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Les menteurs et traîtres appâts '.

Le lacs étoit usé; si bien que,

de son aile,

De ses pieds, de son bec, l'oiseau le rompt enfin :
Quelque plume y périt; et le pis du destin

Fut qu'un certain vautour, à la serre cruelle,"
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle
Et les morceaux du lacs qui l'avoit attrapé,
Sembloit un forçat échappé.

Le vautour s'en alloit le lier 2, quand des nues

n'écrivoit plus ce mot, qui signifie un nœud coulant ou un piège pour prendre les oiseaux, que conformément à l'orthographe actuelle: on substituoit souvent le q au c, afin de conserver l'étymologie dérivée du mot latin laqueus. L'édition de 1709 porte lacs; mais l'édition de 1729 a rétabli las, conformément à celle de l'auteur.

' VAR. La Fontaine a écrit appas par licence poétique, et pour rendre la rime avec las moins imparfaite aux yeux ; car l'oreille n'y étoit en rien intéressée. Dans la première édition du dictionnaire de l'Académie, 1694, in-folio, on a très bien distingué le mot appas, qui, toujours employé au pluriel, signifie charmes, attraits, du mot appât ou appast, qui exprime la pâture qu'on met à des pièges pour attraper les oiseaux ou les bêtes sauvages, et à des hameçons pour pêcher les poissons: mais comme cette distinction et la définition précise de ces deux mots ne se trouvent dans l'édition originale du dictionnaire imprimé à Paris, que dans les corrections ou additions, il est présumable qu'elle étoit récente. Boileau, dans son épître vi à Lamoignon, a dit:

Quelquefois aux appâts d'un hameçon perfide

J'amorce en badinant le poisson trop avide.

Brossette dit que Boileau auroit dû écrire appât au singulier. Cette remarque ne paroît pas exacte pour l'époque à laquelle Boileau écrivoit.

3

1 Terme de fauconnerie, qui a ici une exactitude rigoureuse.

Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.
Le pigeon profita du conflit des voleurs,
S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiroient par cette aventure;

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)
Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à moitié
La volatile malheureuse,

Qui, maudissant sa curiosité,
Traînant l'aile, et tirant le pied,
Demi-morte, et demi-boiteuse,
Droit au logis s'en retourna :
Que bien, que mal', elle arriva
Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos gens rejoints; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?
Que ce soit aux rives prochaines.

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,

« Lier se dit lorsque le faucon enlève en l'air sa proie dans ses « serres, ou lorsque l'ayant assommée il la lie de ses serres, et la « tient à terre. » Langlois, Dictionnaire des chasses, 1739, in-12, p. 117.

'Pourtant bien que dans nos vieux auteurs.

mal. Locution qu'on rencontre fréquemment

Que bien, que mal, selon nos fantaisies,

Nous écrivons souvent des poésies.

CHARLES FONTAINE, Épître à Sagon, dans MAROT,

Epistres, LVIII, t. II, p. 205, édit. 1731, in-12.

Toujours divers, toujours nouveau; Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste. J'ai quelquefois aimé: je n'aurois pas alors,

Contre le Louvre et ses trésors,

Contre le firmament et sa voûte céleste,

Changé les bois, changé les lieux Honorés par les pas, éclairés par les

De l'aimable et jeune bergère

yeux!

Pour qui, sous le fils de Cythère,

Je servis, engagé par mes premiers serments.
Hélas! quand reviendront de semblables moments!
Faut-il
que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon ame inquiète !
Ah! si mon cœur osoit encor se renflammer!

Ne sentirai-je plus de charme qui m'arrête?
Ai-je passé le temps d'aimer?

Vers qui se retrouve dans une lettre de La Fontaine, en prose adressée à la duchesse de Bouillon. Voyez OEuvres diverses de La Fontaine, édit, de 1729, t. II, p. 56.

et en vers,

FABLE III.

Le Singe et le Léopard'.

Le singe avec le léopard
Gagnoient de l'argent à la foire.

2

Ils affichoient chacun à part.

L'un d'eux disoit : Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu. Le roi m'a voulu voir;
Et si je meurs, il veut avoir

Un manchon de ma peau : tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,

Et vergetée, et mouchetée !

La bigarrure plaît: partant3 chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait bientôt chacun sortit4.
Le singe de sa part disoit: Venez, de grace;
Venez, messieurs: je fais cent tours de

passe-passe.

Esop., 13, Vulpes et Pardus; 162, Vulpes et Pardalis.

2 Ces mots prouvent, ainsi que le remarque très bien un des commentateurs de notre fabuliste, que le singe et le léopard, mis en scène dans cette fable, sont derrière le rideau, et sont censés parler par l'intermédiaire de leurs affiches respectives, ou des bateleurs qui les montrent.

3 Par ce moyen.

4 Ceci vient à l'appui de ce que nous avons dit, que les deux animaux sont cachés, et ne parlent à l'assemblée que par l'organe de ceux qui les montrent.

Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin léopard l'a sur soi seulement :
Moi, je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,
Cousin et gendre de Bertrand,

Singe du pape en son vivant,

Tout fraîchement en cette ville

Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler';
Car il parle, on l'entend2: il sait danser, baller 3,
Faire des tours de toute sorte,

Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs :
Non, messieurs, pour un sou; si vous n'êtes contents,
Nous rendrons à chacun son argent à la porte 4.
Le singe avoit raison. Ce n'est pas sur l'habit

'Cette expression proverbiale et comique, qu'une chose dont on veut relever l'importance arrive en trois bateaux, est ancienne, puisqu'on la retrouve dans Rabelais, qui dit, l. I, ch. XVI, que la jument de Gargantua « fut amenée par mer en trois quaraques et << un brigantin, » t. I, p. 56, in-4°.

2

« A quoi bon, dit un commentateur de notre fabuliste, affir« mer que le singe parle, qu'on l'entend, puisque cette harangue

« est de lui? » C'est précisément parcequ'elle n'est pas de lui, que le poëte prête ces mots essentiels à l'affiche ou au bateleur qui fait ainsi parler le singe.

3 Vieux mot qui vient de l'italien ballare, et qui signifie danser, se divertir. On le trouve fréquemment dans Rabelais et dans Marot. Dansez, ballez, solemnisez la feste

De celle en qui votre amour gist si fort.

MAROT, Chants, x, t. II, p. 290.

4 Ceci confirme encore l'explication que nous avons donnée, et prouve que le singe au nom duquel on parle n'est pas en présence des spectateurs du dehors.

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