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études... Il faut se réfugier dans la vie contemplative et savante, comme en un sanctuaire de repos et de purification... L'art et la science, longtemps séparés par suite des effets divergents de l'intelligence, doivent donc tendre à s'unir étroitement, si ce n'est à se confondre. L'un a été la révélation primitive de l'idéal contenu dans la nature extérieure; l'autre en a été l'étude raisonnée et l'exposition lumineuse.

Mais l'art a perdu cette spontanéité intuitive, ou plutôt il l'a épuisée ; c'est à la science de lui rappeler le sens de ses traditions oubliées, qu'il fera revivre dans les formes qui lui sont propres. »

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Ce programme antiromantique une fois exposé, il convient de distinguer, avec F. Brunetière, les trois inspirations de Leconte de Lisle: 1° l'antiquité, sous deux formes: gréco-païenne (Hypathie, la Vénus de Milo, Niobé, l'Enfance d'Héraklès, etc., et les Érinnyes, drame en trois actes, imité de l'Orestie d'Eschyle), et indoue ou bouddhique (Bhagavat, Surya, la Vision de Brama); - 2o l'exotisme: son goût de savant pour le bouddhisme se combine avec ses souvenirs de voyages, et lui inspire ses paysages éclatants (le Bernica, la Fontaine aux Lianes) et ses descriptions d'animaux (le Rêve du jaguar, les Éléphants, la Panthère noire, le Sommeil du condor); 3o le pessimisme qui procède en lui

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du positivisme scientifique, du paganisme et du bouddhisme. Dans les pièces comme Midi, Nox, le pessimisme de Leconte de Lisle se sépare franchement de celui de Vigny, en ce qu'il cherche une consolation ou un oubli dans la nature (0 mers, ó bois songeurs... Vous avez apaisé ma tristesse profonde). Dans l'admirable pièce intitulée Dies iræ, le poète chante l'anéantissement dans la mort, à laquelle il demande de nous rendre « le repos que la vie a troublé ».

Écrivain, Leconte de Lisle forge des vers robustes et sonores, un peu raides; sa langue sent l'effort, toujours heureux d'ailleurs, d'un artiste qui veut réaliser un certain degré de précision, de plasticité et d'éclat (1).

J.-M. DE HÉRÉDIA (1842-1905). Hérédia, né à Santiago de Cuba, élevé en France, resta fidèle au Parnasse. Il publia un à un, dans les revues, les sonnets dont le recueil, paru en 1893, porte pour titre : les Trophées. Jamais la formule fameuse de Boileau: Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème, n'avait paru si juste. Chacun de ces sonnets est un poème, en effet, d'une composition si serrée et si savante, qu'on ne se lasse point de les relire pour en pénétrer de plus en plus le sens, et d'un style à la fois si plein et si éclatant, d'un rythme si impératif, que c'est une joie pour l'œil et pour l'oreille. On cite particulièrement: Le Chevrier, Némée, La Trébbia, Soir de bataille, Antoine et Cléopâtre, Les Conquérants (2).

(1) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 1376. (2) Morceaux choisis; 2° cycle, p. 1379.

SULLY-PRUDHOMME (1839-1908).-C'est par l'étude des sciences que SullyPrudhomme se prépara à la poésie. De là, dans la notation de ses sensations ou dans sa psychologie générale, une précision singulière. Ame vibrante et que << d'innombrables liens frèles et douloureux » relient à l'univers entier, SullyPrudhomme exprime dans un style d'une transparence de cristal, sans recherche

PORTRAIT DE SULLY-PRUDHOMME

D'après une photographie de Dornac.

de couleur, sans déclamation, sans effectation d'aucun genre, les nuances les plus fines et les plus justes. Parnassien, juste le temps nécessaire pour apprendre à ond le métier, il croit avec raison que la poésie doit être intime et philosophique, et que « le monde extérieur » n'est intéressant qu'en tant qu'il sollicite notre pensée, à titre d'énigme sublime. Les Stances el Poèmes (1865-1866) contiennent, parmi les morceaux les plus remarquables: le Vase brisé, l'Habitude, toute l'exquise série intitulée Jeunes Filles.-Dans les Épreuves et les Solitudes (1866-1872): Première Solitude, la Voie laclée, la Lyre et les Doigts, le Missel, etc. Les Vaines Tendresses (1872) renferment peut-être les plus belles pièLe Zénith (1878) est un

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ces: Aux amis inconnus, la Coupe, l'Étoile au cœur, etc. court poème, consacré à la catastrophe du ballon de ce nom. - Plus tard SullyPrudhomme rédigca des poèmes philosophiques et symboliques, plus vastes, e' un peu froids comme la Justice (1878) et le Bonheur (1888). Enfin, il a donne plusieurs études philosophiques très distinguées : une Préface à sa traduction du premier livre de Lucrèce, une étude sur Pascal, et il a réuni sous le titre de Testament poétique (1901) un certain nombre de morceaux critiques dans lesquels on trouve une très intéressante discussion avec les symbolistes sur la nécessité d'un vers mesuré et rythmé (1).

(1) Morceaux choisis, 2 cycle. p 1381.

