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ÉM. DE GIRARDIN (1802-1881) est, au contraire, le type du faiseur, du journaliste qui a « une idée par jour », et qui amuse le public et s'en amuse. Beaucoup plus que Carrel, il a fait école. Parmi ses idées, la plus féconde fut l'abaissement du prix des journaux, grâce aux annonces. Il fonda (en 1836) la Presse qui devint un des journaux les mieux informés et les plus littéraires (on y voit

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partis. Nous n'avons pas à apprécier ici son rôle politique. Comme pamphlétaire et comme écrivain, Veuillot a du génie. Son vocabulaire est à la fois très riche et très français; son style a une variété drue et vigoureuse qui dépasse la fine et sèche précision de Courier; il est aussi simple et aussi tendre dans sa Correspondance, qu'il est ardent et éloquent dans ses articles et dans ses livres (1).

(1) Morceaux choisis, 1" cycle, p. 573; 2 cycle, p. 1257

Le journalisme contemporain, qui a absorbé et gåché une foule de talents distingués, n'offre pas, en dehors de la critique dont nous parlons ailleurs, un nom égal à ceux que nous venons de citer.

BIBLIOGRAPHIE.

A. CHABRIER, les Orateurs politiques de la France, des origines à 1830. Hachette.

M. PELLISSON, les Orateurs politiques de la France, de 1830 à nos jours. Hachette.

Joseph Reinach, le Conciones français : l'éloquence française de la Révolution à nos j.... Delagrave.

V. GLACHANT, Benjamin Constant sous l'œil du guet. Plon, 1906.

Histoire de la littérature française (Julleville, Colin), t. VII, chap. x (par M. Henry Michel); t. VIII, chap. xI (par M. Henry Michel), et chap. x (par Léo Claretie).

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1° SCRIBE (1791-1861) donne 400 pièces, de 1810 à 1861: il commence par le vaudeville en un acte, puis compose des comédies en cinq actes. C'est un observateur spirituel des modes et des mœurs du jour, et surtout un habile constructeur d'intrigues. Il excelle à éviter le côté pénible de ses sujets. Ses meilleures pièces sont ses comédies historiques (Bertrand et Raton; le Verre d'eau). Autour de lui, entre 1830 et 1848, une foule d'auteurs traitent des sujets sérieux et hardis, et sont les précurseurs d'Augier et de Dumas fils.

2o ÉMILE AUGIER (1820-1889) s'établit le défenseur de la morale et de la famille. Il soutient des thèses bourgeoises dans Gabrielle, Ceinture dorée, les Lionnes pauvres, etc... Il introduit de la politique dans le Fils de Giboyer, et on sent l'influence de Dumas fils dans les Fourchambault. - Ses deux chefsd'œuvre sont : le Gendre de M. Poirier (1854) et Maître Guérin (1864). Style incisif et ferme; parfois trop d'esprit.

3. A. DUMAS FILS (1821-1895) soutient au théâtre des thèses généreuses mais paradoxales, en particulier sur le mariage et le divorce (les Idées de Mme Aubray, la Princesse Georges, la Femme de Claude, l'Étrangère, Denise...) Il fait de la scène une tribune, mais il est le fils de Dumas père et il a des qualités dramatiques de fond, sinon de forme; ses personnages raisonnent trop, et font des mots.

5° LABICHE excelle dans le vaudeville, où il met souvent une philosophie très pénétrante (le Voyage de M. Perrichon, 1860); - V. SARDOU est le meil leur disciple de Scribe; il réussit particulièrement dans la comédie historique, et s'élève au grand dans quelques drames (Patrie, 1869).- ED. PAILLERON donne

un piquant tableau de la société précieuse du dix-neuvième siècle (le Monde où l'on s'ennuie, 1881).

5. LE THÉATRE LIBRE (1887-1895) représente des pièces réalistes, et révèle quelques vigoureux tempéraments dramatiques (ANCEY, FABRE, CÉARD). — Une réaction se fait par le théâtre idéaliste et poétique de M. EDM. ROSTAND (Cyrano de Bergerac, 1897).

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A comédie, au dix-neuvième siècle, n'est plus, comme pendant la période classique, un genre déterminé, tout à fait distinct de la tragédie et du drame; eile admet tous les sujets, tous les caractères, toutes les conditions, tous les tons. On peut dire qu'elle ne se distingue du drame romantique que par le dénouement, non pas que celui-ci soit toujours chez elle heureux ou gai, mais parce qu'il ne comporte pas (en général) de mort violente. Le nom même de comédie a paru trop étroit à quelques auteurs de la fin du dix-neuvième siècle; ils ont fait des pièces, tout simplement. Cependant les genres et les espèces ne peuvent s'altérer ni se confondre entièrement. On voit subsister le vaudeville, la comédie de mœurs (en vers ou en prose), la comédie à thèse, la comédie historique, la comédie burlesque, la comédie rosse. Toutes les pièces dont nous allons parler, de Scribe à Sardou et à M. Rostand, peuvent se classer plus ou moins exactement sous l'une de ces étiquettes.

