Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

་་

ment construite, équilibrée; le mot est toujours plein et vigoureux, et « mis en sa place ». Balzac rend donc à la prose le même service que Malherbe à la poésie. Il lui donne de la force et de la régularité. — Cela ne va pas sans défauts. Balzac ne sait pas être simple, et il alourdit tout ce qu'il touche.

D'autre part, on est injuste envers lui, quand on lui refuse des idées, et quand on en fait un phraseur. Les lettres de Balzac frappent, au contraire, par la profondeur et par la beauté des idées générales. Il n'est guère de questions qu'il ne sache élever et soutenir par la philosophie, la morale et la religion. Comme critique, il a écrit d'excellentes pages; et ses dissertations à Mme de Rambouillet sur les Romains, comme sa lettre à Corneille, nous prouvent qu'il a le sens de la véritable histoire.

Il voulut, d'ailleurs, prouver qu'il était capable d'écrire des ouvrages de plus longue haleine. Il donna le Prince, éloge indirect de Louis XIII; Aristippe ou la Cour, dissertation sur la politique; et le Socrate chrétien. Si le style de ces trois ouvrages est, quand on les lit en entier, trop tendu et fatigant, les morceaux ont une singulière solidité, et ressemblent à des fragments traduits de Cicéron ou de Sénèque.

Très admiré par ses contemporains, qui l'ont surnommé le Grand Épistolier, Balzac fut vivement attaqué par le P. Goulu, supérieur général des Feuillants, qui l'accusa de plagiat et d'immoralité. Balzac se défendit avec hauteur, et l'opinion publique fut pour lui (1).

V. VOITURE (1598-1648).

Vie et caractère. Fils d'un marchand de vin, d'Amiens, Vincent Voiture occupa d'abord les fonctions de contrôleur général dans la maison de Gaston d'Orléans. Il suivit son maître à Bruxelles, en Lorraine, et fut chargé de missions en Espagne et en Italie. Il devint maître d'hôtel du roi en 1639, et fit encore de nombreux voyages en 1639, 1640 et 1642. Introduit-à l'Hôtel de Rambouillet par un de ses anciens condisciples de collège, le comte d'Avaux, et par M. de Chaudebonne, son esprit suppléa à sa naissance et à sa fortune; et il y devint un personnage.

Il faut d'abord considérer en Voiture l'homme qui, pendant plus de vingt ans, anima et amusa l'Hôtel de Rambouillet. Il possédait deux qualités pour cet emploi : il avait de l'imagination, et il avait du talent. Son imagination lui suggérait des idées pour amuser cette société, où l'on causait sans doute, mais où l'on ne dédaignait nullement les distractions mondaines les plus futiles. Voiture inventait des déguisements; il faisait paraître un jour des Suédois apportant à Julie une lettre de Gustave-Adolphe : Julie témoignait, en effet, d'une admiration sans bornes pour le héros suédois. Un autre jour, il amenait des ours

(1) Morceaux choisis, 1" cycle, p. 114; 2 cycle, p. 321.

325

jusque dans la Chambre bleue. Il organisait des parties de campagne (voir sa lettre au cardinal de La Valette, 1630), des bals masqués (voir la lettre de la carpe au brochet, 1643), etc. Les hommes de ce genre sont appréciés dans le monde; on y est à la fois

[graphic]

pour eux très aimable et très exigeant. Voiture était inépuisable et complaisant. Mais, d'autre part, il avait du talent. Il n'était pas seulement « le monsieur qui sait conduire le cotillon » ou jouer à tous les jeux; il était poète, il était épistolier, il avait l'esprit de repartie et d'à-propos. Et par là il se faisait respecter,et un peu redouter. Il en arrivait même, car il ne craignait rien tant que de tomber dans le mépris qui est le juste salaire de la complaisance, à être impertinent. Condé disait de lui: «Il serait insupportable s'il était de notre monde. >> Toujours est-il que Valère, comme on l'appelait, régna à l'Hôtel de Rambouillet, où il fut «l'âme du rond(1)», et que sa mort, en 1648, fut le premier signal de la dispersion.

PORTRAIT DE VOITURE

D'après le tableau de Ph. de Champaigne (1606-1674),
gravé par Robert Nanteuil (1623-1678).

Les Lettres de Voiture.
Voiture n'est pas un épis-
tolier du genre de Balzac ; mais, comme Balzac, il écrit des lettres destinées à
être lues dans un cercle mondain, et dont, par conséquent, le style est fort
travaillé. Il adresse ses lettres soit à des personnages dont il est le protégé, soit
à des amis de l'Hôtel de Rambouillet. Elles sont au nombre de deux cents et,
elles furent recueillies après sa mort par son neveu Pinchêne.

Le ton en est très varié. En tête, on peut citer la célèbre lettre sur Riche

(1) On disait alors le rond, comme plus tard le cerce.

DES GRANGES. Litt. Illustrée.

