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simulent un enlèvement de Sylvette par des spadassins en location; Percinet défend sa belle, et l'on consent à lui accorder sa main pour récompenser son grand cœur. Cependant, les deux pères vivent maintenant dans un seul jardin, et commencent à se brouiller. Percinet et Sylvette découvrent qu'ils ont été joués. Percinet s'enfuit pour chercher de réelles aventures; il revient désabusé, et tout finit par un bon

mariage. Le style de cette charmante petite pièce en fait tout le prix.

En 1895, M. E. Rostand donnait la Princesse lointaine, empruntée à une légende du moyen âge que nous avons rappelée plus haut (1). Ce sujet, M. Rostand l'a encadré de la façon la plus luxueuse, en des vers d'une splendeur tout orientale. En 1897, la Samaritaine, sujet tiré de l'Évangile, montrait le talent de M. Rostand sous une nouvelle face, plus simple et plus exquise. En décembre de la même année, le théâtre de la Porte Saint-Martin jouait pour la première fois Cyrano de Bergerac.

Si jamais le mot de foudroyant a pu se dire d'un succès de théâtre, c'est à

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Cyrano qu'il convient le mieux. Public et critique, tout le monde fut d'accord pour applaudir. Certains feuilletons montèrent au ton du dithyrambe. C'est que, d'abord, la pièce était d'une veine bien française. Par-dessus le naturalisme des trente dernières années, M. Rostand donnait la main à Victor Hugo, celui de Marion Delorme et de Ruy-Blas, au Corneille de Don Sanche d'Aragon, et aux burlesques du temps de Louis XIII. Puis Cyrano, pris en lui-même, était enfin le héros demandé par les romantiques, celui qui réunit le sublime et le grotesque. Ce héros, on avait cru le trouver dans Ruy-Blas; mais un laquais n'est pas, en soi, grotesque,

(1) Ct. p. 93.

ni l'amant transi de la reine d'Espagne, sublime. Au contraire, Cyrano est bien d'abord un burlesque et un grotesque. Il l'est, physiquement, plus que personne. Son nez «< qui d'un quart d'heure en tout lieu le précède », et qui le désigne aux quolibets, le voue fatalement, plus qu'un Don Quichotte ou un Falstaff, au ridicule. Burlesque, il l'est encore par son tour d'esprit et d'imagination; il est l'auteur du Voyage dans la lune; il appartient à ce groupe « Louis XIII » qui évoque le souvenir des estampes de Callot et des « truanderies » de Téniers. S'il n'était que cela, Cyrano ferait rire, puis fatiguerait: il irait rejoindre les Saint-Amant, les Faret, les Scarron. Mais il est quelque chose de plus. Dans ce grotesque, il y a un héroïque et romanesque martyr d'amour et un précieux raffiné. On riait d'abord, il touche maintenant. Plein d'une tendresse contenue, toujours prêt à se déclarer, toujours retenu par le sentiment de son ridicule, il sert les amours d'un bellâtre avec Roxane qu'il adore; il prête généreusement son esprit et son cœur à ce rival. Il n'avoue sa passion que mourant, quand il est sûr de ne plus entendre la réponse. Le public français se plut à se reconnaître en Cyrano. Brave, spirituel, éloquent, il est une synthèse de nos qualités nationales. Il incarne aussi nos plus séduisants défauts: son courage devient volontiers forfanterie; sa générosité, don-quichottisme; son éloquence, gasconnades. Enfin l'allure vive et la variété de l'action, l'habileté de l'intrigue, la moralité vibrante du sujet, l'incomparable intensité du style, tout contribue à faire de Cyrano une œuvre charmante et durable. En 1900, M. Rostand a donné l'Aiglon, qui réussit brillamment. C'est un tour de force d'avoir fait tenir en ces six actes toute l'histoire du jeune duc de Reichstadt. La poésie y prend un tour de plus en plus pittoresque. Tout y est concret. Tout symbole s'incarne en un être vivant. Toute idée devient visible en un objet bien choisi. Songez aux petits soldats de bois que Flambeau sort de ses poches, aux bibelots impériaux qu'il déballe devant les yeux émerveillés du duc; au petit chapeau, posé sur la table, hypnotisant dans l'ombre Metternich; à l'uniforme de grenadier que Flambeau cache sous sa livrée; à la vision du champ de bataille de Wagram, etc. Dans le livre, l'impression que donne l'Aiglon est un peu confuse; à la scène, on en sent la vie et la poésie. — Enfin, M. Rostand a fait représenter Chantecler, pièce fantaisiste et symbolique, qui ne semble pas avoir répondu à la longue impatience du public.

