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* Rien n'engage tant un esprit raifonnable, à fupporter tranquillement XI. des parens & des amis, les torts qu'ils ont à fon égard, que la réflexion qu'il fait fur les vices de l'humanité; & combien il eft pénible aux hommes. d'être conftans, généreux, fidéles, d'être touchés d'une amitié plus forte que leur intérêt. Comme il connoît leur portée, il n'exige point d'eux qu'ils pénétrent les corps, qu'ils volent dans l'air, qu'ils ayent de l'équité. Il peut hair les hommes en général, où il y a fi peu de vertu : mais il excufe les particuliers, il les aime même par des motifs plus relevés ; & il s'étudie à mériter le moins qu'il se peut une pareille indulgence.

* Il y a de certains biens que l'on defire avec emportement, & dont l'idée feule nous enleve & nous tranf porte: s'il nous arrive de les obtenir on les fent plus tranquillement qu'on ne l'eût penfé: on en jouït moins, que l'on afpire encore à de plus grands.

* Il y a des maux effroyables & d'horribles malheurs où l'on n'ofe penfer, & dont la feule vûe fait frémir: s'il arrive que l'on y tombe, l'on fe Tome II. B trou

De

trouve des reffources que l'on ne fe l'Homme, connoiffoit point, l'on feroidit contre fon infortune, & l'on fait mieux qu'on ne l'efperoit.

* Il ne faut quelquefois qu'une jolie maifon dont on hérite, qu'un beau cheval, ou un joli chien dont on fe trouve le maître, qu'une tapifferie, qu'une pendule pour adoucir une grande douleur, & pour faire moins fentir une grande perte.

*Je fuppofe que les hommes foient éternels fur la terre; & je médite enfuite fur ce qui pourroit me faire connoître qu'ils fe feroient alors une plus grande affaire de leur établisfement qu'ils ne s'en font dans l'état où font les choses.

* Si la vie eft miférable, elle eft pénible à fupporter: fi elle eft heureuse, il eft horrible de la perdre. L'un revient à l'autre.

* Il n'y a rien que les hommes aiment mieux à conferver, & qu'ils ménagent moins que leur propre vie.

*Irene se transporte à grands frais en Epidaure, voit Efculape dans fon Temple, & le confulte fur tous fes maux. D'abord elle fe plaint qu'elle

eft

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eft laffe & recrue de fatigue: & le Dieu prononce que cela lui arrive par la longueur du chemin qu'elle vient de faire. Elle dit qu'elle eft le foir fans appetit: l'Oracle lui ordonne de dîner peu. Elle ajoute qu'elle eft fujette à des infomnies; & il lui prefcrit de n'être au lit que pendant la nuit. Elle lui demande pourquoi elle devient pefante, & quel reméde? L'Oracle répond qu'elle doit fe lever avant midi, & quelquefois fe fervir de fes jambes pour marcher. Elle lui déclare que le vin lui eft nuifible; l'Oracle lui dit de boire de l'eau qu'elle a des indigeftions; & il ajoute qu'elle faffe diéte. Ma vûe s'affoiblit, dit Irene: prenez des lunettes, dit Esculape. Je m'affoiblis moi-même, continue-t-elle, je ne fuis nifi forte ni fi faine que j'ai été : c'eft, dit le Dieu, que vous vieilliffez. Mais quel moyen de guérir de cette langueur ? Le plus court, Irene, c'eft de mourir, comme ont fait votre mere & votre ayeule. Fils d'Apollon! s'écrie Irene, quel confeil me donnez-vous ? Eft-ce là toute cette Science que les hommes publient, & qui vous fait révérer de toute la Ter

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XI.

De

Homme.

re? Que m'apprenez-vous de rare & de mystérieux; & ne favois-je pas tous ces remédes que vous m'enseignez? Que n'en ufiez-vous donc, répond le Dieu, fans venir me chercher de fi loin, & abréger vos jours par un long voyage?

*La mort n'arrive qu'une fois, & fe fait fentir à tous les momens de la vie il eft plus dur de l'appréhender de la fouffrir.

que

* L'inquiétude, la crainte, l'abbatement n'éloignent pas la mort, au contraire : je doute feulement que le ris exceffif convienne aux hommes qui font mortels.

* Ce qu'il y a de certain dans la mort, eft un peu adouci par ce qui eft incertain: c'eft un indéfini dans le tems qui tient quelque chofe de l'infini, & de ce qu'on appelle éternité.

* Penfons que comme nous foupirons préfentement pour la floriffante jeuneffe qui n'eft plus, & ne reviendra point; la caducité fuivra, qui nous fera regretter l'âge viril où nous fommes encore, & que nous n'eftimons pas affez.

* L'on craint la vieilleffe, que l'on n'eft

n'eft pas fûr de pouvoir atteindre.

L'on efpere de vieillir & l'on craint la vieilleffe, c'est-à-dire, l'on aime la vie & l'on fuit la mort.

* C'eft plutôt fait de céder à la nature ou de craindre la mort, que de faire de continuels efforts, s'armer de raifons & de réflexions, & être continuellement aux prises avec soi-même, pour ne pas la craindre.

* Si de tous les hommes les uns mouroient, les autres non, ce feroit une défolante affliction que de mourir.

* Une longue maladie femble être placée entre la vie & la mort, afin que la mort même devienne un foulagement & à ceux qui meurent & à ceux qui restent.

* A parler humainement, la mort a un bel endroit, qui eft de mettre fin à la vieilleffe.

La mort qui prévient la caducité arrive plus à propos, que celle qui la

termine.

* Le regret qu'ont les hommes du mauvais emploi du tems qu'ils ont déja vêçu, ne les conduit pas toujours à faire de celui qui leur reste à vivre, un meilleur ufage.

B 3

* La

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XI.

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