LETTRE ORNÉE

CONTEMPORAINE

I. SCRIBE (1791-1861).

De 1810 à 1861, Scribe a donné près de quatre cents pièces. Il a occupé les théâtres de Paris pendant cinquante ans, et il n'a disparu que lentement et graduellement du répertoire. Aucun écrivain français n'a été plus souvent traduit et représenté à l'étranger.

Il avait commencé par des insuccès. Mais il possédait un don inné du théâtre; et, en 1815, il se fait applaudir au Vaudeville avec Une Nuit de la garde nationale, suivie de charmantes et vives petites pièces, telles que le Solliciteur, l'Ours et le Pacha, etc. A l'ouverture du Gymnase (Théâtre de Madame) en 1820, il devint le fournisseur attitré d'une scène où l'on ne pouvait faire jouer que des pièces en un acte. De là, cette abondance de vaudevilles où le sujet est << ramassé » avec tant de précision et de sûreté : Le plus beau jour de la vie, la Demoiselle à marier, le Charlatanisme, la Manie des places, etc. Scribe n'eut

qu'à reprendre un peu plus tard le thème de quelques-uns de ses vaudevilles, pour faire de grandes comédies; mais la nécessité de resserrer son action et de croquer vivement ses personnages, lui avait formé la main. Cependant, il avait pénétré au Théatre-Français en 1822, avec Valérie; il y donnait, en 1827, le Mariage d'argent, puis Bertrand et Raton (1833), la Camaraderie (1837), la Calomnie (1840), le Verre d'eau (1840), Une Chaîne (1841), etc. Depuis 1823, Scribe écrivait avec un égal succès des livrets d'opéras et d'opéras-comiques : la Dame blanche (1825), la Muette de Portici (1828), Robert le Diable (1831),`la Juive (1835), les Huguenots (1836), etc.

Il ne faut pas demander à Scribe une profonde psychologie ni un style: il est préoccupé avant tout de nous attacher par une intrigue bien faite; il excelle à poser, à compliquer, à dénouer son sujet. On éprouve une véritable satisfaction à le suivre, et une certaine déception quand on l'a quitté. Car il choisit souvent des sujets hardis ou dangereux; mais alors, il joue la difficulté, il semble soutenir une gageure qui consiste à tourner autour du vrai sujet, à l'esquiver chaque fois qu'il est sur le point de s'y heurter, comme un équilibriste qui danse à travers des poignards: sous ce rapport, son chef-d'œuvre est Une Chaîne.

On aurait tort cependant de refuser à Scribe toute faculté d'observation et toute portée morale. Il nous a laissé dans ses vaudevilles une galerie de croquis exacts et piquants: le garde national, le vieux soldat de l'Empire, le fringant officier mondain de la Restauration, le journaliste faiseur, proto-type d'Émile de Girardin et de J. Janin, le négociant parvenu, le notaire, le petit employé... Tous ces bonshommes-là sont vivants; costumes, gestes, manies, langage, tout a été copié d'après nature. Et c'était un grand mérite de renouveler ainsi les personnages de la comédie de mœurs, et de les substituer aux imitations de Molière, de Regnard, de Dancourt et de Beaumarchais, dont Picard et Duval avaient usé encore. Scribe fait quelquefois mieux. Le Poligny du Mariage d'Argent est le type du jeune ambitieux tel que les mœurs nouvelles ont pu le former (1). Dans la Camaraderie (qui pourrait s'intituler les Arrivistes), on trouverait tous les types des Cabotins de Pailleron indiqués en traits beaucoup plus nets. Et, dans la Calomnie, les caractères de personnages politiques sont tracés avec esprit et avec justesse. Bertrand et Raton et le Verre d'eau sont des modèles de comédie historique, du genre à la fois superficiel et fin où s'est illustré Victorien Sardou. Dumas père lui-même, ce grand inventeur, ne fit en ce genre qu'imiter Scribe.

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Scribe cut de très nombreux collaborateurs, qui n'eurent jamais qu'à se louer de sa délicatesse et de sa loyauté. « J'ai fait douze ou quinze vaudevilles avec Scribe, disait Carmouche, et je puis vous affirmer que, dans toutes ces pièces, il n'y a pas un mot de moi. » On lui apportait en général de « grandes machines» plus ou moins mélodramatiques; il en extrayait quelques scènes, (1) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 1261.

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