sentira que, malgré tant de circonstances contraires, notre école est encore sans rivale, et que, sauf un petit nombre d'artistes italiens, les graveurs français représentent à peu près seuls l'art dans son acception sérieuse et complète. Chose étrange en effet! en Allemagne et en Angleterre, où les produits de la gravure n'ont pas cessé d'être accueillis avec faveur, on ne trouverait guère à opposer aux planches d'histoire éditées en France que des estampes d'une importance médiocre, des vignettes pour les missels ou des vignettes pour les keepsake, et, parmi les pièces de grand format, des scènes gravées au trait avec une précision aride, ou des sujets de chasse gravés à l'aqua-tinte dans un goût trop éloigné, en revanche, de l'aridité et même de la correction. Ici, au contraire, l'espèce de discrédit qui s'attache aux travaux du burin refroidit si peu le zèle des graveurs, qu'ils semblent s'exciter de notre indifférence et travailler à ressusciter le passé pour l'honneur même de l'art national, sans arrièrepensée personnelle. Un pareil désintéressement doit à la fin nous toucher. Que les graveurs persistent donc à démentir par le caractère de leurs œuvres les doctrines et l'habileté futiles auxquelles nous applaudissons aujourd'hui, mais que nous dédaignerons à bon droit demain. Le succès de l'Hémicycle, d'ailleurs si légitime, est aussi propre à encourager les vrais artistes qu'à ébranler la confiance de ceux qui se font de l'art un jeu ou une industrie, et la vie même de M. Henriquel-Dupont est un exemple dont chacun peut avoir à profiter. Elle nous montre un grand talent qui, après avoir donné sa mesure et établi nettement sa filiation, se compromet un jour dans des essais qui le dénaturalisent en partie, essais un peu confus, où le mélange des procédés matériels se complique de préoccupations d'un autre ordre; puis ce talent, en dépit des éloges accordés même à ses erreurs, condamne spontanément ces tentatives d'assimilation de la méthode étrangère; il revient, pour n'y plus renoncer, aux principes qui l'avaient inspiré d'abord, à cette sage et noble manière française, expression suprême de la raison dans l'art, et, de progrès en progrès, il arrive à produire non-seulement le Strafford, mais cette estampe de l'Hémicycle, qui est en même temps un des chefs-d'œuvre de la gravure moderne et le chef-d'œuvre du graveur. N'y a-t-il pas là un enseignement, et les travaux consécutifs de M. Henriquel-Dupont ne prouvent-ils pas une fois de plus que si, dans l'art du burin comme ailleurs, l'adresse ou le caprice peuvent rencontrer un succès éphémère, les succès durables n'appartiennent qu'au savoir, aux efforts patiens, et, -nous l'oublions trop, à la conscience? HENRI DELABORDE. LA BOUTEILLE A LA MER CONSEIL A UN JEUNE HOMME INCONNU. I. Courage, ô faible enfant, de qui ma solitude II. Écoutez : Quand un grave marin voit que le vent l'emporte III. Il voit les masses d'eau, les toise et les mesure, (1) Ce poème est détaché du volume inédit des poèmes philosophiques de M. Alfred de Vigny, dont la Revue des Deux Mondes a déjà publié successivement: la Maison du Berger, le Mont des Oliviers,· la Sauvage, la Flûte, la Mort du Loup. - -- Soumet son âme au poids de la matière impure A de certains momens l'âme est sans résistance; IV. Dans les heures du soir, le jeune capitaine V. Son sacrifice est fait; mais il faut que la terre VI. Il écrit : « Aujourd'hui, le courant nous entraîne, Ci-joint est mon journal, portant quelques études Des constellations des hautes latitudes. Qu'il aborde, si c'est la volonté de Dieu! »> VII. Puis immobile et froid, comme le cap des brumes Sombre comme ces rocs au front chargé d'écumes (1), (1) Les pics San-Diego, San-Ildefonso. TOME V. 39 VIII. Il tient dans une main cette vieille compagne, IX. On avait mis en panne, et c'était grande fête; Et répondit d'en haut par un hourrah soudain. X. Après le cri de tous, chacun rêve en silence. XI. Un autre y voit Paris, où sa fille penchée XII. O superstition des amours ineffables, Murmures de nos cœurs qui nous semblez des voix, Calculs de la science, ô décevantes fables! Pourquoi nous apparaître en un jour tant de fois? Pourquoi vers l'horizon nous tendre ainsi des piéges ? Espérances roulant comme roulent les neiges; XIII. Où sont-ils à présent? Où sont ces trois cents braves? XIV. Le capitaine encor jette un regard au pôle, XV. Il sourit en songeant que ce fragile verre Portera sa pensée et son nom jusqu'au port, Que d'une île inconnue il agrandit la terre, Qu'il marque un nouvel astre et le confie au sort, Que Dieu peut bien permettre à des eaux insensées De perdre des vaisseaux, mais non pas des pensées, Et qu'avec un flacon il a vaincu la mort. XVI. Tout est dit. A présent que Dieu lui soit en aide! N'a pas pour se guider une brise légère; Mais elle vient de l'arche et porte le rameau. XVII. Les courans l'emportaient, les glaçons la retiennent Et la couvrent des plis d'un épais manteau blanc. Les noirs chevaux de mer la heurtent, puis reviennent La flairer avec crainte, et passent en soufflant. |