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témoignage de Nicole, il avait refait jusqu'à treize fois la dix-huitième Provinciale.

III. INFLUENCE DE PORT-ROYAL AU XVIIe SIÈCLE.

Port-Royal, malgré les persécutions qui l'accablèrent, cut, sur la société et sur les écrivains du dix-septième siècle, une très sérieuse influence.

1o Il faut signaler le grand exemple de fermeté et de résistance donné par les Messieurs de Port-Royal, en un temps où l'esprit de docilité et d'abandon permettait au pouvoir absolu de s'établir pour près de deux siècles en France. S'ils nous étonnent par leur entètement, toutefois ces Messieurs, quand ils s'appellent Saint-Cyran, Arnauld, Nicole, Pascal, et qu'ils payent de leur liberté, de l'exil, de la vie même, l'attachement à leurs opinions, sont grands et dignes d'admiration. Et l'on peut dire que quelque chose de leur solidité morale, de leur vertu stoïque, a passé dans les Bossuet, les La Rochefoucauld, les Boileau, les Saint-Simon. 2o Port-Royal eut, par Saint-Cyran et M. Singlin, une influence sur la réforme de la prédication; il n'est pas jusqu'à Bourdaloue, un jésuite, qui ne leur doive quelque chose. 3o Les Messieurs de Port-Royal ont contribué à transformer les méthodes et les outils de l'enseignement; dans leurs Petites écoles ils enseignaient, avec le latin, le français et le grec, qui ne faisaient partie à cette époque ni des programmes de l'Université, ni de la Ratio Studiorum des jésuites. Leur Logique, leur Grammaire, leur Jardin des racines grecques, devinrent au siècle suivant des livres scolaires officiels. N'oublions pas aussi qu'ils eurent, dans ces écoles, des élèves qui leur firent honneur, et que Racine doit peut-être à Lancelot et à Nicole, avec sa connaissance du grec, sa fine psychologie.

Aussi suffit-il d'ouvrir les Mémoires ou les Correspondances du temps pour voir la place qu'y tient Port-Royal; et cette influence se continue pendant une partie du dix-huitième siècle, jusqu'au moment où, avec Voltaire et l'Encyclopédie, c'est le rationalisme et l'optimisme qui l'emportent.

BIBLIOGRAPHIE.

RACINE, Abrégé de l'histoire de Port-Royal, éd. A. Gazier, 1909.

SAINTE-BEUVE, Port-Royal, 7, vol. Hachette.

A. HALLAYS, Le Pèlerinage de Port-Royal. Perrin, 1909.

PASCAL, Provinciales, éditions classiques de F. Brunetière (Hachette), Henry Michel (Delin),
Havet (Delagrave), etc.

PASCAL, Pensées, éditions classiques de Havet (Delagrave), Brunschvicg (Hachette), etc.
Sur Pascal Histoire de la littérature française (Julleville, Colin), t. IV, chap. 1x (par
M. A. GAZIER), NISARD, t. II, chap. IV. E. FAGUET, Dix-septième siècle. - F. BRUNE-
TIÈRE, Etudes critiques, t. III et IV. PRÉVOST-PARADOL, les Moralistes français, Hachette.
-BOUTROUX, Pascal (Collection des grands écrivains français). — G. MICHAUT, les Epoques
de la pensée de Pascal, 1902, Fontemoing. V. GIRAUD. Pascal. Fontemoing.

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Frontispice d'un sonnet funéraire en l'honneur d'Henriette d'Angleterre.
D'après l'estampe de Jean Lepautre (1618-1682)

CHAPITRE VI

BOSSUET ET LES PRÉDICATEURS.

SOMMAIRE

1° AVANT BOSSUET, la prédication est réformée par saint Vincent de Paul, l'Oratoire, les Jésuites et Port-Royal.

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2o BOSSUET (1627-1704) fait ses études à Dijon et à Paris, est archidiacre de Metz où il réside jusqu'en 1658, puis vient prêcher à Paris et à la Cour. Il est nommé évêque de Condom et précepteur du Dauphin (1670), prononce plusieurs oraisons funèbres et devient évêque de Meaux (1681). Son caractère est fait de bonté, de loyauté et de bon sens. Les Sermons de Bossuet ne furent publiés qu'à la fin du dix-huitième siècle. Bossuet n'avait aucune prétention littéraire ; il ne cherchait qu'à toucher et à convaincre. Son éloquence est lyrique. Il renouvelle l'oraison funèbre, en y introduisant l'histoire et le sermon. Précepteur, il étudie par lui-même, et à fond, tout ce qu'il enseigne. Il compose pour le Dauphin plusieurs ouvrages, entre lesquels il publie le Discours sur l'Histoire universelle (1681); après sa mort paraissent la Politique tirée de l'Écriture Sainte et le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même. - Controversiste, Bossuet l'est pendant toute sa vie. Il publie en 1688 son Histoire des Variations des Églises protestantes, chefd'œuvre d'érudition et de style. Il combat le quiétisme. Écrivain, Bossuet

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s'inspire surtout de la Bible et des Pères. Son style est remarquable par sa propriété et sa variété.

