le programme de la Société des concerts fût plus explicite, car l'opéra d'Armida n'est qu'une curiosité dans l'œuvre immense du père de la symphonie. Le public, même éclairé, ne connaît guère que l'Armide de Gluck et tout au plus celle de Lulli. Ce deuxième concert s'est terminé par le Songe d'une Nuit d'été, de Mendelssohn, composition ingénieuse, remplie de charmans détails, et dont l'allegro appassionato et le scherzo sont les parties saillantes.

La société de Sainte-Cécile, fille aînée et très légitime de la Société des concerts, marche hardiment sur ses traces et augmente tous les ans le nombre de ses auditeurs. Dans le concert qu'elle a donné le 11 décembre, on a entendu une ouverture de M. Th. Gouvy, qui renferme plusieurs parties intéressantes. D'un cadre un peu trop ambitieux pour une préface qui doit présenter le tableau concis d'une action dramatique, la composition de M. Gouvy débute avec un peu trop de pompe et semble promettre plus qu'elle ne tient. Malgré les détails piquans qui développent le thème présenté et malgré la vigueur de la péroraison, on trouve que c'est moins là une ouverture proprement dite que le fragment d'une symphonie.

La Fuite en Égypte, fragment d'un mystère dans le style ancien, de la composition de M. Berlioz, remplissait le second numéro du programme. Ce morceau, où M. Berlioz a voulu prouver évidemment qu'il n'y avait rien de plus facile que de faire de la musique comme l'admiraient nos pères, prouve exactement le contraire. Ce pastiche, où l'on remarque des lambeaux de la Passion de Sébastien Bach, entremêlés de quelques ressouvenirs de Haendel et même de Beethoven, est un échantillon de la manière de M. Berlioz, qui, lorsque le bon Dieu lui envoie par hasard une idée, l'étouffe dans ses mains. L'ouverture de ce mystère est un assemblage de petites imitations qui visent à la naïveté, comme ces peintures monochromes où l'on essaie de nos jours à imiter la naïveté de Giotto et de Cimabuë. Le second épisode, intitulé les Adieux des Bergers, est mieux réussi; mais nous lui préférons le troisième épisode, le Repos de la Sainte Famille, composé d'un air de ténor dont la cadence finale est répercutée par un chœur d'anges invisibles, qui exhalent dans l'espace

un hosanna glorieux. Ce morceau est d'un très bon sentiment, et, quoiqu'il ne soit pas bien original, si M. Berlioz en composait souvent dans ce style, il verrait que nous n'avons de parti pris que celui de la vérité et de la pureté de l'art. Un morceau de musique instrumentale de M. George Mathias, qui n'est pas sans mérite, une scène de M. Gounod, intitulée Pierre l'Ermite, ont précédé l'exécution d'une symphonie nouvelle qui a été l'événement du concert.

Cette symphonie, qui s'est produite avec un peu trop de mise en scène, est la première œuvre d'un jeune homme de vingt ans, M. Saint-Saëns, connu depuis longtemps dans le monde musical et dans les concerts pour un pianiste de bonne école. Le premier morceau n'a pas une grande signification; le thème manque de relief et de caractère. Le second épisode ou scherzo est infiniment supérieur aussi bien par l'idée mélodique que par les déductions qu'en tire le jeune maestro. L'andante qui suit est au contraire tout à fait remarquable, il annonce une imagination heureusement douée et des connaissances solides dans la partie matérielle de l'art. Le finale nous a paru faiblement conçu, et le thème trop fragile pour supporter ce double orchestre d'instrumens de cuivre dont l'a surchargé M. Saint-Saëns. Ce double orchestre, assure-t-on, était imposé au compositeur par un programme officiel dont il fallait remplir les conditions. Quoi qu'il en soit de cette explication, notre critique conserve sa valeur. En rendant justice à ce début remarquable de M. Saint-Saëns, il n'est pas inutile d'ajouter que trois ou quatre morceaux de musique instrumentale qui se succèdent sans autre lien que l'ordre numérique ne constituent pas plus une symphonie que trois ou quatre épisodes détachés ne forment un poème. C'est par l'unité de conception qu'on reconnait une œuvre sortie, comme Minerve, tout armée des entrailles du poète ou du musicien, et cette unité est si rare, si difficile à obtenir, que Mendelssohn lui-même ne la trouve pas toujours. C'est par ce défaut de cohésion que l'œuvre de ce maître laisse souvent à désirer.

