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si nous n'avions pas Athalie. Nabuchodonosor, s'empare du royaume de Juda, et veut faire périr la famille royale. Les supplications d'Amital, mère du roi de Juda, Sédécie, touchent la femme et les brus de Nabuchodonosor, qui cherchent à apaiser le roi d'Assyrie. Mais nous apprenons que, devant le malheureux Sédécie, on a égorgé ses enfants, et qu'ensuite on lui a crevé les yeux. Sans doute, c'est moins une action qu'une série de situations. Cependant quand on lit les Juives, on est vraiment surpris du parti que Garnier a su tirer de la douleur, de la pitié, de la cruauté, bref de tous les sentiments tragiques. De plus, sur cette tragédie sacrée, plane le souffle de Dieu; par la bouche du Prophète, dont le grandiose personnage apparaît au premier et au cinquième acte, la situation s'élargit, et produit une impression de religieuse terreur. Les chœurs de jeunes Juives, très bien maniés, heureusement mêlés à l'action, rapprochent cette tragédie française des tragédies grecques.

Le théâtre de Garnier contient une huitième pièce d'un genre tout particulier, une «< tragi-comédie », Bradamante. Le sujet est tiré du Roland furieux de l'Arioste, où Bradamante, fille d'Aymon et de Béatrice, nous est représentée comme une guerrière invincible, aimée de Roger, prince sarrazin converti. Dans la tragi-comédie de Garnier, Bradamante mci aux prises deux rivaux : Roger, et Léon, fils de l'empereur de Constantinople. L'action est compliquée par un de ces quiproquos fréquents dans les romans de chevalerie. Le dénouement est heureux; c'est le personnage sympathique, Roger, qui épouse Bradamante (1).

ANTOINE DE MONTCHRESTIEN (?-1621). — Le dernier des poètes tragiques que l'on rattache au seizième siècle, Montchrestien, eut l'existence la plus aventureuse. Duelliste enragé, forcé de s'exiler en Angleterre, rentré en France sous Henri IV, industriel, il écrivit ses tragédies par passe-temps, et sans renoncer à ses escapades. Il finit par se faire tuer sous Louis XIII, en prenant part à un soulèvement de huguenots.

Nous avons de Montchrestien six tragédies: Sophonisbe (1596), imitée de l'italien; les Lacènes (Lacédémoniennes) ou la Constance (1599), dont le sujet est tiré de Plutarque (Vie de Cléomène de Sparte); David (1600); Aman (2) (1601); Hector (1603); l'Écossaise ou Marie Stuart (1605) (3). Cette dernière pièce est la meilleure de Montchrestien; les caractères d'Élisabeth et de Marie Stuart sont bien tracés, et le style, remarquable par son aisance et sa douceur, annonce celui de Racine.

Nous verrons, en étudiant les prédécesseurs immédiats de Corneille, que la tragédie ne cessa d'être cultivée et améliorée, et comment elle passa enfin de la cour des collèges et des feuillets du livre, à la scène qui, de son côté, se préparait pour elle.

(1) On trouvera une analyse de Bradamante dans DARMSTETER et IIATZFELD, p. 172.

(2) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 231

(3) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 229.

II. LA COMÉDIE.

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Influence de l'antiquité. Nous l'avons déjà dit dans nos conclusions sur la comédie du moyen âge, il ne s'agit plus ici, comme pour la tragédie, d'un genre qui se substitue à un autre, mais seulement d'une évolution. La comédie du seizième siècle, c'est la farce du quinzième, combinée avec la moralité. Toutefois, il convient de signaler quelques traductions et imitations de l'antiquité, qui contribuèrent à rendre plus humain et plus régulier un genre populaire s'élevant au

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fut de beaucoup

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D'après une estampe sur bois tirée du Térence de Roigny.

la plus puissante. Elle fut heureuse, en ce sens qu'elle apprit aux auteurs français à varier leurs situations et à combiner leurs intrigues: fâcheuse, parce qu'elle introduisit dans notre comédie française un certain nombre de types conventionnels, vieillards, tuteurs, valets, capitans, amoureux et ingénus, dont nous avons eu bien de la peine à nous débarrasser, et qui, stéréotypés, en quelque sorte, ramenaient sans cesse avec eux les mêmes situations et les mêmes bons mots.

Les premières imitations sont les traductions des Supposés de l'Arioste, par Jacques Bourgeois (1545), puis par Jean-Pierre de Mesme (1552). Jean de la Taille traduit le Négromant de l'Arioste vers 1560. Mais il faut signaler aussi les représentations italiennes, données en France, à Lyon et à Paris, et qui répandirent surtout à la cour, où chacun savait l'italien, le goût des imbroglios et de la licence.