3° BOURDALOUE (1632-1704), jésuite, prêcha dix fois le Carême et l'Avent à Versailles; il eut comme sermonnaire plus de succès que Bossuet. Il savait plaire par son art de raisonner, et surtout par ses portraits où la malignité de la cour voyait des personnalités.

4° FLÉCHIER (1632-1710) est resté célèbre par l'oraison funèbre de Turenne. - MASCARON (1634-1703) a de la véhémence, mais son style est archaïque ; MASSILLON (1663-1742) a prononcé l'oraison funèbre de Louis XIV, le Petit Carême, etc. Il a un style harmonieux et élégant; on l'a surnommé l'Isocrate français.

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LETTRE ORNÉE

par Abraham Bosse (1602-1676).

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ous avons signalé quelques-uns des grands prédicateurs du moyen âge et du seizième siècle. Et nous avons dit, ce qu'il faut répéter, que le sermon n'était pas un << genre littéraire », et que les meilleurs sermons, si l'on considère leur objet, n'ont jamais été ni publiés ni peut-être écrits. Cependant, « l'art de persuader >> peut avoir quelque utilité, même quand il s'agit de ramener à la foi et à la morale les fidèles auxquels on parle dans une église. Nous verrons plus loin comment Bossuet a compris ce que l'on pourrait appeler la « rhétorique de la chaire (1) ».

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Après saint François de Sales, dont il a été question plus haut, il faut signaler encore quelques précurseurs de Bossuet. - Saint Vincent de Paul (1576-1660), dont on cite fréquemment la belle péroraison d'un sermon de charité, a connu et encouragé Bossuet qu'il nommait « son fils ». Le P. Lejeune (1592-1672), de l'Oratoire, fut un prédicateur familier, qui rappelle, avec plus de goût, ceux du seizième siècle. A la même congrégation appartient le P. Senault (1599-1662), plus lettré et plus élégant, et qui eut de grands succès mondains. D'une manière générale, l'Oratoire, fondé en 1612 par le cardinal de Bérulle, contribua, par son enseignement et par la distinction de ses membres, à réformer la prédication. Quand Bossuet prononça, en 1662, l'oraison funèbre du P. Bourgoing, supérieur général de cet ordre, il rendit un éloquent hommage au prédicateur, et il semblait, en le louant, se définir lui-même. Les jésuites, de leur côté, eurent, dès le début du dix-septième siècle, des

(1) Morceaux choisis, 2 cycle, pp. 397 et 401.

prédicateurs très éminents, entre autres le P. Claude de Lingendes (1591-1660) dont nous possédons des sermons rédigés en latin, mais qui furent prononcés en français. Sa morale était des plus austères, et Bourdaloue l'a souvent imité.

Enfin, Port-Royal contribuait aussi à instruire les prédicateurs, et à les ramener aux vrais principes de l'éloquence sacrée; nous avons déjà cité, à ce point de vue, Saint-Cyran et Singlin.

Vie.

II. - BOSSUET (1627-1704).

Jacques-Bénigne Bossuet appartenait à une vieille famille « parlementaire » de Bourgogne. Son père, Bénigne Bossuet, était avocat au Parlement de Dijon, et devint conseiller au Parlement de Metz. Jacques-Bénigne naquit à Dijon, le 27 septembre 1627, le septième de dix enfants, et fut de bonne heure destiné à l'Église. Il commença ses études au collège des jésuites de sa ville natale, et les continua, à partir de 1642, à Paris, au collège de Navarre (1). Est-il vrai que, pendant ses années d'études théologiques, il ait fréquenté l'Hôtel de Rambouillet, et qu'il y ait, un soir, improvisé un sermon? Et faut-il tenir pour authentique le mot de Voiture : « Je n'ai jamais entendu prêcher ni si tôt, ni si tard? » - Toujours est-il que le jeune Bossuet avait déjà une réputation. Son ardeur au travail lui valait, de la part de ses condisciples, le surnom de Bos suetus aratro (2); et le prince de Condé acceptait, en 1648, la dédicace de sa première thèse, sa tentative.