Le premier et le deuxième concert de la société de Sainte-Cécile ont eu lieu le 15 et le 29 janvier. Dans le premier, on a exécuté l'admirable scène de l'Idoménée de Mozart, composée d'un récitatif, d'un chœur, d'une marche et d'un air de ténor, qu'on peut mettre au-dessus des plus grandes pages de musique dramatique qui existent. L'ouverture de Mélusine de Mendelssohn et la quatrième ouverture de Léonore de Beethoven ont complété le programme de cette belle fête. Le deuxième concert a été rempli par l'ouverture d'Eurianthe de Weber, par une charmante sérénade pour instrumens à cordes de M. Gouvy, par le joli finale d'Eurianthe et la symphonie en la de Beethoven, qui a été exécutée avec un ensemble et une verve dignes d'éloge. Quand la société de Sainte-Cécile, que M. Seghers a fondée et qu'il dirige avec tant de zèle et d'ardeur, n'aurait servi qu'à mettre en évidence M. Th. Gouvy et M. Saint-Saëns, elle aurait bien mérité des amis de l'art et de la bienveillance de l'autorité. MM. Maurin et Chevillard continuent cette année leurs séances de musique instrumentale qui ont eu tant de succès les années précédentes. Secondés par une pianiste distinguée, Mme Mattmann, ils ont donné leur première séance le 13 janvier dans la salle Pleyel, où ils ont exécuté un trio en ut mineur de Mendelssohn, d'un mérite très inégal, le quatuor en re de Mo

zart, la sonate en mi mineur pour piano et violoncelle de Beethoven, et le grand quatuor en la mineur du même auteur, qui est le quinzième parmi les dix-huit quatuors pour instrumens à cordes qu'on doit à ce prodigieux génie. Nous l'avons déjà dit, les derniers quatuors de Beethoven sont des compositions colossales, que nous n'acceptons pas sans réserve et sans protester au nom de la raison humaine contre les caprices et les allures de ce génie audacieux. Cependant la preuve que les choses vraiment belles sont immédiatement comprises, c'est l'admirable andante religioso de ce quinzième quatuor, qui excite toujours des transports d'enthousiasme. Dans la seconde séance, qui a été donnée le 27 janvier, après un quatuor de Weber pour piano, violons et violoncelle, après le neuvième quatuor en ut de Beethoven, Mme Mattmann a exécuté sur le piano l'adagio et le finale de la sonate vingt-deuxième, qui occupe le rang de cinquante-septième dans l'œuvre entière du maître. Cette sonate prodigieuse, qui exige autant de mécanisme que d'inspiration pour être bien rendue, Me Mattmann l'a interprétée avec une force, une fougue et une profondeur de sentiment qui l'ont élevée au premier rang des virtuoses. - Un biographe de Beethoven, Ries, raconte que, se promenant un jour à la campagne avec son ami et son maître, celui-ci ne disait mot et murmurait tout bas en lui-même un motif qui le préoccupait. Quand ils arrivèrent à la maison, Beethoven se mit au piano, et le chapeau sur la tête, il trouva sous ses doigts. l'admirable finale de cette vingtdeuxième sonate que Mme Mattmann a exécutée dans la perfection. P. SCUDO.

REVUE DRAMATIQUE.

