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D'après le portrait peint en 1613 par Finson et gravé par I. Coelemans.

vence, nommé Malherbe, qui avait porté la poésie française à un si haut point que personne n'en pouvait jamais approcher ». Malherbe avait fait dès cette époque beaucoup de vers, les uns franchement détestables et dans le plus mauvais goût de Ronsard, les autres mêlés de bon et de mauvais (les Larmes de saint Pierre, 1587), d'autres enfin où son talent mâle et salangue claire se manifestaient déjà (Ode à Marie de Médicis pour sa bienvenue en France, 1600; Stances à du Périer sur la mort de sa fille, 1601). Il présenta à Henri IV sa belle Prière pour le roi Henri le Grand, allant en Limousin (1605); le roi, sans l'attacher directement à sa personne, le donna à son premier gentilhomme de la chambre, M. de Bellegarde. Voilà Malherbe devenu presque poète officiel. Il compose pour Henri IV quelques belles odes (Sur l'attentat du Pont-Neuf, 1606), mais aussi beaucoup de stances, de sonnels et de chansons, qui nous révèlent en lui un servile courtisan. Et c'est le moment d'avouer que ce Malherbe, dont les portraits ont une si belle allure, dont les vers sonnent si fièrement, paraît avoir eu le caractère peu chevaleresque, tout au moins du jour où il considéra la poésie comme un « moyen de parvenir ». Il n'estimait pas son talent; il disait « qu'un bon poète n'est pas plus utile à l'État qu'un bon joueur de quilles ». Il adula dans ses vers tous les personnages puissants, et les renia ou s'en écarta prudemment dès qu'il les sentit en disgrace: ainsi fit-il pour le maréchal d'Ancre, pour le duc de Luynes, et pour Marie de Médicis elle-même. Celle-ci, après la mort de Henri IV, et Louis XIII se firent les protecteurs généreux du poète. Malherbe écrivit pour la régente et pour son fils ses plus belles pièces : Ode à·la reine Marie de Médicis sur les heureux succès de sa régence (1610), Ode au roi Louis XIII allant chalier les Rochellois (1627).

Nous savons, grâce à son intéressante correspondance avec son ami Peiresc (publiée en 1822), comment Malherbe a passé son temps, entre la cour, les Muses et ses disciples, pendant son long séjour à Paris. Il ne fit que deux voyages en Provence, où Mme de Malherbe était restée. Racan nous apprend que son maître occupait une modeste chambre meublée, où il n'y avait que sept à huit chaises; c'est là qu'il réunissait ses disciples: Colomby, Maynard, Racan, de Monstier, Yvrande, etc. A ceux qui arrivaient trop tard, il criait à travers la porte: «Attendez, il n'y a plus de chaises! » Ses boutades sont célèbres. Il disait à Desportes: « Votre potage vaut mieux que vos vers. » Au confesseur qui, à son lit de mort, l'entretenait de la vie future: « Ne m'en parlez plus, votre mauvais style m'en dégoûte. » Près d'expirer, il reprenait vivement sa gardemalade, voulant « défendre jusqu'au dernier soupir la pureté de la langue française ». Il mourut le 16 octobre 1628.

La réforme de Malherbe. – On est un peu surpris, quand on étudie la poétique de Malherbe, d'y trouver surtout des préceptes négatifs. En effet, Malherbe ne fait que réagir contre la Pléiade, et ramener la poésie française à ses qualités essentiellement nationales. Sur la versification seulement, il donne quelques

préceptes positifs. On sait qu'il avait biffé d'un bout à l'autre un exemplaire de Ronsard; on possède les Psaumes de Desportes annotés de sa main; mais nous n'avons de lui ni poétique écrite, ni grammaire. Il faut nous en rapporter, pour sa réforme, aux traditions, aux anecdotes, et surtout à ses vers (1).

1° Pour le fond même de la poésie, Malherbe réagit contre l'imitation exagérée des anciens. Sans doute, il les connait et les pratique, et lui-même il a fait des traductions en prose de Tite-Live (XXIII livre) et de Sénèque (Questions naturelles). Mais il veut qu'on leur emprunte des idées générales, des lieux communs; jamais de ces détails techniques, datés, qui rendent la poésie inaccessible aux << honnêtes gens ». D'ailleurs il se défie des Grecs, et va d'instinct vers les Latins, plus raisonnables, plus en conformité avec le génie français. Sans proscrire complètement la mythologic, dont il a usé lui-même, il ne lui demande que quelques ornements (comparaisons, métaphores). Il proteste égaleinent contre l'italianisme, qui continuait à affadir et à obscurcir la poésie, et il lutta de toutes ses forces contre l'influence du fameux cavalier Marin, son rival dans la faveur de Marie de Médicis. Bref, Malherbe est pour le bon sens, la raison, les idées communes, les sujets d'actualité, contre la fantaisie, l'imagination, le symbolisme, les fictions.