VII. LA COMÉDIE CONTEMPORAINE.

Rien de plus varié que notre théâtre, depuis les dernières années du dix-neuvième siècle. Après tant de manifestes, de préfaces, de tentatives hardies, le public, toujours plus nombreux, est aussi devenu plus éclectique. Il est d'avis, désormais, que tous les genres sont bons, même le genre ennuyeux; et pourvu que l'auteur ait du talent et les acteurs de la réputation, il accueille avec une sympathique curiosité, plus ou moins durable, tout ce qu'on veut bien lui sou

mettre. De là une production intense, où il est difficile d'établir des classements. Il faut se contenter de signaler les œuvres les plus remarquables :

M. DE PORTO-RICHE a donné: Amoureuse (1891), le Passé (1897), le Vieil Homme (1911); c'est un psychologue d'une finesse parfois exquise, parfois irritante, et comme un Marivaux réaliste.

M. PAUL HERVIEU est un disciple d'Ém. Augier et de Dumas fils ; il choisit des sujets où le sentiment, parfois la passion, est en lutte avec la loi; ses actions ont une sobriété énergique; son style est hautain, vigoureux, sans jamais devenir brutal. Ses meilleures pièces, plutôt tragédies que comédies, sont les Tenailles (1895), la Loi de l'Homme (1897), Connais-toi (1909).

JULES LEMAITRE traite avec pénétration et ironie des sujets de morale sociale et politique, et ses pièces révèlent aussi une parfaite connaissance du métier. Après Révoltée (1889), son œuvre de début, il obtint un succès retentissant avec le Député Leveau (1891) qui n'était pas seulement une piquante satire du boulangisme, mais aussi une étude durable des mœurs politiques modernes. Il donna ensuite le Pardon (1895), l'Aîné, (1898), la Massière (1905), etc., et chacune de ses pièces prouve la finesse de sa psychologie et le charme de son style (1).

Dans un genre plus limité, plus sévère, nous avons les pièces sociales de M. J. BRIEUX : Blanchette (1892), l'Évasion (1896), la Robe rouge (1900), les Remplaçantes (1901), le Berceau (1903), etc. M. Brieux ne craint pas d'aborder de front les problèmes les plus graves et les plus délicats, et de les traiter avec une loyauté un peu rude et souvent éloquente. Il cherche à dissiper les sophismes contemporains sur les bienfaits de l'instruction; il rappelle les magistrats à leur devoir professionnel, et flétrit les politiciens qui veulent influencer la justice; îl fait honte aux mères qui, pour élever leurs enfants, se donnent des remplaçantes; il signale les terribles équivoques du divorce par rapport à l'en

fant.

M. ÉMILE FABRE s'applique surtout à la question d'argent; la plus remarquable de ses pièces est intitulée les Ventres dorés (1905); elle est sombre et vigoureuse. Son succès fait honneur au goût et à la moralité du public.

M. FRANÇOIS DE CUREL est moins un auteur dramatique qu'un puissant moraliste et sociologue, donnant à ses études philosophiques le cadre du théâtre. Le Repas du lion (1897) pose le problème de la solidarité entre classes dirigeantes et ouvriers. La Nouvelle Idole (1899), est une magnifique étude de la conscience scientifique.

