ELMIRE. De ce que l'on vous doit envers vous on s'acquitte. MADAME PERNELLE. C'est que je ne puis voir tout ce ménage-ci, Et que de me complaire on ne prend nul souci. Si... DORINE. MADAME PERNELLE. Vous êtes, ma mie, une fille suivante, Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente; Mais... DAMIS. MADAME PERNELLE. Vous êtes un sot, en trois lettres, mon fils; accablé Pascal; car si l'auteur de Tartuffe étoit diabolique, et diabolique son cerveau; s'il se voyoit traité par un curé de Paris de démon vêtu de chair et habillé en homme, de libertin, d'impie, de scélérat, l'auteur des Petites Lettres s'étoit vu appeler impie, bouffon, ignorant, forcené, imposteur, calomniateur, fourbe, hérétique, calviniste, disciple de Dumoulin, possédé d'une légion de diables: la présence aux représentations de Tartuffe étoit devenue un péché mortel, comme la lecture des Provinciales; et les comédiens de Molière s'étoient vus menacés d'une damnation éternelle, comme les membres du parlement de Bordeaux qui avoient refusé de condamner les Petites Lettres. Ainsi Pascal, inconnu de ses ennemis, les irritoit sans cesse en les frappant d'une main invisible; tandis que Molière, plus heureux, plus hardi peut-être, marquoit publiquement les siens du sceau de l'infamie. L'histoire de cette pièce ne seroit pas complète si on n'y lisoit l'éloge du roi qui l'a protégée. Cet éloge, nous ne le tracerons point; il se trouve dans la pièce même : il en forme le dénoûment; il doit passer avec elle à la postérité, et, à chaque représentation, rappeler au public et la protection du grand roi et la reconnoissance du grand poëte. Le roi Pétaud est le chef que se choisissoient autrefois les mendiants réunis en corporation. Ce nom vient du latin peto, je demande. Ce roi n'ayant pas plus de pouvoir que ses sujets, on donne, par extension, le nom de cour du roi Pétaud à une maison où tout le monde commande. B.) C'est moi qui vous le dis, qui suis votre grand'mère; Je crois... MARIANE. MADAME PERNELLE. Mon Dieu! sa sœur, vous faites la discrète, Mais, ma mère... ELMIRE. MADAME PERNELLE. Ma bru, qu'il ne vous en déplaise, S'il faut en croire Mézeray, c'est à Louis XIII que notre langue doit ce proverbe, qui peint ici tout un caractère. * Mener un train sous chape ou sous cape, c'est-à-dire cacher ses mauvaises actions, comme on cache sa tête sous une cape. Ce mot vient de caput, et il désigne une sorte de manteau qui se termine par un capuchon. Chape ne se dit plus que de certains vêtements ecclésiastiques, mais le mot cape se trouve dans plusieurs expressions proverbiales, comme rire sous cape, vendre sous cape, mener un train sous cape, n'avoir que la cape et l'épée. Ces proverbes ont conservé le mot, et les montagnards des Pyrénées ont conservé le vêtement qui a donné lieu à ces proverbes. C'est un manteau dont la forme est assez semblable à la robe des capucins. Les femmes portent un capuchon pointu, de couleur écarlate, qui leur descend comme un voile sur les épaules, et ce diminutif de la cape se nomme capulet. Les reproches de madame Pernelle n'autorisent pas les actrices chargées du rôle d'Elmire à se montrer dans une grande parure; ces reproches sont généraux, et n'ont aucun rapport au moment présent. On lit dans Grimarest qu'une demiheure avant la première représentation de Tartuffe, Molière étant monté chez sa femme (qui jouoit le rôle d'Elmire), la trouva dans la plus brillante parure : « Que voulez-vous dire avec cet ajustement? dit-il; ne savez-vous pas que vous êtes in⚫ commodée dans la pièce? et vous voilà éveillée et ornée comme si vous alliez à Quiconque à son mari veut plaire seulement, CLÉANTE. Mais, madame, après tout... MADAME PERNELLE. Pour vous, monsieur son frère, Je vous estime fort, vous aime, et vous révère ; Je vous prierois bien fort de