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DE POURCEAUGNAC.

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ACTE PREMIER.

SCÈNE I'.

ERASTE, UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS CHANTANTS, PLUSIEURS AUTRES JOUANT DES INSTRUMENTS; TROUPE DE DANSEURS.

ÉRASTE, aux musiciens et aux danseurs.

Suivez les ordres que je vous ai donnés pour la sérénade. Pour moi, je me retire, et ne veux point paroître ici.

Cette pièce, composée pour le roi, fut jouée devant lui à Chambord, au mois de septembre 1669, et représentée sur le théâtre du Palais-Royal, le 15 novembre de la même année. Ce fut à cette représentation que la troupe de Molière prit pour la première fois le titre de troupe du roi. Grimarest dit que cette pièce fut faite à l'occasion d'un gentilhomme limousin, qui, un jour de spectacle, eut une querelle sur le théâtre avec les comédiens. Molière se vengea du campagnard, en le mettant sur la scène avec tous ses ridicules. Robinet appuie cette anecdote dans une lettre en vers, du 23 novembre :

Tout est dans ce sujet follet

De comédie et de ballet

Digne de son rare génie,

Qu'll tourne certe et qu'il manie
Comme il lui plait incessamment,
Avec un nouvel agrément,

Comme il tourne aussi sa personne,
Ce qui pas moins ne nous étonne,
Selon les sujets comme il veut.
Il joue autant bien qu'il se peut
Ce marquis de nouvelle fonte,
Dont par hasard, à ce qu'on conte,

SCÈNE II.

UNE MUSICIENNE, DEUX MUSICIENS CHANTANTS; PLUSIEURS
AUTRES JOUANT DES INSTRUMENTS; TROUPE DE DANSEURS.

(Cette sérénade est composée de chant, d'instruments et de danse. Les
paroles qui s'y chantent ont rapport à la situation où Éraste se trouve
avec Julie, et expriment les sentiments de deux amants qui sont traver-
sés dans leurs amours par le caprice de leurs parents.)

UNE MUSICIENNE.

Répands, charmante nuit, répands sur tous les yeux
De tes pavots la douce violence;

Et ne laisse veiller en ces aimables lieux

Que les cœurs que l'amour soumet à sa puissance.

L'original est à Paris :

En colère autant que surpris
De s'y voir dépeint de la sorte,
I jure, il tempête, il s'emporte,

Et veut faire ajourner l'auteur

En réparations d'honneur.

Tant pour lui que pour sa famille,

Laquelle en Pourceauguacs fourmille....

Sans doute Molière s'est borné à copier l'habit, l'allure et les ridicules de son Limousin, puisque tout ce qui arrive à Pourceaugnac est imité des Disgraces d'Arlequin, canevas italien; de la Désolation des filous sur la défense des armes, farce de chevalier, et d'une nouvelle de Scarron, intitulée Ne pas croire ce qu'on voit. (C.) L'idée principale de Pourceaugnac est tirée, soit des Facetieus's journées de Gabriel Chapuis, soit des Repues franches de Villon, soit encore des Nouveaux Contes à rire, ou des Contes du sieur d'Ouville. Mais l'auteur de l'Histoire générale des larrons" est peut-être celui qui a le mieux indiqué ce sujet. Un filou, après avoir prévenu un chirurgien qu'il doit lui amener un jeune homme dont la tête est dérangée, entre chez un marchand, achète une pièce de drap, emmène avec lui le commis, sous prétexte de le payer, et le laisse entre les mains du docteur qui doit le guérir. Quoi qu'il en soit, cette idée, si souvent copiée, avoit été, au douzième siècle, le sujet d'un charmant fabliau, connu sans doute des Italiens et de Villon, et que Molière lui-même avoit pu lire. puisqu'il est rapporté en partie dans le sommaire des œuvres de cent vingt-sept poëtes françois. par le président Claude Fauchet. Il est également possible que Molière ait été inspiré par la lecture de Plante, où l'on trouve une scène à peu près pareille. Voyez les Menechmes.

Journée III, nouvelle x.

Histoire générale des larrons, 3 vol. in-12 Paris, 1639, t. 1, p 20,

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Tes ombres et ton silence,

Plus beaux que le plus beau jour,

Offrent de doux moments à soupirer d'amour.

PREMIER MUSICIEN.

Que soupirer d'amour

Est une douce chose,

Quand rien à nos vœux ne s'oppose!
A d'aimables penchants notre cœur nous dispose:
Mais on a des tyrans à qui l'on doit le jour.
Que soupirer d'amour

Est une douce chose,

Quand rien à nos vœux ne s'oppose !