(1) Sur J. Lemaître, critique, cf. p. 809.

Nous mettrons à un rang secondaire M. Maurice Donnay, surtout spirituel, dans l'Autre Danger (1902), Paraître (1906); - M. Henri Lavedan, très habile à traiter des sujets un peu conventionnels, dans le Prince d'Aurec (1894), le Marquis de Priola (1902), le Duel (1905);- M. Alfred Capus, amusant optimiste, dans la Veine (1902), les Deux Écoles (1905), etc... ; M. Henri Bataille psychologue hardi, mais trop préoccupé d'étonner le public; - M. Henri Bernstein, très ingénieux constructeur d'intrigues à la fois simples et terribles.

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Beaucoup d'autres noms pourraient s'ajouter à ceux-là, le théâtre étant toujours en France le genre qui absorbe et qui déforme le plus de talents.

SCRIBE, Théâtre choisi, 5 vol., 1845.

E. LEGOUVÉ, Eugène Scribe, 1874.

BIBLIOGRAPHIE.

CH.-M. DES GRANGES, la Comédie et les Moeurs sous la Restauration et la monarchie de Juillet (1815-1848). Fontemoing, 1904.

H. PARIGOT, le Drame d'Alexandre Dumas. Lévy.

EMILE AUGIER, Théâtre complet. Lévy, 7 vol.

ALEX. DUMAS FILS, Théâtre complet. Lévy, 7 vol.

E. LABICHE, Théâtre complet. Lévy, 10 vol.

VICTORIEN SARDOU, Pièces séparées.

J. LEMAITRE, Théâtre complet, 3 vol. Lévy.

EM. FAGUET, Notes sur le théâtre. Lecène, 3 vol. (1880-83).

J. LEMAITRE, Impressions de théâtre. Lecène, 10 vol.
RENÉ DOUMIC, De Scribe à Ibsen. Perrin. 1 vol., Paris.
Perrin, 1 vol.

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- Essais sur le théâtre contemporain.

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1° DE 1800 à 1825, il faut signaler Atala (1801), René (1802), par CHATEAUBRIAND, Adolphe de B. CONSTANT (1816), et les romans de Mme DE STAEL (Delphine, 1802; Corinne, 1807). - XAVIER DE MAISTRE, CHARLES NODIER. 2o Dans le GENRE HISTORIQUE, sous l'influence de W. Scott: A. DE VIGNY donne Cinq-Mars (1826); VICTOR HUGO, Notre-Dame de Paris (1831) les Misérables (1862); A. DUMAS PERE, les Mousquetaires (1844) et d'interminables suites. Vers 1840, commence à se développer le roman-feuilleton (E. SUE, PONSON DU TERRAIL, etc.).

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3. Dans le GENRE RÉALISTE ET NATURALISTE STENDHAL publie en 1831 le Rouge et le Noir, en 1839 la Chartreuse de Parme. C'est un observateur aigu, au style sec. BALZAC (1799-1850) écrit une longue série de romans de mœurs, sous le titre général de Comédie humaine. Il est le plus fécond créateur de types dans notre littérature; il décrit les milieux et les individus. Ses chefs-d'œuvre sont Eugénie Grandet et le Père Goriot. MÉRIMÉE réussit dans la nouvelle. G. FLAUBERT est réaliste dans Madame Bovary (1857), romantique dans Salammbo (1862). A. DAUDET est un réaliste vibrant et poétique (Jack, 1876; le Nabab, 1879). ZOLA est un naturaliste romantique (l'Assommoir, 1877; Germinal, 1885). 4° LE ROMAN IDÉALISTE ET PSYCHOLOGIQUE. GEORGE SAND (1804-1876) donne d'abord des romans passionnels (Indiana, Valentine); puis des romans socialistes (le Meunier d'Angibault); enfin des romans champêtres (François

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