Les comédies en vers. — JODELLE inaugure, ou croit inaugurer, un genre nouveau de comédie avec Eugène, représenté en même temps que Cléopâtre en 1552. Dans un prologue obscur et ambitieux, il se pose en novateur. Eugène est une pièce en cinq actes, à neuf personnages, écrite en décasyllabes. Le sujet en est des plus risqués, et se rattache aux plaisanteries contre le clergé qui forment le fond de nos plus cyniques fabliaux. Il n'y a pas, dans ces cinq actes, un seul personnage non seulement vertueux, mais honnête; un seul est comique, au vrai sens du mot, c'est Guillaume, le mari d'Alix.

RÉMI BELLEAU a laissé la Reconnue, publiée seulement après sa mort, en 1577. Il s'agit dans cette pièce d'une jeune fille, sauvée par un officier au siège de Poitiers, et qui, au dénouement, est reconnue par son père. L'intrigue, un peu lente, n'est pas mal construite ; Antoinette, la jeune fille, aimée par le fils du vieil avocat chez qui le capitaine l'a mise en pension, est sur le point d'épouser malgré elle le clerc maître Jean, au moment même où l'arrivée inattendue du capitaine et de son mère la délivre.

JACQUES GRÉVIN a donné la Trésorière (1558) (1) et les Ébahis (1560). La première de ces pièces rappelle l'Eugène de Jodelle; la seconde est une imitation indirecte de l'italien.

Les comédies en prose.

- C'est probablement l'influence de l'Italie, où l'on écrivait la comédie en prose, qui détermina nos écrivains du seizième siècle à abandonner les vers (2).

Il faut d'abord signaler une comédie de JEAN DE LA TAILLE, les Corrivaux (ou Rivaux d'amour), composée probablement en 1562, et qui témoigne d'une certaine aisance dans le dialogue.

Mais le plus remarquable écrivain comique de ce temps est PIERRE LARIVEY (1540-1611). Il est né à Troyes; son père, italien, était de la famille des Giunti, célèbres imprimeurs de Venise. Établi en France il traduisit son nom en celui de L'Arrivé, devenu Larivey. Pierre entra dans les ordres, et fut chanoine de l'église Saint-Etienne de Troyes. Il connaissait à fond, et pour cause, la littérature italienne; aussi donna-t-il un grand nombre de traductions dans tous les genres, contes, morale, théologie, etc. Il avait cet avantage sur les érudits français, de posséder l'esprit et les traditions des comédies de son pays; et il fit passer dans notre langue douze pièces, dont six furent publiées par lui-même en 1579, dont trois encore furent données en 1611. Les autres sont perdues. Ces comédies sont le Laquais, la Veuve, les Esprits, le Morfondu, les Jaloux, les Écoliers, Constance, le Fidèle et les Tromperies. Larivey suit de très près son modèle italien; mais il y apporte toutes les modifications de lieu, de conditions, de circonstances, nécessaires pour que la pièce devienne française. Ce fils d'Italiens, Cham

(1) Lire dans DARMSTETER et HATZFELD, p. 360, une scène de la Trésorière.

(2) Lire dans DARMSTETER et HATZFELD, p. 365, la lettre de Pierre Larivey à M. d'Amboise, sur l'emploi de la prose dans la comédie.

penois de naissance, était vraiment l'homme qu'il fallait pour accommoder à notre génie, sans en rien laisser perdre d'essentiel, le génie italien. Ses pièces ne furent pas jouées, mais elles furent lues et relues, et les éditions s'en multiplièrent. Molière a su en tirer parti.

Deux d'entre elles sont encore d'une lecture agréable: les Écoliers, et surtout les Esprits. Cette dernière se rattache dans le passé à l'Aululaire de Plaute et aux Adelphes de Térence, dans l'avenir à l'Ecole des maris et à l'Avare de Molière, et au Retour imprévu de Regnard. L'original italien, l'Aridosio de Lorenzino de Médicis, est en grande partie une « contamina

