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DON PÈDRE, à Zaïde, lui montrant Isidore. Entrez là-dedans avec elle, et n'appréhendez rien.

SCÈNE XVI.

ADRASTE, DON PEDRE.

DON PEDRE.

Hé quoi! seigneur, c'est vous? Tant de jalousie pour un François? Je pensois qu'il n'y eût que nous qui en fussions capables.

ADRASTE.

Les François excellent toujours dans toutes les choses qu'ils font; et, quand nous nous mêlons d'être jaloux, nous le sommes vingt fois plus qu'un Sicilien. L'infame croit avoir trouvé chez vous un assuré refuge; mais vous êtes trop raisonnable pour blåmer mon ressentiment. Laissez-moi, je vous prie, la traiter comme elle mérite.

DON PEDRE.

Ah! de grace, arrêtez. L'offense est trop petite pour un courroux si grand.

ADRASTE.

La grandeur d'une telle offense n'est pas dans l'importance des choses que l'on fait. Elle est à transgresser les ordres qu'on nous donne; et, sur de pareilles matières, ce qui n'est qu'une bagatelle devient fort criminel lorsqu'il est défendu.

DON PEDRE.

De la façon qu'elle a parlé, tout ce qu'elle en a fait a été sans dessein; et je vous prie enfin de vous remettre bien ensemble.

ADRASTE.

Hé quoi! vous prenez son parti, vous qui êtes si délicat sur ces sortes de choses?

DON PEDRE.

Oui, je prends son parti; et, si vous voulez m'obliger, vous oublierez votre colère, et vous vous réconcilierez tous deux.

C'est une grace que je vous demande; et je la recevrai comme un essai de l'amitié que je veux qui soit entre nous.

ADRASTE.

Il ne m'est pas permis, à ces conditions, de vous rien refuser. Je ferai ce que vous voudrez.

SCÈNE XVII.

ZAÏDE, DON PÈDRE, ADRASTE, caché dans un coin du théâtre.

DON PÈDRE, à Zaïde.

Holà! venez. Vous n'avez qu'à me suivre, et j'ai fait votre paix. Vous ne pouviez jamais mieux tomber que chez moi.

ZAÏDE.

Je vous suis obligée plus qu'on ne sauroit croire: mais je m'en vais prendre mon voile; je n'ai garde, sans lui, de paroître à ses yeux.

SCÈNE XVIII.

DON PÈDRE, ADRASTE.

DON PÈDRE.

La voici qui s'en va venir; et son ame, je vous assure, a paru toute réjouie lorsque je lui ai dit que j'avois raccommodé

tout.

SCÈNE XIX.

ISIDORE, sous le voile de Zaide; ADRASTE, DON PÈDRE.

DON PÈDRE, à Adraste.

Puisque vous m'avez bien voulu abandonner votre ressentiment, trouvez bon qu'en ce lieu je vous fasse toucher dans la main l'un de l'autre ; et que tous deux je vous conjure de vivre, pour l'amour de moi, dans une parfaite union.

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ADRASTE.

Oui, je vous le promets que, pour l'amour de vous, je m'en vais, avec elle, vivre le mieux du monde.

DON PEDRE.

Vous m'obligez sensiblement, et j'en garderai la mémoire.

ADRASTE.

Je vous donne ma parole, seigneur don Pèdre, qu'à votre considération, je m'en vais la traiter du mieux qu'il me sera possible.

DON PÈDRE.

C'est trop de grace que vous me faites. (seul.) Il est bon de pacifier et d'adoucir toujours les choses. Holà! Isidore, venez.

SCÈNE XX.

ZAIDE, DON PEDRE.

DON PÈDRE.

Comment! que veut dire cela?

ZAÏDE, sans voile.

Ce que cela veut dire? Qu'un jaloux est un monstre haï de tout le monde, et qu'il n'y a personne qui ne soit ravi de lui nuire, n'y eût-il point d'autre intérêt; que toutes les serrures et les verrous du monde ne retiennent point les personnes, et que c'est le cœur qu'il faut arrêter par la douceur et par la complaisance; qu'Isidore est entre les mains du cavalier qu'elle aime, et que vous êtes pris pour dupe'.

DON PEDRE.