n'entrer point chez nous. Qui par d'honnêtes gens ne se doivent point suivre. DAMIS. Votre monsieur Tartuffe est bien heureux, sans doute 2... MADAME PERNELLE. C'est un homme de bien, qu'il faut que l'on écoute; DAMIS. Quoi! je souffrirai, moi, qu'un cagot de critique ⚫ une fête. Déshabillez-vous vite, et prenez un habit convenable à la situation où ⚫ vous devez être. » Peu s'en fallut, continue Grimarest, que la Molière ne voulût pas jouer, tant elle étoit désolée de ne pouvoir faire parade d'un habit qui lui tenoit plus au cœur que la pièce*! Ainsi la coquetterie d'une femme pensa être aussi funeste à Molière que les cabales des faux dévots. Madame Pernelle gourmande toute la maison, mais ses critiques sont justes, quoique exagérées : Mariane a un amant, Dorine dit son avis sur tout, Damis est un étourdi, Elmire enfin est un peu coquette : voilà les personnages counus ( car les aigres leçons de madame Pernelle l'ont caractérisée elle mème); et pour me servir d'une expression consacrée par celui qui le premier a fait remarquer l'arifice de cette scène, « le spectateur reçoit une volupté très sensible d'être informé dès l'abord de la nature des personnages par une voie si fidèle et si agréable. » Celtre sur l'Imposteur.) Damis ne mache pas plus que sa grand'mère ce qu'il a sur le cœur. L'impétusité de ce caractère est une heureuse combinaison qui va tout animer. Déja son incscrétion change le mouvement des esprits; elle montre aux spectateurs le secreressort qui fait agir madame Pernelle, et Tartuffe est en scène, • de Molière, page cij. Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique; DORINE. S'il le faut écouter, et croire à ses maximes, MADAME PERNELLE. Et tout ce qu'il contrôle est fort bien contrôlé. DAMIS. Non, voyez-vous, ma mère, il n'est père, ni rien, DORINE. Certes, c'est une chose aussi qui scandalise De voir qu'un inconnu céans s'impatronise; Qu'un gueux, qui, quand il vint, n'avoit pas de souliers, Un seul mot de Damis nous a fait entrevoir la maligne influence qui agit sur madame Pernelle, un seul mot de madame Pernelle nous apprend que cette influence s'étend sur son fils, c'est-à-dire sur le chef de la famille : ainsi voilà la maison divisée en amis et en ennemis ; nous les connoissons tous, le combat est commencé, et l'auteur n'a guère employé que cinquante vers. Le discours de Dorine est pris sur nature: toute suivante à sa place s'expr meroit ainsi. En effet, ce que les domestiques méprisent le plus, c'est la pauvret: ce qui les blesse davantage, c'est une domination étrangère. Plus on étudie Nolière, plus on reste frappé de la facilité et de la vérité de ses peintures. Il senole emprunter de ses personnages leurs pensées, leurs expressions, et jusqu'à eur manière d'observer. Pour lui, ce don d'observer est le don d'être touðurs MADAME PERNELLE. Eh! merci de ma vie ! il en iroit bien mieux DORINE. Il passe pour un saint dans votre fantaisie : Voyez la langue! MADAME PERNELLE. DORINE. A lui, non plus qu'à son Laurent, Je ne me fierois, moi, que sur un bon garant. MADAME PERNELLE. J'ignore ce qu'au fond le serviteur peut être; Qu'à cause qu'il vous dit à tous vos vérités. DORINE. Oui; mais pourquoi, surtout depuis un certain temps, En quoi blesse le ciel une visite honnête, Pour en faire un vacarme à nous rompre la tête? Veut-on que là-dessus je m'explique entre nous?... ( montrant Elmire.) Je crois que de madame il est, ma foi, jaloux'. MADAME PERNELLE. Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites. L'auteur de la lettre sur l'Imposteur, publiée quinze jours après la représentation unique de 1667, a remarqué le premier que ce trait exquis de sagacité n'échappoit point au hasard, mais qu'il étoit là pour faire pressentir la conduite, ou plutôt pour rendre croyable l'amour emporté de Tartuffe. |