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avec Apoline, et de Laurence avec Désiré. Mais les meilleures scènes, les scènes de caractère, sont créées par l'avarice de Séverin et la fourberie du valet Frontin. Séverin, voulant rentrer chez lui pour y déposer une bourse pleine d'or, en est empêché par Frontin qui lui déclare que sa maison est hantée par des esprits (d'où le titre de la pièce). Séverin, effrayé, cache sa bourse dans un trou, sans se douter qu'il est épié par Désiré, l'amoureux de sa fille Laurence; ses hésitations, ses craintes, ses prières, sont rendues avec une vérité comique digne de Plaute et de Molière qui, ni l'un ni l'autre, n'offrent la même scène (1). Désiré, une fois que Séverin est parti, vole le contenu de la bourse. L'avare revient bientôt pour revoir « sa chère bourse »; il la trouve pleine de cailloux. Alors, il éclate en lamentations, dans un monologue imité de Plaute, et que Molière à son tour a imité (2). La scène qui suit, avec Frontin, est également très amusante et très fine: c'est un développement ingénieux du monologue. Enfin à l'acte V, scène VI, et scène VIII,

(1) Lire cette scène dans DARMSTETER et IIATZFELD, p. 367.

(2) Morceaux choisis, 2 cycle, p. 233.

'on trouve des quiproquos, dont Molière a su faire son profit, et quelques traits excellents de ce qu'on appelle des mots de nature. Quand on rend à Séverin ses écus, il s'écrie : « 0 Dieu! ce sont les mêmes !... » Et quand on lui dit que son fils va épouser une jeune fille dotée de quinze mille francs : « Quinze mille francs! Il sera plus riche que moi (1). »

Des autres comédies de Larivey, on peut tirer aussi quelques scènes d'un comique profond et durable. Sans doute, il faut en féliciter les originaux italiens qu'il a traduits. Mais son style lui appartient, et l'on éprouve une sorte de surprise à lire avec tant d'intérêt ces dialogues toujours dramatiques, piquants, justes, dont le moindre honneur n'est pas d'évoquer fréquemment le souvenir de Molière. Enfin, nommons ODET DE TURNÈBE, fils de l'helléniste Adrien Turnèbe. Mort prématurément (1581), il laissa en manuscrit une comédie imitée à la fois de l'italien et de la Célestine de l'Espagnol Fernando de Rojas, et intitulée les Contents. Cette pièce, assez confuse, mais amusante et joliment écrite, est, selon M. E. Rigal, le chef-d'œuvre de la comédie au seizième siècle. On peut la lire dans le Théatre au seizième siècle, d'Ed. Fournier. On y pourra lire aussi les Néapolitaines de F. d'Amboise (1584).

On voit, vers la fin du siècle, reparaître la comédie en vers; mais elle ne produit plus aucune œuvre intéressante. Les auteurs s'italianisent de plus en plus, au sens étroit du mot : ils ne rêvent qu'imbroglios; ils ne font agir et parler que des caricatures traditionnelles. Cependant la farce, plus vivace que jamais, occupait la scène ; et la véritable comédie ne devait guère reparaître qu'avec la Mélite de Corneille (1629).

BIBLIOGRAPHIE.

VIOLLET-LE-DUC, Ancien Théâtre français, 10 vol. Bibliothèque elzévirienne.

ÉDOUARD FOURNIER, Théâtre français au seizième et au dix-septième siècle, 2 vol. Paris, 1871. ÉM. FAGUET, la Tragédie française au seizième siècle. Paris, Welter, 1883.

E. RIGAL, Esquisse d'une histoire des théâtres de Paris, de 1548 à 1635. Paris, 1887.

E. RIGAL, La mise en scène dans les tragédies du seizième siècle (Revue d'Histoire littéraire, avril-juin 1905).

E. RIGAL, Alexandre Hardy... Paris, Hachette, 1885.

DARMSTETER et HATZFELD, le Seizième siècle en France. Paris, 1883.

E. LINTILHAC, De J.-C. Scaligeri poetice, 1887.

E. LINTILHAC, J.-C. Scaliger, fondateur du classicisme (Nouvelle Revue, 15 mai et 1" juin 1890).

E. LINTILHAC, Histoire générale du théâtre en France, tome 11: La Comédie, Moyen Age et
Renaissance. Flammarion.

J. LEMAITRE, Conférence sur les Contents (Revue des cours et conférences, 20 mai 1893).
R. DOUMIC, Conférence sur les Esprits (Id., 27 mai 1893).

Petit de JulleVILLE, Histoire de la littérature française, Paris, Colin, t. III, chap. vi (Le théâtre de la Renaissance, par E. Rigal). On consultera, pour plus de détails, la bibliographie de ce chapitre (III, p. 317).

(1) Morceaux choisis, 2′ cycle, p. 234.

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