Don Pèdre souffrira cette injure mortelle! Non, non j'ai trop de cœur, et je vais demander l'appui de la justice pour

'Isidore échappe à don Pèdre comm⚫ Isabelle à Sganarelle dans l'École des Maris. Mais ici c'est don Pèdre lui-même qui remet sa maitresse entre les mains d'Adraste; et, pour que rien ne manque à cette scène comique, c'est un jaloux qui supplie son rival de ne pas être jaloux. Ainsi, tout en reproduisant une situation déja connue, Molière sait lui donner tout l'attrait d'une situation nouvelle. (L. B.)

pousser le perfide à bout'. C'est ici le logis d'un sénateur.

Hola 2!

SCÈNE XXI.

UN SÉNATEUR, DON PÈDRE.

LE SENATEUR.

Serviteur, seigneur don Pèdre. Que vous venez à propos !
DON PEDRE.

Je viens me plaindre à vous d'un affront qu'on m'a fait.
LE SÉNATEUR.

J'ai fait une mascarade la plus belle du monde.

DON PEDRE.

Un traître de François m'a joué une pièce.
LE SENATEUR.

Vous n'avez, dans votre vie, jamais rien vu de si beau.
DON PEDRE.

Il m'a enlevé une fille que j'avois affranchie.

LE SENATEUR.

Ce sont gens vêtus en Maures, qui dansent admirablement. DON PEDRE.

Vous voyez si c'est une injure qui se doive souffrir.

LE SÉNATEUR.

Les habits merveilleux, et qui sont faits exprès.

DON PEDRE.

Je vous demande l'appui de la justice contre cette action.

LE SÉNATEUR.

Je veux que vous voyiez cela. On la va répéter, pour en donner le divertissement au peuple.

*La pièce est entièrement finie en cet endroit, puisque don Pèdre ne doit pas plus recouvrer Isidore que Sganarelle Isabelle, Arnolphe, Agnès, etc. La scène qui suit est donc un hors-d'œuvre ; mais cette scène est bien comique, et elle étoit nécessaire pour amener le divertissement de la fin. (A.)

* Ici le théâtre change, et l'auteur place encore une fois la scène à la porte de don Pèdre. (B.)

DON PÊDRE.

Comment! de quoi parlez-vous là?

LE SÉNATEUR.

Je parle de ma mascarade.

DON PÈDRE.

Je vous parle de mon affaire.

LE SÉNATEUR.

Je ne veux point, aujourd'hui, d'autres affaires que de plaisir'. Allons, messieurs, venez. Voyons si cela ira bien.

DON PÈDRE.

La peste soit du fou, avec sa mascarade!

LE SÉNATEUR.

Diantre soit le fâcheux, avec son affaire!

SCÈNE XXII.

UN SÉNATEUR, TROUPE DE DANSEURS.

ENTRÉE DE BALLET.

(Plusieurs danseurs, vêtus en Maures, dansent devant le sénateur, et finissent la comédie 2.)

'Encore un changement dans les mœurs, signalé de la manière la plus comique. Cette scène est un trait de ridicule lancé sur les jolis magistrats qui, déja du temps de Molière, plus occupés de leurs plaisirs que de l'étude des lois, «oublioient que * la gravité de leur profession les devoit éloigner des vanités du grand monde . ⚫des jeux, de la chasse, de la danse, et qui, comme les magistrats du bon vieux temps, ne trouvoient plus leur plaisir et leur gloire à exercer dignement leur charge.

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(B.)

'Le Sicilien est la seule petite pièce en un acte où il y ait de la grace et de la galanterie. Les autres petites pièces, que Molière ne donnoit que comme des farces, ont d'ordinaire un fond plus bouffon, et moins agréable. (V.) — En effet, il étoit réservé à Molière de créer tous les genres de comédie. Jusqu'alors on n'avoit cherché dans les petites pièces qu'à égayer les spectateurs, et l'on ne s'étoit pas montré difficile sur le choix des moyens. On ne croyoit pas que la grace, la délicatesse et l'élégance des manières pussent entrer dans des comédies qu'on ne considéroit que comme des farces destinées à reposer l'attention long-temps occupée ou par une tragédie, ou par une comédie de caractère. Le Sicilien prouva qu'on pouvoit réussir dans un genre absolument différent. C'est la première de nos petites pièces où l'on trouve cette galanterie légère, cette finesse de sentiment qui jusque

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