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sujets, depuis l'astronomie jusqu'à la politique. Le « Voiture » de cette cour fut pendant longtemps Malézieu, qui avait été précepteur du duc du Maine et qui avait enseigné les mathématiques au duc de Bourgogne. Malézieu était homme de science et d'esprit, quelque chose comme un Fontenelle moins réservé, capable de faire une conférence d'astronomie ou de physique, de rimer une chanson, d'improviser un divertissement. Il fut de l'Académie des sciences et de l'Académie française. On recevait à Sceaux tous les gens de lettres : Voltaire jeune y parut; il y

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UNE TABLE DE JEU SOUS LA RÉGENCE
D'après une estampe de Sébastien Le Clerc (1637-1714).

reparaîtra plus tard, avec Mme du Châtelet; Fontenelle est un des habitués; les poètes Chaulieu et La Fare, La Motte, l'abbé Genest, célèbre par ses tragédies et par son nez à la Cyrano, l'abbé de Polignac, auteur de l'Anti-Lucrèce, etc... y fréquentèrent assidûment.

Un gros orage dispersa cette cour spirituelle et frivole. La conspiration de Cellamare amena l'arrestation de la duchesse, qui resta plus d'un an à la Bastille. Mais, à peine sortie de prison, la duchesse reprit son train de vie, et Sceaux redevint le rendez-vous des beaux esprits. Elle avait alors auprès d'elle, comme « femme de chambre », Mlle Delaunay (à qui elle fit épouser plus tard le baron de Staal, capitaine aux gardes suisses), et qui nous a laissé des Mémoires singulièrement piquants en leur élégante simplicité. Mlle Delaunay, si elle avait eu le cœur moins noble, aurait pu jouer auprès de la duchesse du Maine le rôle de Mlle de Lespinasse auprès de Mme du Deffand, et se former un salon à côté; car on venait beaucoup à Sceaux, pour elle; et son intelligence claire, son cœur

droit, sa finesse de conversation, séduisaient bien davantage que l'agitation stérile de sa maîtresse. Mais elle se contenta de rester à son rang et d'écrire ses Mémoires, qu'il faut avoir lus (1).

LA MARQUISE DE LAMBERT (1647-1733). de Lambert ouvrit son salon, qui devint surtout

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C'est vers 1690 que Mme littéraire de 1710 à 1733. La réunion y était moins mêlée et plus sérieuse qu'à la Cour de Sceaux; mais Mme de Lambert, comme plus tard Mme Geoffrin, établissait des catégories. Le mercredi était réservé aux « gens de qualité »; le mardi, aux gens de lettres. Les deux sociétés finirent par se mêler plus ou moins. Chez elle, pas de divertissements frivoles; on cause et on lit. La préciosité y renaît, et avec elle une certaine décence de langage et une délicatesse de propos qui étaient la réaction nécessaire contre la liberté ou le libertinage de la Régence. D'autre part, son salon est moderne; les anciens y sont raillés finement sans doute, mais on s'oriente franchement vers une littérature nouvelle. La Motte, Fontenelle, le marquis d'Argenson,

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l'abbé de Saint-Pierre, Montesquieu, Marivaux, le président Hénault, Mlle Delaunay, furent ses principaux habitués (2).

Mme de Lambert, moins grande dame en cela que Mme de Rambouillet, ne résistait pas à la tentation de lire à ses invités ses propres ouvrages. Elle laissa paraître, en 1726 et 1728, ses Avis d'une mère à son fils et ses Avis d'une mère à sa fille, puis différents traités (l'Amitié, la Vieillesse), des portraits, des discours, etc., qu'elle avait composés pour son salon. Ses deux premiers ouvrages

(1) Mme de Staal-Delaunay mourut en 1750; ses Mémoires furent imprimés en 1755. (2) Son hôtel était rue de Richelieu, à l'angle de la rue Colbert.

ont une réelle valeur pédagogique et morale, et n'ont pas cessé d'être réimprimés. «< Elle écrit finement, dit M. L. Brunel, avec une grâce un peu molle et quelque afféterie. Est-ce auprès de La Motte et de Fontenelle qu'elle eût appris à s'en garder (1)? »

MME DE TENCIN (1681-1749).- C'est en 1726 que Mme de Tencin commença à recevoir dans son hôtel de la rue Saint-Honoré; ce salon n'eut tout son éclat qu'après la mort Mme de Lambert (1733). Le ton en est plus libre et la société y est plus nombreuse et plus mêlée. Ce n'est plus la préciosité qui y règne, mais déjà la philosophie. La maîtresse de maison a plus de familiarité et de bonhomie; elle annonce la bourgeoise Mme Geoffrin. On voit chez elle : Fontenelle, Marivaux, Montesquieu, La Motte, Duclos, d'Argental, Marmontel, Helvétius, des financiers, des étrangers.

Mme de Tencin a elle-même écrit des romans le Comte de Comminges et le Siège de Calais, qui ne sont pas sans mérite, et qui furent attribués à son neveu Pont-de-Veyle.

BIBLIOGRAPHIE.