Si nous avions besoin d'un nouvel indice pour prouver que le mouvement et la vie du théâtre ne se rencontrent pas précisément à la Comédie-Française, nous le trouverions dans le contraste de la parfaite indifférence qui a accueilli le petit acte de Romulus avec la curiosité presque passionnée qu'avait soulevée le drame de Louise de Nanteuil : non pas, à Dieu ne plaise, que ce drame nous ait paru justifier ces empressemens et ce bruit! Il marque au contraire un pas de plus et comme une nouvelle récidive dans ce désastreux abus qui livre, depuis quelque temps, la scène à des mœurs tarées, à des personnages équivoques; mais enfin, grâce à l'importance de l'œuvre, au nom de l'auteur, à la hardiesse du sujet, il y avait là, sinon la certitude d'un succès, au moins l'espérance de quelque chose de paradoxal, de piquant et d'imprévu. Que dire de Romulus, cette production chétive dont la destinée ressemble un peu à celle du héros de la pièce, enfant trouvé que l'on attribue tour à tour à trois ou quatre paternités différentes, sans que le public s'inquiète beaucoup de savoir quel en est le véritable père? Parmi les spectacles lamentables ou grotesques que nous donne en ce moment certaine littérature, nous en connaissons peu de plus significatifs que cette traduction libre du parturiunt montes. Il y a des situations extrêmes où l'on ne peut se sauver du ridicule que par un chef-d'œuvre. Lorsque l'on s'est posé comme une manière de Bonaparte

littéraire, revenant d'une campagne d'Égypte pour proclamer sa dictature. en faisant sauter les critiques par les fenêtres, ne serait-ce pas le moment d'avoir du génie, de rassembler ses forces, de se révéler tout entier dans un de ces ouvrages qui ferment la bouche aux mauvais plaisans? Hamlet ou le Cid, Phèdre ou Wallenstein, ce n'était pas trop pour la circonstance. Hélas! que nous sommes loin de Shakspeare et de Corneille, de Racine et de Schiller! Un opuscule qui trouve moyen de paraître long en durant trois quarts d'heure, une légende imitée d'Auguste Lafontaine, le Paul de Kock sentimental du germanisme bourgeois, abandonnée par les auteurs primitifs, oubliée dans les cartons, retrouvée par hasard, remaniée par un comédien et tombant enfin, on ne sait comment, entre les mains de l'auteur nommé de la pièce pour être jouée devant une salle assoupie et à moitié vide, — la belle conclusion après tant de fanfares et de bruit! Le père officiel de Romulus annonçait par avance que son œuvre était très gaie, trop gaie peut-être; il semblait même craindre que cet excès ne lui nuisit auprès d'un public à qui Molière et Regnard ont appris à se méfier des gens qui le font rire. Nous avouons que, sous ce rapport du moins, ses craintes n'ont pas été réalisées. Les facéties un peu prolongées à propos d'Orion et de Leibnitz, les distractions un peu monotones du philosophe Wolf et de l'astronome Célestus, les alternatives de paternité, de séduction, d'enfant naturel, promenant l'imagination sur des idées fâcheuses, tout, jusqu'à la douleur de ce pauvre bourgmestre découvrant la faute de sa fille, a paru d'une hilarité douteuse, nous allions dire lugubre, parfaitement d'accord avec l'air de somnolente tristesse qui planait sur l'auditoire. Une scène plus romanesque que comique, où l'on a cru reconnaître une main fine et délicate qui n'est pas celle de l'auteur nommé, a scule sauvé la pièce des conséquences probables de cette gaieté exagérée. Il faut s'y résigner, Romulus n'est pas drôle, ou plutôt il y a quelque chose ou quelqu'un de très bouffon dans tout cela, mais ce n'est pas Romulus.

Nous serons plus sérieux en parlant de Louise de Nanteuil, qui soulève, selon nous, quelques réflexions applicables à la fois à l'état actuel du théâtre et aux allures de la critique. A chaque nouvel ouvrage de M. Léon Gozlan, on dirait que ses juges se donnent le mot, d'abord pour l'abuser sur son succès, ensuite pour le maintenir dans une voie déplorable, en exaltant son aptitude à faire réussir les données paradoxales et à se tirer des situations impossibles. Cette espèce de complot à l'amiable a le double inconvénient de discréditer la critique, dont les jugemens peuvent ainsi se pressentir et se formuler d'avance, et d'égarer de plus en plus un honorable écrivain qui a souvent donné des preuves d'un talent vraiment original et d'une verve de bon aloi. Il semble qu'on prenne plaisir à le piquer au jeu, à l'intéresser dans une gageure contre la vraisemblance, le naturel et le bon sens, de façon à ce que chacune de ses pièces renchérisse sur la pièce précédente. Si c'est là le but qu'on se propose, Louise de Nanteuil parait l'avoir atteint, et mème un peu dépassé. Cette œuvre étrange n'est que trop fidèle à la loi de progression que les vrais amis de M. Gozlan ont le chagrin de constater dans son répertoire dramatique : elle ressemble en effet à une gageure; reste à savoir si l'auteur l'a gagnée.

