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fonnes pour nous remplacer. Auffi le fage, qui voit le néant de toutes les grandeurs, ne cherche point à fe faire valoir. Il guérit de l'ambition par l'ambition même. Il tend à de fi grandes chofes, qu'il méprise ce qu'on appelle tréfors, pofte, fortune, faveur. Il ne voit rien dans de fi foibles avantages, qui foit affez bon & affez folide pour remplir fon cœur, & pour mé riter fes foins & fes défirs. Il a même befoin d'efforts pour ne pas trop les dédaigner. Le feul bien capable de le tenter, eft cette forte de gloire, qui devroit naî tre de la vertu toute pure & toute fimple; mais les hommes ne l'accordent guères, & il s'en paffe. Il fe paye par fes mains de l'application qu'il a à fon devoir, par le plaifir qu'il fent à le faire; & fe défintéreffe fur les éloges, l'eftime & la reconnoiffance qui lui manquent quelquefois. Semblable à un couvreur, il ne cherche ni à expofer fa vie, ni ne se détourne à la vue du péril. La mort est pour lui un inconvénient, & jamais un obftacle. Il ne regarde dans fes amis que la feule vertu, qui les attache à lui, fans aucun examen de leur bonne ou mauvaife fortune. Il eft peu touché des chofes rares, mais il l'eft beaucoup de la vertu. Il confume fa vie à obferver les hommes,

& il ufe fes efprits à en démêler les vices & les ridicules pour les rendre meilleurs. Il ne prétend point ramener les autres à fon goût & à fes fentimens : il cherche feulement à penser & à parler jufte.

S'il croit devoir mettre au jour le fruit de fes veilles, il a foin de lire fon Ouvrage à ceux qui en favent affez pour le corriger & l'eftimer. Car il n'ignore pas que ne vouloir être ni confeillé ni corrigé, eft un pédantifme. Auffi reçoitil avec une égale modeftie les éloges & la critique qu'on fait de fes productions. La même jufteffe d'efprit, qui lui fait écrire de bonnes chofes, lui fait appréhender qu'elles ne le foient pas affez pour mériter d'être lues. Sa docilité à l'égard des Juges de fes Ecrits, n'est cependant pas telle, qu'il adhère aveuglé ment à tout ce qu'ils trouvent de repréhenfible. Il n'y a point d'Ouvrage fi accompli, qui ne fondît tout entier au milieu de la critique, fi fon Auteur vouloit en croire tous les Cenfeurs, qui ôtent chacun l'endroit qui leur plaît le moins. La règle pour juger d'un Livre de Morale ou de Littérature, eft de faire attention s'il élève 'l'efprit, & s'il infpire des fentimens nobles & courageux. Son

but n'eft point d'exciter par fes Ouvrages, d'admiration; parce que l'admiration eft toujours le partage des fots : les gens d'efprit admirent rarement, mais ils approuvent. S'il écrit, il n'écrit pas feulement pour être entendu; mais il tâche en écrivant de faire entendre de belles chofes. Son attention dans fon ftyle, eft que fa diction foit pure, & que les termes dont il fe fert, expriment des penfées nobles, vives, folides, & qui renferment un très-beau fens. Enfin il n'a aucun égard au goût de fon fiècle; mais il tend à la perfection, & fait fe confoler fi fes contemporains ne lui rendent pas juftice. Perfuadé qu'il n'y a point au monde un fi pénible métier que de fe faire un grand nom, il renonce volontiers à ce glorieux avantage. Sans que fon ambition en fouffre, il fait fe paffer des charges & des emplois, & il confent volontiers à demeurer tranquille chez lui, & à ne rien faire. Cela paroît blâmable aux yeux du vulgaire; car très-peu de perfonnes ont affez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni affez de fond pour remplir le vuide du temps, fans ce qu'on appelle affaires. Il ne manque ce, pendant à l'oifiveté du fage qu'un meil leur nom; & que méditer, parler, lirę

& être tranquille, s'appellât travailler. Dans la fociété, il eft uni, agréable, fans prétention. S'il s'entretient avec quelques perfonnes, il tâche bien moins à montrer de l'efprit, qu'à en faire trouver aux autres. En effet, celui qui eft content de foi & de fon efprit, l'eft toujours de vous parfaitement. Les hommes n'aiment point à vous admirer : ils veulent plaire. Ils ne cherchent pas tant à être inftruits & même réjouis, qu'à être goûtés & applaudis; & le plaifir le plus délicat eft de faire celui d'autrui. L'imagination ne domine ni dans fes converfations, ni dans fes écrits; parce que cette faculté de l'entendement ne produit fouvent que des idées vaines & puériles, qui ne fervent point à perfectionner le goût & à nous rendre meilleurs. C'eft le jugement qui doit produire nos penfées. Lorfqu'il prononce fur quelque chofe, il dit modefte. ment qu'elle eft bonne ou mauvaife, & les raifons pourquoi elle l'eft, au lieu de décider d'un ton impérieux & qui emporte la preuve de ce qu'on avance, ou qu'elle eft exécrable, ou qu'elle eft miraculeufe. Sur les questions qu'on lui fait, il nie ou affirme fimplement, c'est-à dire, oui ou non, & il mérite d'être cru. Son caractère jure pour lui, donne créance à fes

paro

les, & lui attire toute forte de confiance. Cependant avec de la vertu, de la cat pacité & une bonne conduite, on peus encore non-feulement ne pas plaire, mai auffi être infupportable. Les manières que l'on néglige comme de petites cho fes, font fouvent ce qui fait que les hom

mes décident de vous en bien ou en mal. C'est donc une attention importante, quoiqu'elle doive être légère, que de les avoir douces & polies pour prévenir les mauvais jugemens. Il ne faut prefque rien pour être cru fier, incivil, mépri fant, défobligeant: il faut encore moins pour être eftimé tout le contraire. Véritablement la politeffe n'infpire pas toujours la bonté, l'équité, la complaifance, la gratitude; mais elle en donne les apparences, & fait paroître l'homme audehors, comme il devroit être intérieurement. Les manières polies donnent cours au mérite, & le rendent agréable. Il faut avoir des qualités bien éminenfes pour fe foutenir fans la politeffe. On peut la définir une certaine attention à faire que par nos paroles & par nos manières, les autres foient contens de nous & d'euxmêmes. C'est par exemple une faute contre la politeffe, que de louer immodérément en préfence de ceux que vous faites

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