FONTENELLE, Éloges des Savants, édition Francisque Bouillier. Garnier.
FONTENELLE, Pluralité des Mondes, édition Garnier.

A. LABORDE MILAA, Fontenelle (Collection des grands écrivains français). Hachette, 1905.
V. GLACHANT, Causerie sur Fontenelle (Dialogues des morts). Plon, 1904.

VILLEMAIN, Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle, 13 et 15° leçons.

E. FAGUET, Dix-huitième siècle, 1890.

L. BRUNEL, les Salons, la Société, l'Académie (Histoire de la litt. fr., Julleville Colin, t. VI, chap. vin).

G. LANSON, Choix de lettres du dix-huitième siècle. Hachette.

(1) Histoire de la litt. fr. (Julleville, Colin), t. VI, chap. vii, p. 399.

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1° MONTESQUIEU (1689-1755) est à la fois aristocrate, magistrat attaché aux institutions de son pays, hardi et réformateur, satirique, - bel esprit.

2o Les Lettres persanes (1721) sont, dans un cadre commode, une satire, à la fois spirituelle et profonde, de la société et des institutions. Il faut y distinguer l'intrigue, assez fade; les passages où Montesquieu critique, à la façon de La Bruyère, les mœurs et les ridicules du jour; les chapitres où il aborde des questions de politique ou de religion, et par lesquels il annonce l'Esprit des lois.

3° Les Considérations sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains (1734) sont le fruit d'un travail personnel et approfondi sur l'histoire romaine. Montesquieu a plutôt étudié la décadence que la grandeur, et il a déterminé plutôt les causes politiques que les causes morales. Le style de cet ouvrage est grave et tout romain.

4° L'Esprit des lois (1748) est l'étude positive, faite sur les documents, des rapports qui existent entre les différentes législations et les peuples qui y sont soumis. Montesquieu part des faits et cherche à les expliquer ; il se distingue par là de tous les théoriciens abstraits. Ce chef-d'œuvre est écrit souvent dans une forme trop piquante: Mme du Deffand accuse l'auteur de faire « de l'esprit sur les lois ».

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lographie. Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, est né au château de la Brède, près de Bordeaux, le 18 janvier 1689. Sa famille était de noblesse ancienne; s'il s'en est toujours montré fier, il a lui-même ajouté à cette noblesse le plus impérissable de ses titres. Quand il eut achevé ses études chez les Oratoriens, à Juilly, « on lui mit entre les mains des livres de droit; il en chercha l'esprit ». En 1714, il fut nommé conseiller au Parlement de Bordeaux, et, en 1716, président à mortier. Il était un magistrat exact et travailleur, mais peu convaincu. Déjà, il se cherchait des occupations en dehors ou à côté de ses fonctions, et il devenait, faute de mieux, membre très assidu de l'Académie des sciences de Bordeaux, à laquelle il communiquait des mémoires des questions de physique, l'écho, la pesanteur, la transparence des corps, etc. Cependant, il préparait son premier ouvrage. « J'ai la manie de faire des livres, disait-il, et d'en être honteux après les avoir faits. » Les Lettres persanes parurent en 1721, sans signature, et le succès en fut étourdissant. Mais déjà Montesquieu méditait un ouvrage plus sérieux. Il vient à Paris, vend sa charge de Président, fréquente quelque temps les salons et les cercles et se fait recevoir à l'Académie française (1727).

LETTRE ORNÉE par Sébastien Le Clerc (1637-1714).

sur

De 1728 à 1731, Montesquieu voyage. Il veut recueillir des documents et surtout des observations directes pour l'Esprit des lois. D'ailleurs, il était aussi curieux que son compatriote Montaigne; mais comme l'auteur des Essais, il sera beaucoup moins séduit par les beautés de la nature, qu'attentif aux mœurs et aux institutions: il se rend d'abord à Vienne, en Autriche où il peut causer avec le prince Eugène; puis en Hongrie, d'où il revient par Venise: là, il interroge le financier Law sur l'esprit de ses célèbres et malheureuses spéculations. Il séjourne à Milan, à Turin, à Florence (1), à Rome, à Naples. Il remonte ensuite vers le nord, fait en sens inverse la route suivie par Montaigne, de Vérone à Innsbrück, rejoint les bords du Rhin et arrive en Hollande. De là, sur le yacht de lord Chesterfield, il gagne l'Angleterre, où il séjourne pendant deux ans. A Londres, il étudie de très près le fonctionnement de cette constitution à la fois monarchique et démocratique, qui devait rester pour lui l'idéal. On sait ce que nos plus grands hommes du dix-huitième siècle doivent à l'Angleterre Montesquieu, Voltaire et Buffon en tirèrent profit; le seul J.-J. Rousseau y gardera jalousement son ombrageuse personnalité, et en reviendra sans avoir rien oublié ni rien appris.

De retour en France, Montesquieu s'enferme en son château de la Brède, pour mettre en ordre ses notes et ses impressions. En 1734, il donne les Considéra

(1) Morceaux choisis, 1" cycle, p. 282.

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