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Un mal qui répand la terreur,

Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,
La peste (puisqu'il faut l'appeler par son nom),
Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,

Faisoit aux animaux la guerre.

Ils ne mouroient pas tous, mais tous étoient frappés:

'Guillaume Gueroult, le premier livre des Emblèmes, Lyon, 1540, in-8°, Fable du Lyon, du Loup, et de l'Ane, p. 40. — Voyez Straparole, treizième nuit, fable 1, t. II, p. 385, édit. 1726, le Loup, le Renard, et l'Ane; et notre Essai sur la fable et les fabulistes avant La Fontaine, tome I de cette édition.

On n'en voyoit point d'occupés

A chercher le soutien d'une mourante vie ';

Nul mets n'excitoit leur envie ;
Ni loups ni renards n'épioient
La douce et l'innocente proie;
Les tourterelles se fuyoient:

Plus d'amour, partant plus de joie.
Le lion tint conseil, et dit: Mes chers amis,
Je crois que le ciel a permis
Pour nos péchés cette infortune.

Que le plus coupable de nous

Se sacrifie aux traits du céleste courroux;
Peut-être il obtiendra la guérison commune.
L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents
On fait de pareils dévouements.

Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,
J'ai dévoré force moutons.

Que m'avoient-ils fait? nulle offense;
Même il m'est arrivé quelquefois de manger

Le berger.

Je me dévouerai donc, s'il le faut : mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi;
Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Labitur, infelix studiorum, atque immemor herbæ,

Victor equus, fontesque avertitur.

VIRG., Georg., III, 498.

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le renard, vous êtes trop bon roi;
Vos scrupules font voir trop de délicatesse.

Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fites, seigneur,
En les croquant, beaucoup d'honneur:

Et quant au berger, l'on peut dire

Qu'il étoit digne de tous maux,
Étant de ces gens-là qui sur les animaux
Se font un chimérique empire.
Ainsi dit le renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir

Du tigre, ni de l'ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses:

Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étoient de petits saints.
L'âne vint à son tour, et dit: J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue;
Je n'en avois nul droit, puisqu'il faut parler net.
A ces mots, on cria haro sur le baudet.

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Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue

Un peu instruit. Pasquier dit : « Le mot de clerc appartient aux ecclésiastiques; et comme ainsi fut qu'il n'y eut qu'eux qui fissent "profession de bonnes lettres, aussi par métaphore nous appellâmes grand clerc l'homme savant, mauclerc celui qu'on tenoit pour bête, et la science clergie. »

Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venoit tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.
Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'étoit capable

D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,

Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

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FABLE II.

Le mal marié 1.

Que le bon soit toujours camarade du beau,
Dès demain je chercherai femme;

Mais comme le divorce entre eux n'est pas nouveau,
Et que peu de beaux corps, hôtes d'une belle ame,
Assemblent l'un et l'autre point,

Ne trouvez pas mauvais que je ne cherche point.
J'ai vu beaucoup d'hymens; aucuns d'eux ne me tentent:
Cependant des humains presque les quatre parts
S'exposent hardiment au plus grand des hasards;

Les quatre parts aussi des humains se repentent.

J'en vais alléguer un qui, s'étant repenti,

Ne put trouver d'autre parti

Que de renvoyer son épouse,
Querelleuse, avare, et jalouse.

Rien ne la contentoit, rien n'étoit comme il faut :
On se levoit trop tard, on se couchoit trop tôt;
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.
Les valets enrageoient; l'époux étoit à bout:
Monsieur ne songe à rien, monsieur dépense tout,

1 Fabulæ æsopicæ, edit. Furia, Lipsiæ, 1810, in-8°,
fab. CCXLVI;
Fabulæ variorum auctorum, edit. Nevelet., Francof. 1660, in-12,
Fab. Æsopi xc, Maritus et Uxor.

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