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II. - L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

Origines. De tout temps, en France, il y eut des sociétés de gens de lettres et d'érudits, soumises à une sorte de règlement les puys du moyen âge, les Jeux floraux de Toulouse, l'Académie lyonnaise de Fourvières, etc. Au seizième siècle, Charles IX protégea la réunion fondée par A. de Baïf, au faubourg SaintMarcel, et lui octroya le titre d'Académie de poésie et de musique (1570). Baïf n'avait fait, d'ailleurs, qu'imiter les académies italiennes, alors nombreuses et florissantes (1).

Dès le début du dix-septième siècle, les questions de discipline littéraire et grammaticale prennent une grande importance; on les discute chez Mlle de Gournay, chez le poète Colletet, et chez le premier des journalistes français, Théophraste Renaudot. C'est une réunion de ce genre qui se tenait chez Valentin Conrart. « Environ vers l'an 1629, dit Pellisson dans son Histoire de l'Académie française, quelques particuliers, logés en divers endroits de Paris, ne trouvant rien de plus incommode, dans cette grande ville, que d'aller fort souvent se chercher les uns les autres, résolurent de se voir un jour de la semaine chez l'un d'eux... Ils s'assemblèrent chez M. Conrart, qui s'était trouvé le plus commodément logé pour les recevoir, et au cœur de la ville... Là, ils s'entretenaient familièrement, comme ils eussent fait en une visite ordinaire, et de toutes sortes de choses, d'affaires, de nouvelles, de belles-lettres. Que si quelqu'un de la compagnie avait fait un ouvrage, comme il arrivait souvent, il le communiquait volontiers à tous les autres, qui lui en disaient librement leur avis... Ils continuèrent ainsi trois ou quatre ans... »

A ces premières séances chez Conrart, prenaient part: Chapelain, Godeau, Gombauld, Habert, Cérizy, Malleville, Serizay, Faret, Desmarets, Boisrobert. C'est ce dernier qui, factotum de Richelieu, en parla au cardinal. Richelieu, naturellement porté à tout discipliner, et sentant d'ailleurs, pour être fort instruit des choses de la langue et de la littérature, qu'il y aurait profit à constituer une sorte de gouvernement des lettres, fit demander à ces messieurs s'ils consentiraient à former une assemblée officielle. Ce ne fut pas sans quelques difficultés. Mais enfin cette assemblée s'organisa; les statuts en furent, dès 1634, rédigés par Conrart, et approuvés par le cardinal; le roi donna des lettres patentes en 1635. Mais on dut attendre plus de deux ans, que le Parlement consentît à enregistrer ces lettres; l'Université avait protesté contre un corps nouveau dont elle redoutait la concurrence. Enfin, l'Académie française était fondée.

Parmi les nouveaux membres qui furent admis pour compléter le nombre de quarante, fixé par les statuts, il faut citer Maynard, Colletet, Saint-Amant, Racan, Balzac, Vaugelas, Voiture, Séguier.

(1) La plus célèbre des académies italiennes est celle de Florence, la Crusca, qui publia un dietionnaire de la langue italienne (Cf. II. HAUVETTE, Histoire de la littérature italienne, Colin 1908).

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Organisation intérieure. L'Académie s'est donc toujours composée, depuis sa fondation jusqu'à nos jours, de quarante membres. Elle se recrute ellemême. Au décès d'un de ses membres, elle discute les titres des écrivains qui sollicitent l'honneur d'y être admis, fixe la date de l'élection, et choisit le nouvel académicien par voie de scrutin secret, à la majorité absolue. Sous l'ancien régime le roi se réservait d'approuver, comme protecteur de l'Académie, chaque élection. Les réceptions devinrent publiques en 1671. Le simple remerciment

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UNE SÉANCE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE AU MILIEU DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE D'après une estampe contemporaine gravée par P. Sevin.

adressé par le nouvel académicien à ses confrères s'était transformé (1660) en un discours, et la réponse du directeur prit des dimensions proportionnées. Dans ce discours devaient se trouver, avec l'éloge du prédécesseur, celui de Richelieu, celui de Séguier, celui de Louis XIV, et celui du roi régnant.

Les séances de l'Académie furent, dès l'origine, présidées par un de ses membres, élu directeur, assisté d'un chancelier; ces deux dignitaires étaient renouvelés tous les trimestres. Le secrétaire était élu à vie (secrétaire perpétuel).

On se réunit, jusqu'en 1642, tantôt chez un des académiciens, tantôt chez un autre. Cette année-là, Séguier leur donna une salle dans son hôtel; et après sa mort (1672), Louis XIV permit aux académiciens de se réunir au Louvre. Afin que nulle préséance ne distinguât les membres de cette Assemblée toute littéraire, Louis XIV fit placer, autour de la longue table, quarante fauteuils semblables. De là l'expression de fauteuil académique. Pour chacun d'eux, on a établi

une filiation qui est exacte jusqu'à la Révolution, époque à laquelle une refonte des académies en Institut de France rompit la tradition.

Chaque membre reçut, à partir de 1672, un jeton de présence, ce qui constituait une petite rente de 800 livres, portée bientôt à 1.200, et aujourd'hui plus considérable.

Grâce aux legs que l'Académie était autorisée à accepter, elle établit des prix. Le premier fut un prix d'éloquence fondé par Balzac, le second un prix de poésie fondé par Pellisson. Aujourd'hui, on ne les compte plus ; l'Académie est même appelée, chaque année, à décerner des prix de vertu.

Enfin, un point essentiel, c'est que, depuis sa naissance, l'Académie n'est pas exclusivement réservée à des littérateurs de profession; elle admet des protecteurs des lettres et des grands hommes. De là, chez elle, une variété dont nous signalerons plus loin les avantages.

