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frugalité, & une grande attention à fe veiller foi-même contre l'attrait des plaifirs (a). Toute fa morale

(a) Je fais qu'on a publié que la conduite de Diogène n'a pas été à cet égard conforme à ce difcours, & comme on a depuis peu renouvellé ce reproche, le Lecteur ne défapprouvera peut-être pas que je l'examine, fans prendre d'autre parti que celui que la vérité pourra dieter.

On a accufé ce Philofophe de mener une vie honteufe & miférable; de fatisfaire fans pudeur cette forte de befoin qui naît de l'aptitude à la génération, & d'aller paffer les nuits chez la Laïs. Quand on confidère la vie de Diogène, & qu'on rapproche ces imputations de fes maximes & de fon auftérité, on n'a que deux partis à prendre ou de mettre au rang des fables ce qu'on rapporte de fa Philofophie & de fa dureté envers lui-même, ou de taxer de calomniateurs ceux qui ont débiré ces maximes odieufes, ou qui les ont écrites fans examen. Si on adopte le premier parti, il faut douter s'il y a jamais en de Diogène dans le monde, & taxer effrontément de menteurs les plus refpectables Hiftoriens. Si au contraire

confiftoit en maximes, dont voici les plus importantes.

on le rejette, les indécences de ce Philofophe doivent être mifes fur le compte de la calomnie. Auffi les plus favans perfonnages ont pris le parti de Diogène ;. & j'avoue que je cite avec joie Saint Auguflin*, dont l'autorité feule doit valoir en cette occafion une preuve complette de fon innocence.

En effet, eft il vraisemblable qu'un homme qui prêchoit des moeurs févères, qui vivoit durement & qui en faifoit parade, eût eu affez peu de jugement pour exposer en public fes foibleffes, fi un génie de cette trempe avoit pu en avoir ? En vérité la méchanceté eft bien aveugle. Quoi! croira-t-on qu'un homme exténué par le jeûne & le mal-aife, & furtout par l'étude & les réflexions, eût autant de tempérament qu'on lui en fuppofe? Sine Cerere & libero friget Venus, difoient les Latins (Terence); & il eft notoire que notre Philofophe buvoit de l'eau & mangeoit très-peu. A l'égard de Laïs, cette Courtifane ne recevoit per

*De Civitate Dei, Lib. XIV, C, 2.

1. Il eft facile de devenir vertueux, lorsqu'on étudie & qu'on réfléchit.

2. Il n'y a rien dans la vie dont on ne puiffe venir à bout par le travail, & qu'on ne puiffe fe procurer. Et les hommes qui l'ont négligé, ont toujours vécu malheureuse

ment.

3. Le travail apprend à mépriser la volupté, & l'habitude de la méprifer rend ce mépris très-agréa ble.

fonne chez elle qu'on ne la payât bien. Ariftipe même, ce Philofophe galant & aimable, achetoit chèrement fes faveurs. Comment auroit-elle donc reçu Diogène, vêtu mal proprement, fec & décharné & ce qui eft effentiel, n'ayant pas le fou? D'ailleurs M. Bruker a prouvé folidement que ce Philofophe étoit prefque décrépit, lorfque Laïs vint à Corinthe *.

* Jacobi Brukeri Hiftoria critica Philofophia.

4.

Il faut attribuer plus de chofes à la nature qu'à l'art.

5. Sans la loi il n'y auroit point 'de fociété; & fans un plein exercice de cette loi, il n'y auroit point de Citoyens. Car fans un bon Gouvernement, il n'y auroit point d'Etat, & tout feroit diffolu.

6. Il faut méprifer les diftinctions & la vaine gloire, qui font les inftrumens & les pièges du

vice.

7. Il n'y a qu'une fociété ou qu'une partie dans le monde, c'est celle qui eft jufte ou gouvernée par de fages loix.

8. Le but de la Philofophie (c'est-à-dire de la Morale) eft de fe mettre au deffus des chagrins & des plaifirs.

1

9. L'avantage qu'on retire de la Philofophie, c'est d'être prêt à tout événement,

10. Ceux-là font infenfés, qui estiment la vertu, la prêchent & ne la pratiquent pas.

Les fucceffeurs de Diogène adoptèrent bien fes principes, mais ils ne furent pas curieux d'imiter fa conduite. Moins Philofophes que lui, ils crurent que la Sageffe pou- voit s'allier avec les douceurs de la vie. Platon même, furnommé le divin, aux fatisfactions de l'étude joignit les plaifirs des fens. Démocrite, qui vint enfuite, prétendit qué ces plaisirs ne pouvoient point former la félicité de l'homme: Il foutint que le fouverain bien confifte dans la tranquillité de l'efprit -& dans l'amour de l'étude, & il se moqua de ceux qui le cherchoient ailleurs.

Ce précepte étoit fort vague. Car qui eft-ce qui peut donner cette tranquillité de l'efprit, & que faut

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