Trois personnages se disputent, nous ne dirons pas l'intérêt, mais la répulsion du spectateur. Louise de Nanteuil est une jeune fille noble et pauvre, que sa mère, en mourant, a laissée complètement sans ressources après lui avoir donné une éducation brillante, et avoir gaspillé dans les agitations d'une vie mondaine les derniers restes de sa fortune. On a soin de nous dire que Louise a été élevée à Saint-Denis et sa mère à Écouen. Ajoutez-y quelques années passées à Florence et à Naples, dans la société la plus dissipée de toute l'aristocratie européenne, et vous vous demanderez sans doute comment, avec de pareils précédens, Louise de Nanteuil est assez naïve, assez innocente pour permettre à un jeune et bel Anglais, Henri de Somerville, de la loger dans un charmant hôtel, au milieu de volières et de fleurs rares, pour accepter de lui, chaque matin, toutes les primeurs du luxe le plus raffiné, de l'élégance la plus dispendieuse, et pour s'étonner de bonne foi que le monde qualifie d'un nom brutal la situation que lui fait cette amitié, plus prodigue et aussi compromettante que l'amour. Voilà pourtant ce que l'auteur veut nous faire croire, sauf à en douter lui-même. Le personnage de Henri de Somerville n'est pas beaucoup plus logique que celui de Louise : on ne sait pas s'il l'aime comme un amant ou comme un frère. Rien d'abord, dans sa conduite, ne prouve qu'il soit auprès d'elle un bienfaiteur intéressé. Pourtant, lorsque son père vient le conjurer, au nom de son vieil honneur britannique, de faire cesser ce scandale et d'épouser sa cousine Élisa, Henri résiste, et pour qu'il obéisse, il faut qu'il entende la plus monstrueuse menace qui soit jamais sortie d'une bouche paternelle : il faut que ce duc, qui nous est représenté comme un type des traditions et des vertus de famille, annonce à son fils qu'il va se venger de sa résistance par le suicide. En ce moment même, et c'est la meilleure scène de l'ouvrage, — Louise parait, apportant à Henri, pour le jour de sa fête, un portrait de Mme de Somerville, sa mère, la femme du duc, que celui-ci pleure avec une persévérance de désespoir qui le mine et parfois le frappe de vertige. Le duc, en voyant cette précieuse peinture offerte à son fils par la femme qu'il croit sa maitresse, est attendri, ému, désarmé, et il pardonne à tous deux; il finit même par les bénir, à la condition que Louise, richement dotée, se mariera, que Henri se séparera d'elle pour épouser sa cousine, et ne remettra le pied à Paris que quand Louise sera mariée. Telle est la première partie du drame. Nous ne sommes qu'à la fin du second acte, et déjà tous les sentimens qui méritent le respect sont, non pas attaqués, mais, ce qui est bien pire, falsifiés et frelatés. L'innocence, la candeur d'une jeune fille nous est montrée dans une position suspecte, flétrissante, s'appuyant d'un côté sur le souvenir d'une mère plus que mondaine, de l'autre sur les bienfaits déshonorans d'un jeune débauché. La dignité paternelle, l'esprit de famille, les saintes images du foyer domestique, aboutissent à une menace de suicide. Enfin ces deux affections pures et sacrées, la tendresse d'un époux pour sa femme, celle d'un fils pour sa mère, sont forcées, pour ainsi dire, de respirer le même air qu'une liaison coupable d'intention, sinon de fait. Elles acceptent pour intermédiaire, pour interprète, pour consolatrice, une femme que le père méprise et que le fils ne peut pas estimer.

La seconde partie de Louise de Nanteuil tient toutes les promesses de la

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