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PART II.

UN CONTE RUSTIQUE.

POURQUOI LES BÊTES AU BON DIEU SONT APPELÉES BÊTES AU BON DIEU, ET POURQUOI ON LES A EN VÉNÉRATION.

'ÉTAIT au temps d'autrefois, alors que les seigneurs avaient pleine maîtrise sur les pays et sur les

paysans.

Un jour, il arriva que le frère du seigneur d'un pays 5 fut trouvé mort, tué derrière la haie d'un champ.

De cette action le seigneur fut fortement affligé et courroucé; car il portait grande affection à son frère.

Il ordonna donc que l'on fît soigneuse recherche de l'assassin, se promettant bien de le châtier - s'il était 10 découvert par quelque supplice terrible.

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Le soir même, à l'heure où le seigneur, priant et pleurant, était agenouillé près du corps du défunt, voilà qu'il entendit venir une foule bruyante.

Il se leva.

Dans la chambre entra le chef de ses serviteurs, appelé Croudas, qui lui dit:

Seigneur, j'ai moi-même découvert l'assassin, et je l'ai fait prendre pour être conduit devant vous. Le seigneur, qui eut comme une joie dans sa 20 tristesse, une joie de vengeance, le seigneur dit:

Qu'on l'amène ici même: c'est devant le corps

du défunt que je veux juger ce misérable. Si je me laissais aller à la douceur, cette vue me rappellerait la promesse que je me suis faite de mesurer la punition

au crime.

Croudas fit donc un signe au dehors; et les servi- 5 teurs amenèrent devant leur maître un paysan qui se jeta à genoux en disant:

Ayez pitié de moi, seigneur, je n'ai point commis. de crime !

Le seigneur demanda à Croudas les preuves qui 10 étaient contre cet homme; Croudas répondit:

Voyez, seigneur, ces taches sur ses habits, c'est

du sang, le sang de votre frère.

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m'en bien, seigneur, je n'ai point tué votre frère.

croyez

J'ai

sur mes habits des taches de sang, c'est vrai; mais je ne sais nullement de quelle manière elles y ont été 20 faites. Ce matin, aux champs, il est arrivé qu'ayant mangé et bu, assis sur l'herbe, non loin de l'endroit où l'on a trouvé le corps du défunt, je me suis tout à coup senti pris d'un lourd sommeil et j'ai dormi. A mon réveil, ces taches étaient sur moi. Les voyant, j'ai 25 d'abord été grandement étonné; mais ensuite, j'ai pensé que, pendant mon sommeil, avait dû passer au-dessus de moi quelque faucon portant dans ses ongles un oiseau qui perdait son sang en l'air. Alors, les taches essuyées de mon mieux, je n'y ai plus pris 30 garde.

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Croudas, continuant d'accuser le paysan, dit encore: Si vous pouviez, seigneur, recevoir comme vraies de telles paroles, je vous prierais de demander à ce scélérat comment il se fait qu'il eût dans sa maison 5 cette bourse, qui est celle du défunt ?

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Oui,

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Et cette chose, seigneur, la reconnaissez-vous aussi? demanda Croudas en montrant une bague d'or. dit encore le seigneur,-c'est l'anneau Io que mon frère portait au grand doigt de sa main droite. Eh bien! - seigneur, reprit Croudas, — je l'ai trouvé moi-même avec la bourse, dans un tiroir de meuble chez cet homme; dira-t-il que les oiseaux l'avaient laissé tomber, ainsi qu'il a fait pour les taches 15 de sang?

N'ayant pu expliquer comment ces choses étaient entrées dans sa maison, le pauvre paysan fut jugé coupable, en dépit de tous ses serments d'innocence.

Le seigneur le condamna à être brûlé vif le lendemain, 20 à l'endroit même où le corps du défunt avait été trouvé, et il le fit jeter dans une noire prison, pour attendre l'heure de la mort.

Chacun dans le pays s'ébahissait en apprenant que cet homme fût accusé d'une telle action, attendu que 25 jusqu'alors il avait toujours fait paraître le plus doux caractère, et toujours tenu la plus sage conduite.

D'ailleurs, cet homme n'avait en vérité rien à se reprocher: le crime étant l'action de Croudas.

Le défunt, connaissant des acquisitions déshonnêtes 30 de Croudas, l'avait menacé de le dénoncer au seigneur, s'il ne faisait pas restitution. Croudas l'avait donc

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