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GEORGE DANDIN,

OU

LE MARI CONFONDU,

COMÉDIE EN TROIS ACTES.

1668.

PERSONNAGES.

GEORGE DANDIN*, riche paysan, mari d'Angélique'. ANGÉLIQUE, femme de George Dandin, et fille de M. de Sotenville'.

M. DE SOTENVILLE, gentilhomme campagnard, père d'Angélique 3.

MADAME DE SOTENVILLE‘.

CLITANDRE, amant d'Angélique 5.
CLAUDINE, suivante d'Angélique.
LUBIN, paysan, servant Clitandre '.
COLIN, valet de George Dandin.

ACTEURS.

'Molière. — Mademoiselle MOLIÈRE. - DU CROISY. -* HUBERT. — 'LA GRANGE. Mademoiselle De Brie.- - LA THORillière.

La scène est devant la maison de George Dandin, à la campagne.

Dandin est dit de celui qui baye (regarde) çà et là par sottise et badaudise, sans avoir contenance arrestée : ineptus, insipidus; et dandiner, user de telle badaudise, ineptire. (Nicoт.) Étienne Pasquier dérive ce mot du terme factice dindan, parceque la marche d'un dandin représente assez bien le mouvement des cloches. Rabelais est, je crois, le premier qui ait fait un nom propre de ce mot si expressif de notre vieille langue. Il a été successivement imité par Racine, Molière, et La Fontaine.

OU

LE MARI CONFONDU.

00000006 00 00 00 DE

ACTE PREMIER.

SCÈNE I'.

GEORGE DANDIN.

Ah! qu'une femme demoiselle 2 est une étrange affaire! et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans

L'année 1668 fut une des plus glorieuses du règne de Louis le Grand, par la conquête de la Franche-Comté, en un seul mois d'hiver; par le traité d'Aix-laChapelle, du 2 mai, qui lui conserva ses conquêtes des Pays-Bas ; et par le coup d'autorité qui fit disparoître des registres du parlement tout ce qui s'y étoit passé depuis 4647 jusqu'en 1652. Ami des arts ainsi que de la gloire, ce prince, toujours galant et toujours magnifique, voulut réparer par une fête d'été les plaisirs dont son absence avoit privé la cour pendant le carnaval. C'est dans cette fête que la comédie de George Dandin fut représentée pour la première fois, le 18 juillet 1668, avec des intermèdes dont les paroles se ressentent un peu de la précipitation avec laquelle Molière se prêta aux ordres du roi. Le sujet de George Dandin a été fourni à Molière par deux contes de Boccace, dans lesquels deux maris trompés par les ruses de leurs femmes, loin de pouvoir prouver les plaintes qu'ils ont sujet d'en faire, sont encore honnis par les voisins ou les parents qu'ils ont envoyé chercher. (B.) — Au moment où Molière alloit mettre sa pièce au théâtre, un de ses amis lui fit entendre qu'il y avoit dans le monde un homme qui pourroit bien se reconnoître dans le personnage de Dandin, et qui, par ses amis et sa famille, étoit en état de nuire au succès de la pièce : « Je sais, répondit Molière, un moyen << sûr de me concilier cet homme ; j'irai lui lire ma pièce. » En effet, le même soir, Molière l'aborde au spectacle, et lui demande une de ses heures perdues pour lui faire une lecture. L'homme en question se trouva si fort honoré de cette preuve de confiance, que, toute affaire cessante, il donna parole pour le lendemain. Molière, disoit-il à tout le monde, me lit ce soir une comédie, voulez-vous en

qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, et s'allier, comme j'ai fait, à la maison d'un gentilhomme! La noblesse, de soi, est bonne; c'est une chose considérable, assurément: mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu'il est très bon de ne s'y point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, et connois le style des nobles, lorsqu'ils nous font, nous autres, entrer dans leur famille. L'alliance qu'ils font est petite avec nos personnes c'est notre bien seul