Premiers travaux de l'Académie française. Les académiciens perdirent un certain temps à lire des discours ou des mémoires sur toutes sortes de sujets. Mais leurs statuts les obligeaient avant tout à rédiger un dictionnaire, afin « de nettoyer la langue des ordures qu'elle avait contractées ou dans la bouche du peuple, ou dans la foule du Palais, ou dans les impuretés de la chicane, ou par les mauvais usages des courtisans ignorants, etc., et d'établir un usage certain des mots... » Le premier plan du Dictionnaire était assez original: les mots simples y étaient distribués par ordre alphabétique, et chacun d'eux était suivi « des composés, dérivés, diminutifs ». Ainsi blé est suivi des mots blatier et emblaver. Des exemples accompagnaient chaque mot, et distinguaient « les termes des vers d'avec ceux de la prose... du genre sublime, du médiocre, et du plus bas ». On dressa une liste d'auteurs dans lesquels on prendrait ces exemples. Cette liste est fort éclectique: on y trouve Amyot, Montaigne, du Vair, la Satyre Menippée, Coëffeteau, du Perron, saint François de Sales, Honoré d'Urfé, d'Ossat; et parmi les poètes: Marot, Ronsard, du Bellay, du Bartas, Desportes, Bertaut, Régnier, Malherbe, Théophile, Rapin. Si Chapelain avait été écouté, on eût fait un dictionnaire historique, et les noms des auteurs eussent été cités. On y renonça, pour ne donner que des exemples généraux, tirés du bon usage contrôlé par les bons auteurs. Le travail, poussé d'abord très activement, se ralentit après la mort de Vaugelas en 1650. Bref, la première édition parut seulement en 1694 (1).

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L'Académie devait également, d'après ses statuts, examiner les ouvrages nouveaux. Aussi Richelieu, qui voulait donner de l'autorité à la compagnie, lui

(1) Il a été publié un fac-simile de cette première édition de 1694, à Lille, 1902. Sitôt une édition terminée, l'Academie en préparait une autre, pour suivre le mouvement de la langué. C'est ainsi qu'on eut successivement les Dictionnaires de 1694, 1718, 1740, 1762, 1798, 1835, 1878. Il ne faut pas confondre ce Dictionnaire de l'usage, avec le Dictionnaire historique, dont le premier volume a paru en 1858, et qui en est actuellement à la lettre D.

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Cette estampe d'Ysaac Briot représente le Cardinal au moment de la fondation

de l'Académie française.

demanda-t-il d'intervenir dans la querelle du Cid; nous en parlons ailleurs. Nul doute que les académiciens n'aient cru commencer, par les Sentiments sur le Cid, une série de travaux critiques sur les grands ouvrages contemporains, et s'ériger en tribunal d'arbitrage littéraire. Mais, malgré des prodiges d'habileté, l'Académie en cette circonstance n'arriva à satisfaire personne. « Il en résulta une bonne chose, dit M. Ém. Faguet, c'est que l'Académie depuis ce temps ne reprit jamais l'office de juge littéraire et se contenta (ce qui lui donne, sans la compromettre, une suffisante autorité) de travailler au dictionnaire, de récompenser les écrivains de mérite et de secourir les écrivains pauvres par des prix d'académie, et d'approuver le talent des auteurs de premier ordre en les recevant presque tous (1). »

D'après ses statuts, l'Académie devait également publier une grammaire, une poétique, et une rhétorique. Elle laissa publier la grammaire par Régnier-Desmarais (1705). Et l'on voit par la Lettre à l'Académie de Fénelon, qu'elle n'en était qu'aux projets pour les autres traités. Ces projets eux-mêmes ont été abandonnés.

Influence de l'Académie française. Il ne faut ni dénigrer l'Académie française, ni exagérer son influence. Dès sa fondation, elle fut en butte à des pamphlets, parmi lesquels on doit retenir la spirituelle comédie de Saint-Évremond, les Académistes (parue seulement en 1656) et la Requête des dictionnaires, de Ménage. Ce Dictionnaire de l'usage, cependant, incessamment remanić et complété, fut d'un grand secours aux écrivains qui, sans s'astreindre à le suivre docilement, y pouvaient constater le bon usage de la ville et de la cour. Pour nous, ses éditions successives ont une très grande valeur historique.

L'Académie eut un autre avantage, très appréciable surtout aux dix-septième et dix-huitième siècles, et qui, aujourd'hui encore, n'est pas inutile. En réunissant, dans un salon et sur le pied d'égalité, des écrivains de l'origine la plus humble parfois et seulement distingués par leur talent ou leur génie, avec des grands seigneurs, des hommes d'État, des prélats, des savants illustres, l'Académie établit entre eux une fraternité intellectuelle, dont chacun put tirer profit. Rien n'a plus contribué à décrasser et à désencanailler l'homme de lettres; rien aussi n'a mieux fait sentir à ceux « qui ne s'étaient donnés que la peine de naître » la valeur propre d'un grand écrivain.

Que, d'ailleurs, le style académique ait été et soit encore insupportable; que certains écrivains, trop préoccupés de s'asseoir dans un fauteuil d'immortel, en soient devenus plus timides et moins originaux ; que quelques critiques, pour préparer leur candidature, aient eu des complaisances fàcheuses à l'égard de leurs futurs confrères; enfin que l'Académie elle-même soit coupable d'avoir systématiquement écarté des hommes dont les opinions ou le tempérament littéraire lui déplaisaient il se peut. Il n'en reste pas moins que l'Académie fran

(1) ÉM. FAGUET, Hist. de la litt. fr. (Plon), II, p. 42.

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