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que la supériorité morale, amenée par le christianisme, n'ait pas entraîné la supériorité littéraire;

c) C'est encore une protestation de l'individualisme trop étouffé par la théorie

CHARLES PERRAULT

D'après le portrait peint par Tortebat (1652-1718)

et gravé par Gérard Edelinck (1649-1707).

classique, des droits de l'imagination et de la fantaisie contre la raison.

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Histoire de la querelle. Desmarets de SaintSorlin, dans les préfaces de ses poèmes épiques, soutient l'excellence du merveilleux chrétien (1669-1674). Dans le troisième chant de l'Art poétique Boileau proscrit le merveilleux chrétien. Il y a donc de l'actualité dans la discussior. de Boileau. Et c'est là une première phase de la querelle. Dans la séance de l'Académie française du 27 janvier 1687, Charles Perrault lit un poème, le Siècle de Louis XIV, où il fait l'éloge des grands écrivains qui permettent de com

parer ce siècle à ceux de Périclès et d'Auguste. Boileau proteste en quittant la séance. Perrault reprend et développe sa thèse dans ses Parallèles des anciens et des modernes (1688-1696), et Boileau lui réplique par ses Réflexions sur Longin (1694). La Bruyère, dans son Discours à l'Académie française (1693), affecte de ne louer que les partisans des anciens; il suscite de vives colères, surtout dans le Mercure, auquel il répond par sa préface. Mme Dacier, en 1699, pu

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blie une traduction d'Homère, qui est encore l'occasion des plus vives polémiques. Cette deuxième phase de la querelle est close, grâce à Arnauld qui réconcilie Perrault et Boileau (Lettre de Boileau, 1701) (1). — Reprise de la querelle en 1714, à l'occasion d'une traduction abrégée d'Homère par La Motte-Houdard (traduction destinée à discréditer celle de Mme Dacier). — Correspondance entre La Motte et Fénelon (1713-14). Lettre de Fénelon à l'Académie française (1714). Préface à la traduction de l'Odyssée, par Mme Dacier (1716). Concessions réciproques et fausse réconciliation.

Des deux côtés la question était mal posée: on se borna presque à des personnalités, et l'on ne toucha presque jamais aux véritables arguments. L'esprit historique manquait aux deux partis, qui n'avaient tort ou raison que sur des détails. Perrault voulait beaucoup moins proclamer l'égalité de génie de Racine et d'Euripide, de Boileau et d'Horace, que discréditer tous ceux qui avaient imité, bien inutilement selon lui, les anciens, et réhabiliter ceux qui étaient exclusivement modernes, les victimes de Boileau. Celui-ci, de son côté, défendit maladroitement Homère et Pindare, et ne sut donner une théorie juste de l'imitation des anciens que dans la VII Réflexion sur Longin (2). Fénelon entrevit quelques raisons critiques: nous aurons à y revenir.

Conséquences de la querelle. Les véritables vainqueurs sont les modernes: le dix-huitième siècle ne connaîtra plus l'antiquité. On sent se dévelop-~ per l'idée de progrès: confiance de la société en elle-mème et mépris de la tradition (Encyclopédie). Mais l'esprit encyclopédique, en discréditant le christianisme, se prive de l'élément le plus sérieux qui puisse entrer dans l'originalité des contemporains. Il faudra la réaction de Chateaubriand pour mettre au point les théories des modernes.

Cette querelle a donc en soi une véritable importance; souvent puérile dans les détails, elle contient tous les symptômes du dix-huitième siècle.

BIBLIOGRAPHIE.

OEuvres de Boileau, édition GIDEL. 4 vol., Garnier, 1873.

Édition Brunetière (éd. de luxe). Hachette, 1889.

Éditions classiques de GIDEL (Garnier), AUBERTIN (Belin), BRUNETIÈRE (Hachette), PELLISSIER (Delagrave), GAZIER (Colin), DES GRANGES (Hatier).

G. LANSON, Boileau (Collection des grands écrivains français). Hachette, 1892.

V.FOURNEL, la Littérature indépendante et les écrivains oubliés au dix-septième siècle. Paris, 1862.

A. BOURGOING, les Maîtres de la critique au dix-septième siècle. Garnier.

H. RIGAULT, Histoire de la querelle des anciens et des modernes. Hachette, 1856.

F. HEMON, Cours de littérature française; Boileau. Delagrave, 1892.

NISARD, Hist. de la littérature française, t. II, chap. vi et vii.

