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JUPITER.

Oui, vous avez raison; et cette ressemblance
A douter de tous deux vous peut autoriser.
Je ne m'offense point de vous voir en balance;
Je suis plus raisonnable, et sais vous excuser.
L'œil ne peut entre nous faire de différence,
Et je vois qu'aisément on s'y peut abuser:
Vous ne me voyez point témoigner de colère,
Point mettre l'épée à la main;

C'est un mauvais moyen d'éclaircir ce mystère,
Et j'en puis trouver un plus doux et plus certain.
L'un de nous est Amphitryon;

Et tous deux à vos yeux nous le pouvons paroître.
C'est à moi de finir cette confusion;

Et je prétends me faire à tous si bien connoître,
Qu'aux pressantes clartés de ce que je puis être
Lui-même soit d'accord du sang qui m'a fait naître,
Et n'ait plus de rien dire aucune occasion.

C'est aux yeux des Thébains que je veux avec vous
De la vérité pure ouvrir la connoissance;
Et la chose sans doute est assez d'importance
Pour affecter la circonstance

De l'éclaircir aux yeux de tous.

Alcmène attend de moi ce public témoignage;
Sa vertu, que l'éclat de ce désordre outrage,
Veut qu'on la justifie, et j'en vais prendre soin.
C'est à quoi mon amour envers elle m'engage;
Et des plus nobles chefs je fais un assemblage
Pour l'éclaircissement dont sa gloire a besoin.
Attendant avec vous ces témoins souhaités,
Ayez, je vous prie, agréable

De venir honorer la table

Où vous a Sosie invités.

SOSIE.

Je ne me trompois pas, messieurs; ce mot termine

Toute l'irrésolution;

Le véritable Amphitryon

Est l'Amphitryon où l'on dine'.

AMPHITRYON.

O ciel! puis-je plus bas me voir humilié ?
Quoi! faut-il que j'entende ici, pour mon martyre,
Tout ce que l'imposteur à mes yeux vient de dire,
Et que, dans la fureur que ce discours m'inspire,
On me tienne le bras lié!

NAUCRATES, à Amphitryon.

Vous vous plaignez à tort. Permettez-nous d'attendre
L'éclaircissement qui doit rendre

Les ressentiments de saison.

Je ne sais pas s'il impose;
Mais il parle sur la chose

Comme s'il avoit raison.

AMPHITRYON.

Allez, foibles amis, et flattez l'imposture :
Thèbes en a pour moi de tout autres que vous;
Et je vais en trouver qui, partageant l'injure,
Sauront prêter la main à mon juste courroux.

JUPITER.

Hé bien! je les attends, et saurai décider

Le différend en leur présence.

AMPHITRYON.

Fourbe, tu crois par-là peut-être t'évader;

On prétend que Boileau n'étoit point content de ces deux vers, qui ont passé en proverbe, malgré leur irrégularité *. Au lieu d'où, il faudroit chez qui. On pardonne cette faute en faveur du tour et de la plaisanterie. Molière ne doit pas cette idée à Plaute, il la doit à Rotrou, qui a eu la maladresse de la mettre dans la bouche d'un capitaine :

<< Point, point d'Amphitryon où l'on ne dine point. »

Où n'est pas ici une faute; le sens est différent : où l'on ne dine pas, il n'y a point d'Amphitryon. Mais si le vers de Rotrou est correct, les deux vers de Molière sont beaucoup plus piquants, et bien mieux placés dans la bouche de Sosie. (L. B.)

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Mais rien ne te sauroit sauver de ma vengeance.

A ces injurieux propos

JUPITER.

Je ne daigne à présent répondre ;
Et tantôt je saurai confondre

Cette fureur avec deux mots.

AMPHITRYON.

Le ciel même, le ciel ne t'y sauroit soustraire;
Et jusques aux enfers j'irai suivre tes pas.

JUPITER.

Il ne sera pas nécessaire;

Et l'on verra tantôt que je ne fuirai pas.

AMPHITRYON, à part.

Allons, courons, avant que d'avec eux il sorte,
Assembler des amis qui suivent mon courroux;

Et chez moi venons à main forte

Pour le percer de mille coups'.

* Cette scène répond à la quatrième scène du quatrième acte de Plaute. Molière a mieux ménagé les convenances que son modèle. Amphitryon ne dit point ici à Jupiter qu'il en a menti, mentiris, et celui-ci pour se venger ne prend point Amphitryon à la gorge afin de l'étrangler. Plaute, dans l'interrogatoire qu'il fait subir aux deux Amphitryons, revient avec assez peu d'art à la plaisanterie de la scène seconde du premier acte sur la bouteille :

..... Nisi latult intus in illa hirnea.

Plaisanterie que Plaute répète en ces termes :

Intus in crumena clausum alterum esse oportuit.

D'après ces observations, il est aisé de voir que si Molière n'eût été qu'un simple imitateur, il eût fait une comédie pen convenable pour des François. C'est pourtant sur la différence heureuse de cette scène de Molière, avec celle de Plaute, que madame Dacier s'écrie douloureusement que notre auteur a négligé le plus bel incident. (B.)

SCÈNE VI.

JUPITER, NAUCRATES, POLIDAS, SOSIE.

JUPITER.

Point de façon, je vous conjure;

Entrons vite dans la maison.

NAUCRATES.

Certes, toute cette aventure

Confond le sens et la raison.

SOSIE.

Faites trève, messieurs, à toutes vos surprises,
Et, pleins de joie, allez tabler jusqu'à demain.

(seul.)

Que je vais m'en donner, et me mettre en beau train
De raconter nos vaillantises!

Je brûle d'en venir aux prises;
Et jamais je n'eus tant de faim.

SCÈNE VII.

MERCURE, SOSIE.

MERCURE.

Arrête. Quoi! tu viens ici mettre ton nez,

Impudent fleureur de cuisine!

Ah! de grace, tout doux!

SOSIE.

MERCURE.

Ah! vous y retournez!

Je vous ajusterai l'échine.

SOSIE.

Hélas! brave et généreux moi,
Modère-toi, je t'en supplie.
Sosie, épargne un peu Sosie,

Et ne te plais point tant à frapper dessus toi'.

MERCURE.

Qui de t'appeler de ce nom

A pu te donner la licence?

Ne t'en ai-je pas fait une expresse défense,
Sous peine d'essuyer mille coups de bâton?

SOSIE.

C'est un nom que tous deux nous pouvons à la fois
Posséder sous un même maître.

Pour Sosie en tous lieux on sait me reconnoître;
Je souffre bien que tu le sois,
Souffre aussi que je le puisse être.
Laissons aux deux Amphitryons
Faire éclater des jalousies;

Et, parmi leurs contentions,

Faisons en bonne paix vivre les deux Sosies.

MERCURE.

Non, c'est assez d'un seul, et je suis obstiné
A ne point souffrir de partage.

SOSIE.

Du pas devant sur moi tu prendras l'avantage;
Je serai le cadet, et tu seras l'aîné.

MERCURE.

Non! un frère incommode, et n'est pas de mon goût

Et je veux être fils unique.

SOSIE.

O cœur barbare et tyrannique! Souffre qu'au moins je sois ton ombre.

MERCURE.

Point du tout.

Je suis mort, au secours! Épargne-moi, de grace!

Sosie, hélas! ta main sur toi-même se lasse;
Tu frappes sur Sosie, arrête; épargne-toi.

MERCURE.

Ce passe-temps me plalt. J'aime à frapper sur moi.

(ROTROU.)

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