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«être?» Le soir, Molière trouva une nombreuse assemblée, et son horame qui la présidoit : la pièce fut trouvée excellente. Lorsque plus tard elle fut représentée. elle n'eut pas de plus zélé partisan que ce pauvre mari, qui ne s'étoit pas reconnu. (GRIMAREST.) - Le sujet de George Dandin n'appartient ni à Boccace ni à l'auteur du Chastoiement, recueil de contes en vers du douzième siècle, à qui Boccace l'avoit emprunté. Il est tiré du Dolopatos, ouvrage bizarre, écrit cent ans avant l'ère chrétienne, et qui peut se glorifier d'une des plus heureuses destinées qu'aucun livre ait jamais obtenue. Originairement écrit en indien, il fut traduit en persan, et successivement du persan en arabe, de l'arabe en hébreu, de l'hébreu en syriaque, et du syriaque en grec. Il est probable qu'il fut apporté en France à l'époque des premières croisades, et que les trouvères s'enrichirent de ses pins brillantes inventions. Vers le commencement du douzième siècle il fut traduit en latin par un moine de l'abbaye de Hauteselve, et un peu plus tard traduit du latin en langue romane, ce qui le répandit en France ". Molière n'a connu ni le Dolopalos, ni les charmants fabliaux de nos trouvères, ni le Chastoiement, qui renferme plusieurs contes du Dolopalos, et entre autres le conte de Celui qui enferma sa femme en une tour. Mais il n'en est pas de même de Boccace, qui jeune encore fut envoyé à Paris, où il fit ses études, et où il eut occasion de recueillir, soit dans les manuscrits, soit par la tradition, la plupart des fabliaux qu'il publis dans la suite. Rien n'est donc plus singulier que la destinée de ce conte, qui, originaire d'Asie, passa successivement dans toutes nos langues savantes, et finit, en se modifiant toujours, suivant les mœurs du peuple qui l'adoptoit, par amuser la cour du grand roi, et servir aux fêtes d'un de ses triomphes.

2 Damoiselle, c'est proprement, et selon l'usage ancien du mot, une gentille femme, et est le féminin de damoisel, qui signifioit gentil homme. (Nicor.) Ce titre se donnoit aux femmes mariées, nées de parents nobles. On connoît plusieurs lettres de Montaigne adressées à sa femme, et qui commencent ainsi : A mademoiselle de Montaigne, ma femme ***. On connoit aussi un petit dialogue très piquant, intitulé le Debat de la damoiselle et de la bourgeoisie, nouvellement imprimé à Paris ; très bon et très joyeux. Guillaume Vigneux, in-4°, gothique.

Voyez le Mémoire de M. Dacier sur le Dolopatos, recueil de l'Académie des inscriptions. Voyez les Fabliauz de Legrand-d'Aussy, tome 111, p. 152; les Fabliaux de Méon, tome II. ronte XII; et enfin le Chasto:ement, par Pierre Alphonse, édition donnée en 1821.

*** Voyez les Lettres de Montaigne, à la suite de la Mesnagerie de Xenophon, etc., traduite par Et. de La Boetie, pag. 89.

qu'ils épousent; et j'aurois bien mieux fait, tout riche que je suis, de m'allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s'offense de porter mon nom, et pense qu'avec tout mon bien je n'ai pas acheté la qualité de son mari. George Dandin! George Dandin! vous avez fait une sottise, la plus grande du monde. Ma maison m'est effroyable maintenant, et je n'y rentre point sans y trouver quelque chagrin.

SCÈNE II.

GEORGE DANDIN, LUBIN.

GEORGE DANDIN, à part, voyant sortir Lubin de chez lui.
Que diantre ce drôle-là vient-il faire chez moi?

LUBIN, à part, apercevant George Dandin.

Voilà un homme qui me regarde.

GEORGE DANDIN, à part.

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J'ai peur qu'il n'aille dire qu'il m'a vu sortir de là-dedans.

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Non je n'y suis venu que pour voir la fête de demain.

GEORGE DANDIN.

Hé! dites-moi un peu, s'il vous plaît: vous venez de là-dedans?

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