Bossuet fut ordonné sous-diacre à Langres, et diacre à Metz, où sa famille l'avait fait pourvoir, dès 1640, d'un canonicat. En 1650, il soutint la thèse dite sorbonique; en 1652, il était docteur en théologie. Ordonné prêtre la même année, Bossuet vint résider à Metz, avec le titre d'archidiacre de Sarrebourg. De 1652 à 1659, sauf une courte apparition à Paris (1657, Panégyrique de saint Paul), il prèchera et remplira tous ses devoirs de prêtre à Metz. Dès cette époque, il faut se représenter un Bossuet plein d'ardeur apostolique, et sans aucune ambition littéraire. Nous le voyons déjà controversiste, apòtre, directeur de conscience, travailleur acharné et prenant sur son sommeil pour lire et relire la Bible et les Pères. Dans la capitale de la Lorraine, les protestants et les israélites étaient nombreux. Bossuet écrit une Réfutation du catéchisme de Ferri, ministre calviniste (1655), et il opère des conversions parmi les Juifs. Il a déjà de grands succès comme prédicateur; c'est l'époque de ses Panégyriques et de ses premières Oraisons funèbres.

En 1659, il vient s'établir à Paris, sans abandonner son canonicat de Metz ni

(1) Le principal de Navarre était Nicolas Cornet, celui qui découvrit et formula les cinq propositions de Jansenius. Bossuet a prononcé son oraison funèbre, en 1663.

(2) Bos suetus aratro signifie littéralement: le bœuf habitué à la charrue », c'est-à-dire le bœuf laborieux et vigoureux.

son titre d'archidiacre (en 1664, il sera nommé doyen du chapitre de Metz). Il prêche deux panégyriques (saint Joseph et sainte Thérèse) devant la reine-mère ; et, en 1660, il commence la série des Carèmes et des Avents que nous énumérons plus loin.

De 1659 à 1669, Bossuet se multiplie: sermons, panégyriques, oraisons funèbres, apostolat et conversion d'illustres protestants (Mlle de Bouillon, Turenne, de Lorges, etc.), controverses et conférences avec le ministre Ferri ; et toujours un travail incessant, comme en témoigne la documentation précise de tous ses ouvrages. Il n'a d'ailleurs rien publié, depuis 1655.

En 1669, Bossuet est nommé évêque de Condom, et, l'année suivante, précepteur du Dauphin. En 1671, il est élu membre de l'Académie française, se démet de son évêché de Condom et reçoit en compensation deux prieurés, dans les diocèses de Bayeux et de Beauvais. Absorbé par l'instruction du Dauphin, pour lequel il s'impose un travail aussi écrasant qu'inutile, il ne prêche que rarement entre 1669 et 1680, et il prononce, en 1669 l'Oraison funèbre d'Henriette de France, et, en 1670, celle d'Henriette d'Angleterre. Mais la controverse n'est pas abandonnée en 1678, il a devant Mlle de Duras, protestante, des conférences avec le ministre Claude, et Mlle de Duras se convertit au catholicisme. La même année, il fait condamner l'Histoire critique du Vieux Testament, de Richard Simon.

Le préceptorat une fois terminé, Bossuet est nommé premier aumônier de la Dauphine et évêque de Meaux (1681). Alors, on peut dire que sa vie devient plus active que jamais. D'une part, il s'occupe de mettre au point et de publier plusieurs ouvrages entrepris pour le Dauphin; d'autre part, il administre son diocèse, où il réside, avec autant de ponctualité que de zèle apostolique ; enfin, et surtout, il devient le jaloux défenseur de l'orthodoxie catholique et gallicane contre tous ceux qui, du dehors comme au dedans, tentent d'altérer la tradition. Il prononce, en 1681, le sermon d'ouverture de l'Assemblée du clergé de France, sur l'Unité de l'Église; et c'est le seul de ses sermons qu'il ait fait imprimer, le considérant comme un manifeste. Il rédige, en 1682, la Déclaration du clergé de France en quatre articles, sur les libertés de l'Église gallicane. Il publie son Histoire des variations des Églises protestantes (1688) et ses six Avertissements aux protestants (1689-1691); il négocie avec Van Muelen et Leibnitz pour arriver à la réunion des Églises protestantes ; il lance contre le P. Caffaro les Maximes sur la comédie (1694). Et cependant, de 1680 à 1687, il prononce cinq oraisons funèbres. Mais voici l'affaire du Quiétisme, qui commence en 1694 et ne s'achèvera qu'en 1699. A cette occasion, c'est une incroyable abondance de mémoires, de relations, de réponses, qui toutes supposent une étude approfondie des textes. Ajoutez un grand nombre de lettres, à toutes sortes de personnes de tous états, et particulièrement d'admirables lettres de direction.

Bossuet trouvait encore le temps de paraitre à Versailles, à Chantilly, d'inspecter les couvents de son diocèse et d'y prêcher des retraites.

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