FRANÇOIS COPPÉE (1842-1908). - Poète des intimités, des humbles, des réalités un peu mesquines de la vie quotidienne, Coppée a su faire sortir un pénétrant et délicat parfum de toutes les choses banales; il a pensé que la poésie n'avait besoin ni de grands sujets ni de héros, mais que l'homme, par ce seul fait qu'il souffre, qu'il aime, qu'il espère, qu'il se résigne, est un foyer intense de vraie poésie. On peut discuter son système, car c'en est un c'est de parti pris que Coppée choisit un << petit épicier de Montrouge », de « petits bourgeois », un «< mécanicien de la ligne du Nord », etc., et qu'il les place dans un cadre vulgaire minutieusement étudié. Bien qu'il pousse, dans cette vulgarité, d'exquises fleurettes poétiques, il est permis de préférer, chez Coppée, les mélancolies charmantes de l'Arrière-Saison (1887), et la beauté philosophique et religieuse des Paroles sincères (1890). Beaucoup d'autres pièces de ses nombreux recucils prouvent qu'il était avant tout une âme d'une délicatesse un peu souffrante, héritier de Lamartine et de Musset, rival de Sully-Prudhomme, et qu'il s'était fait un genre un peu artificiel du naturalisme poétique. Nous avons parlé ailleurs de ses beaux drames en vers(1). Quant à certaines pièces séparées: la Lettre d'un mobile breton, la Veillée, la Bénédiction, il nous paraît qu'elles seront bientôt tout à fait démodées (2):

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L'histoire de l'art se compose d'une suite de réactions. Après le Romantisme, le Parnasse; après les Parnassiens, les Symbolistes. Ceux-ci accusent non sculement Th. Gautier, Leconte de Lisle, Hérédia, d'ètre trop matérialistes, et d'attacher à la forme un prix excessif; mais les Sully-Prudhomme et les Coppée leur paraissent également étouffer la pensée ou le sentiment sous la lourdeur et sous la précision du vers.

Pour PAUL VERLAINE (1844-1896), la poésie n'est plus qu'une musique, imprécise, aux rimes capricieuses, sans «< composition », sans « éloquence ». Verlaine était poète de race, et sa sensibilité maladive, qui va du cynisme inconscient à la plus suave religiosité mystique, lui a inspiré quelques morceaux admirables dans ses Poèmes saturniens, ses Romances sans paroles, et surtout dans Sagesse (3).

STÉPHANE MALLARMÉ (1842-1898), qui passe pour le chef et le théoricien du symbolisme, est plus difficile à comprendre. Poète d'un réel talent, il eut le tort de fuir la clarté et la précision; et si ses défauts mêmes ont du charme, les exagérations de ses disciples ont jeté le ridicule sur toute l'école. Ses morceaux les plus célèbres sont : l'Après-midi d'un Faune, les Fenêtres, l'Azur.

(1) Cf. p. 782.

(2) Morceaux choisis, p. 1384.

(3) Morceaux choisis, 2 cycle p. 1000.

BIBLIOGRAPHIE.

Les œuvres des poètes, indiquées à leur date dans ce chapitre. Nous recommandons tou' particulièrement la lecture de leurs Préfaces, où ils se sont définis eux-mêmes le plus souvent d'une manièré si heureuse, que la critique n'a fait que les démarquer.

F. BRUNETIÈRE, l'Evolution de la poésie lyrique au dix-neuvième siècle, Paris, 1895, où l'on trouvera, en tête de chaque chapitre, l'indication des principaux travaux consacrés aux différentes écoles.

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LE BOULEVARD DU TEMPLE

Cette lithographie, qui date de 1830 environ,

représente la suite ininterrompue que formaient sur le boulevard, les théâtres de Curtius, Bobêchc, le Cirque Franconi, la Gaîté, les Funambules, Madame Saqui et le Petit Lazari.

CHAPITRE V

LE DRAME ROMANTIQUE

SOMMAIRE

1 Le drame romantique est une combinaison du mélodrame et de la tragédie historique. La théorie en est exposée par V. Hugo dans la Préface de Cromwell (1827): abandon des unités, mélange des genres, union du sublime et du grotesque, versification plus libre.

2° VICTOR HUGO donne Cromwell (1827), Marion Delorme (1829), Hernani (1830), etc. Les Burgraves (1843) n'obtiennent qu'un demi-succès; V. Hugo renonce au théâtre. Ses drames sont assez faibles par l'action et par les caractères; ils se rachètent par la poésie.

3. DUMAS PÈRE fait jouer, en 1829, Henri III et sa cour, drame historique en prose. Puis il verse de plus en plus dans le mélodrame.

4 A. DE VIGNY imite Dumas dans la Maréchale d'Ancre (1831), mais est plus original dans Chatterton (1835), drame passionnel et pièce à thèse. Il a le premier donné une traduction intégrale d'Othello (1829).

5. A. DE MUSSET ne destinait pas à la scène ses Comédies et Proverbes, qui furent écrits sans souci des conventions théâtrales, mais qui se trouvèrent plus dramatiques, au vrai sens du mot, que les pièces de Hugo. Ces comédies offrent le plus piquant mélange de vérité et de fantaisie.

6. Une réaction classique se produit en 1842 avec la Lucrèce de Ponsard; mais elle dure peu, et Ponsard lui-même aboutit au drame historique (Charlotte Corday) et à la comédie bourgeoise (l'Honneur et l'argent).

7 Vers la fin du siècle, on revient au drame en vers, de forme romantique, avec les pièces de F. COPPÉE et de J. RICHEPIN.

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