JUPITER. Oui, vous avez raison; et cette ressemblance C'est un mauvais moyen d'éclaircir ce mystère, Et tous deux à vos yeux nous le pouvons paroître. Et je prétends me faire à tous si bien connoître, C'est aux yeux des Thébains que je veux avec vous De l'éclaircir aux yeux de tous. Alcmène attend de moi ce public témoignage; De venir honorer la table Où vous a Sosie invités. SOSIE. Je ne me trompois pas, messieurs; ce mot termine Toute l'irrésolution; Le véritable Amphitryon Est l'Amphitryon où l'on dine'. AMPHITRYON. O ciel! puis-je plus bas me voir humilié ? NAUCRATES, à Amphitryon. Vous vous plaignez à tort. Permettez-nous d'attendre Les ressentiments de saison. Je ne sais pas s'il impose; Comme s'il avoit raison. AMPHITRYON. Allez, foibles amis, et flattez l'imposture : JUPITER. Hé bien! je les attends, et saurai décider Le différend en leur présence. AMPHITRYON. Fourbe, tu crois par-là peut-être t'évader; On prétend que Boileau n'étoit point content de ces deux vers, qui ont passé en proverbe, malgré leur irrégularité *. Au lieu d'où, il faudroit chez qui. On pardonne cette faute en faveur du tour et de la plaisanterie. Molière ne doit pas cette idée à Plaute, il la doit à Rotrou, qui a eu la maladresse de la mettre dans la bouche d'un capitaine : << Point, point d'Amphitryon où l'on ne dine point. » Où n'est pas ici une faute; le sens est différent : où l'on ne dine pas, il n'y a point d'Amphitryon. Mais si le vers de Rotrou est correct, les deux vers de Molière sont beaucoup plus piquants, et bien mieux placés dans la bouche de Sosie. (L. B.) Mais rien ne te sauroit sauver de ma vengeance. A ces injurieux propos JUPITER. Je ne daigne à présent répondre ; Cette fureur avec deux mots. AMPHITRYON. Le ciel même, le ciel ne t'y sauroit soustraire; JUPITER. Il ne sera pas nécessaire; Et l'on verra tantôt que je ne fuirai pas. AMPHITRYON, à part. Allons, courons, avant que d'avec eux il sorte, Et chez moi venons à main forte Pour le percer de mille coups'. * Cette scène répond à la quatrième scène du quatrième acte de Plaute. Molière a mieux ménagé les convenances que son modèle. Amphitryon ne dit point ici à Jupiter qu'il en a menti, mentiris, et celui-ci pour se venger ne prend point Amphitryon à la gorge afin de l'étrangler. Plaute, dans l'interrogatoire qu'il fait subir aux deux Amphitryons, revient avec assez peu d'art à la plaisanterie de la scène seconde du premier acte sur la bouteille : ..... Nisi latult intus in illa hirnea. Plaisanterie que Plaute répète en ces termes : Intus in crumena clausum alterum esse oportuit. D'après ces observations, il est aisé de voir que si Molière n'eût été qu'un simple imitateur, il eût fait une comédie pen convenable pour des François. C'est pourtant sur la différence heureuse de cette scène de Molière, avec celle de Plaute, que madame Dacier s'écrie douloureusement que notre auteur a négligé le plus bel incident. (B.) SCÈNE VI. JUPITER, NAUCRATES, POLIDAS, SOSIE. JUPITER. Point de façon, je vous conjure; Entrons vite dans la maison. NAUCRATES. Certes, toute cette aventure Confond le sens et la raison. SOSIE. Faites trève, messieurs, à toutes vos surprises, (seul.) Que je vais m'en donner, et me mettre en beau train Je brûle d'en venir aux prises; SCÈNE VII. MERCURE, SOSIE. MERCURE. Arrête. Quoi! tu viens ici mettre ton nez, Impudent fleureur de cuisine! Ah! de grace, tout doux! SOSIE. MERCURE. Ah! vous y retournez! Je vous ajusterai l'échine. SOSIE. Hélas! brave et généreux moi, Et ne te plais point tant à frapper dessus toi'. MERCURE. Qui de t'appeler de ce nom A pu te donner la licence? Ne t'en ai-je pas fait une expresse défense, SOSIE. C'est un nom que tous deux nous pouvons à la fois Pour Sosie en tous lieux on sait me reconnoître; Et, parmi leurs contentions, Faisons en bonne paix vivre les deux Sosies. MERCURE. Non, c'est assez d'un seul, et je suis obstiné SOSIE. Du pas devant sur moi tu prendras l'avantage; MERCURE. Non! un frère incommode, et n'est pas de mon goût Et je veux être fils unique. SOSIE. O cœur barbare et tyrannique! Souffre qu'au moins je sois ton ombre. MERCURE. Point du tout. Je suis mort, au secours! Épargne-moi, de grace! Sosie, hélas! ta main sur toi-même se lasse; MERCURE. Ce passe-temps me plalt. J'aime à frapper sur moi. (ROTROU.) |