11

[ocr errors]

lieu, écrite en 1636, après la prise de Corbie, et qui est du style le plus solide et le plus historique. Voiture sait parler sérieusement des Romains et d'Alexandre à Mme de Rambouillet (lettre XXXVI). Les lettres à des grands seigneurs comme Condé, le marquis de Pisani, le comte d'Avaux, le cardinal de La Valette, offrent un piquant mélange d'éloges hyperboliques et de badinage mondain. Voiture excelle à raconter: il nous dit spirituellement comment il a été berné (lettre IX); ou comment il voyage sur le Rhône (lettres CXXVII et CXXVIII); il fait au cardinal de La Valette un récit charmant d'une fête à la campagne (lettre X). Parfois, il pousse le badinage jusqu'au mauvais goût, comme dans la trop célèbre lettre de la carpe au brochet. Mais enfin, toute cette correspondance est celle d'un homme très spirituel, qui sait fort bien sa langue, qui a des ressources infinies dans l'esprit et dans le style, et à qui on re peut reprocher que de vouloir trop plaire (1).

Ses poésies. Voiture a écrit des épîtres en vers, des sonnets, des stances, des madrigaux, des épigrammes, des rondeaux. Il fait, comme jadis Marot, de la poésie « d'actualité mondaine », et il y est passé maitre. Sa qualité essentielle est une certaine facilité de tour, qui charme encore; un art d'amener le trait ou la chute qui satisfait pleinement l'attente du lecteur; une justesse vraiment surprenante dans l'emploi des métaphores et des figures. Il sait y ajouter la grâce parfois attendrie d'un badinage sentimental que Marot n'a point connu. - D'ailleurs, il faut signaler l'abus de l'esprit, de la mythologie, des pointes à l'italienne, et, dans l'ensemble, un air de futilité qui gâte les pièces les plus achevées. Rappelons enfin qu'au sonnet de Voiture sur Uranie, on opposa celui de Benserade sur Job. L'Hôtel de Rambouillet se divisa en Uranistes et Jobelins; Mme de Longueville conduisait le premier parti, et le prince de Condé le second (2).

[merged small][ocr errors]

Cette revue de ceux qui ont travaillé à la fixation de notre prose serait incomplète, si nous ne nommions Vaugelas, qui, membre de l'Académie dès sa fondation, s'occupa avec le plus grand zèle du Dictionnaire. Il publia, en 1647, ses Remarques sur la langue française, qui peuvent servir de complément au Dictionnaire, et dans lesquelles il se fonde, pour autoriser ou pour rejeter une expression, sur le bon usage de la cour et du monde, corroboré par celui des grands écrivains.

(1) Morceaux choisis, 1" cycle, p. 118; 2° cycle, p. 329.

(2) Morceaux choisis, 2° cycle, p. 340.

BIBLIOGRAPHIE.

DESCARTES, Discours de la méthode (éditions classiques chez Hachette, Delagrave, etc.). KRANTZ, De l'Esthétique cartésienne, 1887.

F. BRUNETIÈRE, Études critiques, IV (Cartésiens et Jansénistes).

V. COUSIN, la Société au dix-septième siècle, 2 vol. (Didier, 1865).

G. LARROUMET, les Précieuses ridicules (Garnier introduction).

Sur BALZAC et VOITURE: Lettres choisies du dix-septième siècle, par G. LANSON (Hachette). VAUGELAS, Remarques sur la langue française, avec le commentaire de T. Corneille, édi tion CHASSANG (Garnier), 2 vol.

[graphic][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][merged small][merged small][merged small][merged small]
[graphic][merged small][merged small]

LA FORMATION DE LA TRAGÉDIE CLASSIQUE. CORNEILLE ET SON TEMPS.

[ocr errors]

SOMMAIRE

1° AVANT CORNEILLE, les genres dramatiques sont la pastorale, la tragicomédie, la comédie, la tragédie; et tous ces genres jouissent d'une grande liberté. HARDY est, de 1600 à 1630, le fournisseur du théâtre de l'Hôtel de Bourgogne. Il compose une grande quantité de pièces, et en fait imprimer quaTHEOPHILE DE VIAU donne, en 1617, Pyrame et Thisbé. MAIRET fait jouer, en 1634, Sophonisbe, la première en date des tragédies régulières.

rante.

20 CORNEILLE (1606-1684) débute par une comédie (Mélite, 1629), triomphe avec le Cid (1636) et compose des tragédies et des comédies jusqu'en 1652. Retiré du théâtre pendant sept ans, il y revient en 1659 avec Edipe et continue à écrire jusqu'en 1674. Il meurt, pauvre, en 1684.- Histoire de son théâtre. Corneille se plie difficilement aux règles d'Aristote; il choisit ses sujets dans l'histoire, surtout dans celle des Romains; il aime à compliquer l'action, pour augmenter le merite de ses héros, en qui il incarne la volonté; il peint l'amour comme une passion généreuse, fondée sur l'estime; son théâtre est « une école de grandeur d'âme »; son style est oratoire et grave; c'est notre plus grand écrivain en vers.

3° CONTEMPORAINS DE CORNEILLE: ROTROU, auteur de Saint-Genest (1646) et de Venceslas (1647); DU RYER; TRISTAN L'HERMITE; THOMAS CORNEILLE, frère de Pierre, auteur de Timocrate (1656), Ariane (1672), le Comte d'Essex (1678), dramaturge très habile et très applaudi.

« PreviousContinue »