Page images
PDF
EPUB

UNE

LE TRÉSOR DU VIEUX SEIGNEUR.

NE nuit du mois de septembre 1828, le digne et respectable libraire Furbach, de la rue Neuhauser, à Munich, s'eveilla tout étonné d'entendre marcher 5 dans la mansarde au-dessus de sa chambre: on allait, on venait, on se lamentait; une des lucarnes en tabatière de la mansarde s'ouvrit, et de longs soupirs s'exhalèrent dans le silence.

En ce moment, la chapelle des jésuites sonnait une Io heure, et sous la chambre de M. Furbach, les chevaux piétinaient dans leur écurie.

La mansarde était occupée par le cocher Nicklausse, un grand gaillard du Pitcherland, sec, nerveux, fort habile à conduire les chevaux, ayant même fait quelques 15 études au séminaire de Marienthâl; mais d'un esprit simple et superstitieux, à ce point qu'il portait une petite croix de bronze sous sa chemise et la baisait matin et soir, quoiqu'il eût passé trente ans.

M. Furbach prêta l'oreille; au bout de quelques se20 condes la lucarne se referma, les pas cessèrent, le lit du cocher cria, enfin tout se tut.

25

<«< Allons, se dit le vieux libraire, c'est aujourd'hui pleine lune; Nicklausse se frappe la poitrine; il gémit sur ses péchés, le pauvre diable ! »

Et sans s'inquiéter davantage de ces choses, s'étant retourné, bientôt il s'endormit.

Le lendemain, vers sept heures, M. Furbach, les pieds dans ses pantoufles, déjeunait tranquillement avant de descendre à son magasin, lorsque deux petits coups retentirent à sa porte.

<«< Entrez ! » dit-il tout surpris d'une visite si matinale. 5 La porte s'ouvrit, et Nicklausse parut en blouse grise, coiffé du large feutre montagnard, et le gros bâton au poing, tel qu'il s'était présenté jadis en arrivant de son village. Il était pâle.

<«< Monsieur Furbach, dit-il, je viens vous demander 10 mon congé; grâce au ciel, je vais enfin être à mon aise et pouvoir aider ma grand' mère Orchel, de Vangebourg. Auriez-vous fait un héritage? lui demanda le vieux

libraire.

- Non, Monsieur Furbach, j'ai fait un rêve: j'ai 15 rêvé d'un trésor, entre minuit et une heure, et je vais mettre la main dessus.>>

Le brave garçon parlait avec une telle assurance, que M. Furbach demeura confondu.

« Comment, vous avez fait un rêve? dit-il.

Oui, monsieur, j'ai vu le trésor comme je vous vois, au fond d'une cave très-basse, dans un vieux château. Il y avait un seigneur couché dessus, les mains jointes, un gros pot de fer sur la tête.

Mais où cela, Nicklausse?

Ah! je n'en sais rien. Je vais d'abord chercher le château; je trouverai bien ensuite la cave et les écus: des pièces d'or plein un cercueil de six pieds ; il me semble les voir.»

20

25

Les yeux de Nicklausse se prirent à briller d'une 30 façon étrange.

ΙΟ

15

20

«Voyons, mon pauvre Nicklausse, voyons! s'écria le vieux Furbach, soyons raisonnable. Asseyez-vous. Un rêve... c'est bien, c'est très-bien; du temps de Joseph, je ne dis pas, les rêves signifiaient quelque chose; 5 mais aujourd'hui, c'est bien différent. Tout le monde rêve; moi-même j'ai rêvé cent fois de

trésor, et malRéfléchissez,

heureusement je n'en ai jamais trouvé. vous allez quitter une bonne place, pour courir après un château qui n'existe peut-être pas.

-Je l'ai vu, dit le cocher, c'est un grand château qui tombe en ruine; il y a au-dessous un village, un grand escalier en coquille, une église très-vieille ; beaucoup de gens demeurent encore dans ce pays, une grande rivière passe auprès.

- Bon! tout cela vous l'avez rêvé, je le crois,» dit M. Furbach en haussant les épaules.

Puis, au bout d'un instant, voulant ramener cet homme au bon sens, par un moyen quelconque :

« Et votre cave, comment était-elle ? demanda-t-il.

[ocr errors]

Elle ressemblait à un four.

Et vous y êtes descendu sans doute avec une lumière.

Non, Monsieur.

Mais alors, comment avez-vous pu voir le cercueil,

25 le chevalier et les pièces d'or?

30

- Ils étaient éclairés par un rayon de la lune.

- Allons donc !... est-ce que la lune brille dans une cave? Vous voyez bien que votre rêve n'a pas le

sens commun.»

Nicklausse commençait à se fâcher; cependant il se contint et dit :

«Je l'ai vu, tout le reste ne me regarde pas. quant au chevalier, tenez, le voilà, s'écria-t-il ouvrant sa blouse, le voilà ! »

Et

en

En même temps, il tirait de sa poitrine la petite croix de bronze suspendue par un ruban, et la déposait sur la 5 table d'un air d'extase.

M. Furbach, grand amateur de médailles et d'antiquités, fut surpris du travail bizarre et vraiment précieux de cette relique. Il la prit, l'examina, et reconnut qu'elle remontait au XIIe siècle. Au lieu de l'effigie 10 du Christ, saillait en relief, sur la branche du milieu, celle d'un chevalier, les mains jointes dans l'attitude de la prière.

Nicklausse, pendant cet examen, suivait les moindres gestes du libraire avec inquiétude.

15

«C'est fort beau, reprit M. Furbach; je ne serais même pas étonné qu'à force de regarder cette jolie relique, vous n'ayez fini par vous figurer un chevalier étendu sur un trésor; mais croyez-moi, mon garçon, le véritable trésor qu'il faut rechercher est celui de la 20 croix; le reste ne vaut pas la peine qu'on en parle.»

Nicklausse ne répondit pas; seulement, après avoir passé le cordon à son cou, il dit:

« Je pars, la sainte Vierge m'éclaire!... Quand le 25 Seigneur nous veut du bien, il faut en profiter. Vous m'avez toujours bien traité, monsieur Furbach, c'est vrai, mais le bon Dieu m'ordonne de partir. Et puis, il est temps que je me marie: j'ai vu là-bas, dans mon rêve, une jeune fille faite exprès pour moi.

- Et de quel côté allez-vous? demanda le libraire,

30

« PreviousContinue »