(1) Nous avons réuni tous les documents relatifs à cette partie de la querelle, dans notre édition de Boileau (Hatier), p. 427-500. Consulter aussi les notes de l'Art poétique, chant III, p. 232-256. (2) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 610; Boileau (Hatier) p. 470.

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1° FENELON (1651-1715), d'abord supérieur des « Nouvelles Catholiques >>, devient en 1689 précepteur du duc de Bourgogne. En 1695, il est archevêque de Cambrai. L'affaire du quiétisme (1699) et la publication du Télémaque causent sa disgrâce. Son caractère est complexe, séduisant et chimérique.

2o Dans le Traité de l'éducation des filles (1689), Fénelon donne d'utiles et judicieux conseils aux mères de famille; il est modéré, sensé, et devance sur plusieurs points notre pédagogie moderne.

3° Précepteur d'un enfant très difficile, Fénelon réussit à le dompter et à l'instruire. Il compose pour lui des Fables, des Dialogues des morts, et le Télémaque (1699), où il résume presque toute la littérature grecque. Les contemporains trouvèrent dans cet ouvrage une satire de Louis XIV et de son gouvernement.

4° Le Traité de l'existence de Dieu (1712 1718) est une œuvre de jeunesse, dont la première partie est consacrée au développement de la preuve par les causes finales, et la seconde à une démonstration cartésienne de la Divinité. 5. Dans les Dialogues sur l'éloquence (1680 ?), Fénelon critique avec sévérité les orateurs de son temps. Il fut lui-même un prédicateur remarquable par sa facilité et son onction; mais nous ne possédons de lui que deux discours officiels.

6° La Lettre à l'Académie fut écrite en 1713 à M. Dacier, et publiée en 1716. Fénelon s'y montre sur certains points (éloquence, histoire) un critique très clairvoyant. Il trahit sa préférence pour les anciens.

7o Le quiétisme est la doctrine du pur amour de Dieu, propagée en France par Mme Guyon. Bossuet la fit condamner; Fénelon, après une résistance habile, se soumit.

8. Le dix-huitième siècle a aimé dans Fénelon le prélat tolérant et disgracié, et le critique.

9° Écrivain, Fénelon est aristocratique et attique.

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LETTRE ORNÉE

N doit donner à Fénelon une place à part dans l'histoire des idées et des lettres, au dix-septième siècle. Il représente déjà la transition vers un nouvel ordre de choses, moins encore par les dates de ses ouvrages, que par l'esprit qui les anime.

Vie. François de Salignac de la Mothe-Fénelon est né au château de Fénelon, dans le Périgord, en 1651. Il appartenait à une noble famille, et il eut toujours, d'un très grand seigneur, les manières et les sentiments. -Entré de bonne heure au séminaire de Saint-Sulpice, par Abraham Bosse (1602-1676). où le poussait la plus sincère vocation, il voulait d'abord se consacrer aux missions du Levant. Mais la faiblesse de sa santé l'obligea d'y renoncer; et il fut nommé supérieur des « Nouvelles Catholiques »>, maison où l'on catéchisait les jeunes filles protestantes converties au catholicisme. Il remplit ces délicates fonctions de 1678 à 1689, avec toute l'intelligence et tout le tact qu'il y fallait apporter. C'est alors qu'il composa son premier ouvrage, le Traité de l'éducation des filles.

Fénelon fut ensuite chargé d'une mission auprès des protestants de l'Aunis et de la Saintonge, après la révocation de l'Édit de Nantes. Il usa de persuasion et

de douceur.

C'est en 1689 que le duc de Beauvilliers, gouverneur du jeune duc de Bourgogne, choisit Fénelon comme précepteur du petit-fils de Louis XIV. Bossuet, qui avait Fénelon en grande estime, approuva hautement ce choix. Nous verrons comment le maître réussit avec son élève, et quels ouvrages sont sortis plus tard de ces six années de préceptorat.

En 1693, Fénelon fut reçu à l'Académie française. Deux ans après, il était nommé archevêque de Cambrai et sacré par Bossuet dans la chapelle de SaintCyr. Tout semblait lui assurer l'existence la plus calme, quand l'affaire du quiétisme vint tout gåter. Bientôt, la publication du Télémaque (1699), où chacun vit, avec une malice compromettante pour l'auteur, une satire de Louis XIV et de son gouvernement, acheva la disgrâce de Fénelon, qui resta jusqu'à la fin de sa vie renfermé et comme exilé dans son archevèché de Cambrai.]