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2o Le style et la langue. Malherbe obligeait ses disciples et s'obligeait luimême à travailler lentement et à « faire difficilement des vers faciles ». Il usa, dit-on, une rame de papier pour écrire une strophe; peu importe si la strophe est belle. C'est la théorie reprise et confirmée par Boileau et par l'exemple des plus grands classiques. Régnier protestait; il voulait qu'on laissat a courir la plume où la verve l'emporte » ; il disait : «Jamais un bon esprit ne fait rien qu'aisément » ; il raillait Malherbe, « froid à l'imaginer ». La théorie de Malherbe n'en est pas moins celle des plus grands artistes, chez qui l'inspiration ne détruit pas le sens critique. Ainsi : logique, clarté, propriété sévère, voilà pour le style. La langue doit être purement française. Malherbe avait à combattre : le pédantisme, l'italianisme, enfin l'invasion du dialecte français par les dialectes provinciaux. De là le sens profond de cette boutade : « Les crocheteurs du Portau-Foin sont nos maîtres en fait de langage. » Il voulait dire non pas : nous devons parler comme les crocheteurs; mais, pour juger de la qualité exclusivement française d'un terme, il faut s'assurer que le mot fait partie du vieux fonds populaire, et qu'il est en usage chez ceux qui n'ont ni le pédantisme des érudits, ni le snobisme du grand monde. S'il adoptait le vocabulaire des crocheteurs, il était, en syntaxe, un puriste intransigeant, et s'en rapportait, avant Vaugelas; au bon usage. 3o La versification. Malherbe régularisa et disciplina l'alexandrin, en exigeant une césure (principale ou secondaire) après le sixième pied; en proscrivant l'enjambement, qui peut nuire au rythme général d'une suite de vers; en défendant l'hiatus (rencontre d'une voyelle finale et d'une voyelle initiale).

(1) Morceaux choisis, 1" cycle, p. 105; 2 cycle, p. 278.

D'autre part, il était sévère pour la rime; il la voulait sinon toujours riche, du moins assez difficile pour être un frein à la rédaction trop rapide. Ainsi, il veut la consonne d'appui pour les participes en é (les verbes en er formant les trois quarts de la conjugaison française, le poète aurait à sa disposition un trop grand nombre de rimes faciles); il interdit de faire rimer un simple avec un composé (père, grand-père), ou des mots de sens trop voisin (père, mère).

Influence de Malherbe. Il faut se garder d'attribuer à Malherbe une influence personnelle, comme le fut celle de Ronsard. Mais précisément parce qu'il avait moins de génie, et parce qu'il ne formulait guère que les tendances de l'esprit français, son œuvre s'est moins vite démodée, et son influence fut plus durable. Boileau (qui d'ailleurs, on doit bien le remarquer, ne loue en lui que des qualités de forme), n'exagère pas quand il dit: Tout reconnut ses lois... Il exprime un fait. La clarté, la raison, l'ordre, la pureté et la propriété de la langue, la solide harmonie des vers, bref tout ce que nous louons en Racine, Molière, et dans leurs imitateurs, trouve sa première ébauche en Malherbe. Bien entendu, à ces qualités très générales et presque négatives, chacun a ajouté celles de son génie propre. Malherbe fut comme un maître de dessin et de perspective, dont les élèves deviennent un jour de grands peintres.

Faut-il admettre, d'ailleurs, qu'il a « coupé la gorge à la poésie »? Comme si l'influence d'un homme, et qui n'a que du talent, pouvait empêcher de se développer un grand génie lyrique, s'il s'en fût présenté un ! Mais ce qui n'est pas vrai de Malherbe l'est de la société du dix-septième siècle. Un génie lyrique, indépendant, ne pouvait y trouver ni des éléments de poésie, ni surtout des lecteurs préparés. Il y a là comme une question de saison."

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<«< Parmi les disciples de Malherbe, ceux qui lui font le plus d'honneur, dit très judicieusement Petit de Julleville, sont ceux qu'il n'a jamais connus: les grands écrivains de la seconde moitié du dix-septième siècle, qui tous, poètes ou prosateurs, ont reconnu sa maîtrise et suivi indirectement sa discipline (1). » On cite cependant quelques-uns de ses élèves immédiats : Racan et Maynard.

HONORAT DE BUEIL, SEIGNEUR DE RACAN (1589-1670), a survécu ssez longtemps à son maître pour voir le triomphe presque absolu de ses doctrines. Il était cousin du duc de Bellegarde, protecteur de Malherbe. Officier, puis gentilhomme campagnard, retiré dans son château de la Roche-Racan, en Touraine, il mena la vie large et aisée d'un « honnête homme » qui fait des vers .simplement pour se divertir. Nous signalons plus loin sa pastorale dramatique,

(1 Histoire de la litt. fr. (JULLEVILLE, Colin), t. IV, p. 15

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les Bergeries, jouée en 1618. Il publia des Odes, des Psaumes et des Stances, où l'on découvre un sincère sentiment de la nature et une douce mélancolie. Ses vers ont une souplesse harmonieuse et un peu molle (1).

FRANÇOIS MAYNARD (1582-1646) était, au dire de Malherbe, celui de ses disciples qui faisait le mieux des vers. Ses épigrammes sont aisées et spirituelles; dans ses odes, on rencontre des pensées fines, délicates sans préciosité, et parfois, comme dans la Belle Vieille, des sentiments d'une profondeur touchante. C'est un versificateur d'une aisance vraiment française; la rime lui donne de la précision sans jamais lui causer de gène (2).

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Nous n'avons point à nous arrêter aux autres disciples de Malherbe. Mais il nous faut considérer le parti adverse, celui des disciples de Ronsard, qui n'avait point désarmé, et qui, aux yeux mèmes du public, était le plus nombreux et le plus puissant. «La littérature de 1600 à 1630, dit M. Faguet, fut une littérature roman

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PORTRAIT DE RACAN

D'après l'estampe gravée par Desrochers.

tique, et particulièrement la poésie fut une poésie romantique, où dominaient l'imagination, le caprice et la fantaisie, parfois désordonnée. Au milieu d'elle, Malherbe est un isolé, à peine suivi d'un ou deux disciples, eux-mêmes assez indépendants, et chose curieuse, qui se produit quelquefois en littérature, il a formé une école, et très grande, mais quarante années environ après sa mort (3). >>

(1) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 290.

(2) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 294.

(3) EM. FAGUET, Hist. de la litt. fr. (Plon), II, 2.

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