SECOND MUSICIEN.

Tout ce qu'à nos vœux on oppose
Contre un parfait amour ne gagne jamais rien :
Et pour vaincre toute chose

Il ne faut que s'aimer bien.

TOUS TROIS ENSEMBLE.

Aimons-nous donc d'une ardeur éternelle :
Les rigueurs des parents, la contrainte cruelle,
L'absence, les travaux, la fortune rebelle,
Ne font que redoubler une amitié fidèle.
Aimons-nous donc d'une ardeur éternelle :
Quand deux cœurs s'aiment bien,
Tout le reste n'est rien.

PREMIÈRE ENTRÉE DE BALLET.

(Danse de deux maîtres à danser.)

DEUXIÈME ENTRÉE DE BALLET.

(Danse de deux pages.)

TROISIÈME ENTRÉE DE BALLET.

(Quatre curieux de spectacles, qui ont pris querelle pendant la danse des deux pages, dansent en se battant l'épée à la main.)

QUATRIÈME ENTRÉE DE BALLET.

(Deux suisses séparent les quatre combattants, et, après les avoir mis d'accord dansent avec eux.)

SCÈNE III.

JULIE, ERASTE, NÉRINE.

JULIE.

Mon Dieu! Éraste, gardons d'être surpris. Je tremble qu'on ne nous voie ensemble, et tout seroit perdu, après la défense l'on m'a faite.

que

ÉRASTE.

Je regarde de tous côtés, et je n'aperçois rien.

JULIE, à Nérine.

Aie aussi l'œil au guet, Nérine, et prends bien garde qu'il ne vienne personne.

NÉRINE, se retirant dans le fond du théâtre. Reposez-vous sur moi, et dites hardiment ce que vous avez à vous dire.

JULIE.

Avez-vous imaginé pour notre affaire quelque chose de favo rable? et croyez-vous, Éraste, pouvoir venir à bout de détourner ce fâcheux mariage que mon père s'est mis en tête ?

ÉRASTE.

Au moins y travaillons-nous fortement; et déja nous avons préparé un bon nombre de batteries pour renverser ce dessein ridicule.

NÉRINE, accourant, à Julie.

Par ma foi, voilà votre père.

Ah! séparons-nous vite.

JULIE.

NÉRINE.

Non, non, non, ne bougez; je m'étois trompée.

JULIE.

Mon Dieu! Nérine, que tu es sotte de nous donner de ces frayeurs.

ÉRASTE.

Oui, belle Julie, nous avons dressé pour cela quantité de machines; et nous ne feignons point de mettre tout en usage, sur la permission que vous m'avez donnée. Ne nous demandez point tous les ressorts que nous ferons jouer; vous en aurez le divertissement; et, comme aux comédies, il est bon de vous laisser le plaisir de la surprise, et de ne vous avertir point de tout ce qu'on vous fera voir : c'est assez de vous dire que nous avons en main divers stratagèmes tout prêts à produire dans l'occasion, et que l'ingénieuse Nérine et l'adroit Sbrigani entreprennent l'affaire.

NÉRINE.

Assurément. Votre père se moque-t-il, de vouloir vous anger de son avocat de Limoges, monsieur de Pourceaugnac, qu'il n'a vu de sa vie, et qui vient par le coche vous enlever à notre barbe? Faut-il que trois ou quatre mille écus de plus, sur la parole de votre oncle, lui fassent rejeter un amant qui vous agrée 2? et une personne comme vous est-elle faite pour un Limosin? S'il a envie de se marier, que ne prend-il une Limosine, et ne laisse-t-il en repos les chrétiens? Le seul nom de monsieur de Pourceaugnac m'a mise dans une colère effroyable. J'enrage de monsieur de Pourceaugnac. Quand il n'y auroit que ce nomlà, monsieur de Pourceaugnac, j'y brûlerai mes livres, ou je romprai ce mariage; et vous ne serez point madame de Pourceaugnac. Pourceaugnac! cela se peut-il souffrir? Non, Pourceaugnac est une chose que je ne saurois supporter; et nous lui jouerons tant de pièces, nous lui ferons tant de niches sur

'Anger. Vieux mot du latin angere ; il signifie embarrasser, incommoder. (RICHELET.) — Ménage le fait venir du persan angari, ou du vieux allemand angen, presser, serrer, vexer.

1 Agréer signifie tantôt accepter, tantôt étre agréable. Il est ici dans ce dernier sens. On devroit s'en servir encore. (L. B.)

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