Fénelon mettait toutes ses espérances dans le duc de Bourgogne, et rèvait de devenir quelque jour, sinon son ministre, au moins son directeur à la fois spirituel et politique. La mort du prince (1712) vint ruiner cet espoir de revanche. Et Fénelon consacra ses dernières années à l'administration vigilante et paternelle de son diocèse, et à une lutte assez vive contre le jansénisme. Il mourut à Cambrai, le 7 janvier 1715.

Son caractère.

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On connaît l'admirable portrait de Fénelon par SaintSimon : « Ce prélat était un grand homme maigre, bien fait, pâle, avec un grand

nez, des yeux dont le feu et l'esprit sortaient comme un torrent, et une physionomie telle que je n'en ai pas vu qui y ressemblât, et qui ne se pouvait oublier quand on ne l'aurait vu qu'une fois. Elle rassemblait tout, et les contraires ne s'y combattaient point. Elle avait de la gravité et de la galanterie, du sérieux et de la gaîté; elle sentait également le docteur, l'évèque et le grand seigneur ; ce qui y surnageait, ainsi que dans toute sa personne, était la finesse, l'esprit, les grâces, la décence et surtout la noblesse. Il fallait faire effort pour cesser de le regarder... Il s'était accoutumé à une domination qui, dans sa douceur, ne voulait point de résistance... Parmi tant d'art et d'ardeur de plaire, et si générale, rien de bas, de commun, d'affecté, de déplacé, toujours en convenance à l'égard de chacun... A tout prendre, c'était un bel esprit et un grand homme. »

L'impression qui se dégage de ce portrait, écrit par un contemporain, dont, pour une fois, la clairvoyance n'est point gâtée par la méchanceté, peut tenir dans le mot de contrastes. Fénelon n'a pu laisser personne indifférent, parce qu'il avait en lui un singulier mélange de séduction et de hauteur, de tendresse et d'autorité, d'intelligence supérieure et d'entètement étroit dans ses idées. Ceux qu'il a d'abord charmés, comme Bossuet et Louis XIV, il les a déçus et révoltés. Ceux qu'il étonne aujourd'hui par la profondeur et la générosité de certaines de ses vues politiques, il les trompe bientôt par des utopies et par cet esprit chimérique si justement aperçu de Louis XIV. Il n'en reste pas moins vrai qu'à le prendre dans son ensemble, il est des plus intéressants par cette complexité même, qui est moins encore celle d'un homme que celle d'une époque.

Le Traité de l'éducation des filles (1689). - C'est à la prière de Mme de Beauvilliers, mère de huit filles, que Fénelon rédigea ce charmant petit livre. Mais il y dépassa fort heureusement le cercle des conseils propres aux filles de la duchesse, grâce à son expérience de directeur des Nouvelles Catholiques; et ce fut bien un Traité, dont les idées ont encore aujourd'hui une grande valeur.

Fénelon établit d'abord (chap. 1) l'importance de l'éducation des filles, et l'inconvénient des éducations ordinaires (chap. 11). « Il faut craindre de faire des savantes ridicules... Mais les filles mal instruites et inappliquées ont une imagination toujours errante... Elles se rendent l'esprit visionnaire, en s'accoutumant au langage magnifique des héros de romans... Quel dégoût pour elles de descendre de l'héroïsme jusqu'au plus bas détail du ménage (1)! » - Fénelon est d'accord ici avec Mme de Maintenon, qui a senti, comme lui, qu'il fallait réagir contre l'instruction superficielle donnée aux femmes. Sans doute, un siècle aussi fécond en femmes supérieures, bien avant Fénelon, ne négligeait pas absolument l'instruction féminine. Mais, seules, les belles intelligences prenaient l'essor, en l'absence de toute méthode; et celles-là mème étaient exposées à la subtilité et au romanesque. Fénelon demande ensuite que l'on s'occupe des filles dès leur plus bas âge. La, il nous surprend par la sûreté de ses observations physiologiques. Comme Rousseau, il veut que les premières études soient proportionnées à la faiblesse de l'enfant (chap. III, IV, v). « Le cerveau des enfants est comme une bougie allumée dans un lieu exposé au vent sa lumière vacille toujours. » Aussi faut-il répondre promptement et nettement à leurs questions; les provoquer, par la vue des objets dont on leur explique la nature et l'utilité (leçons de choses); choisir, pour leur suggérer les idées, des images (1) Morceaux choisis, 2° cycle, p. 614.

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