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commun où l'ardeur de critiquer et de mordre ne se puisse retrancher, après avoir osé faire son fort d'une si misérable et si ridicule défense. Quoi! si on produit la vérité avec toute la dignité qui doit l'accompagner partout; si on a prévu et évité jusqu'aux effets les moins fâcheux qui pouvoient arriver, même par accident, de la peinture du vice, si on a pris, contre la corruption des esprits du siècle, toutes les précautions qu'une connoissance parfaite de la saine antiquité, une vénération solide pour la religion, une méditation profonde de la nature de l'ame, une expérience de plusieurs années et un travail effroyable ont pu fournir, il se trouvera après cela des gens capables d'un contre-sens si horrible, que de proscrire un ouvrage qui est le résultat de tant d'excellents préparatifs, par cette seule raison qu'il est nouveau de voir exposer la religion dans une salle de comédie, pour bien, pour dignement, pour discrètement, nécessairement et utilement qu'on le fasse! Je ne feins pas de vous avouer que ce sentiment me paroît un des plus considérables effets de la corruption du siècle où nous vivons: c'est par ce principe de fausse bienséance qu'on relègue la raison et la vérité dans des pays barbares et peu fréquentés, qu'on les borne dans les écoles et dans les églises, où leur puissante vertu est presque inutile, parcequ'elles n'y sont recherchées que de ceux qui les aiment et qui les connoissent; et que, comme si on se défioit de leur force et de leur autorité, on n'ose les commettre où elles peuvent rencontrer leurs ennemis. C'est pourtant là qu'elles doivent paroître; c'est dans les lieux les plus profanes, dans les places publiques, les tribunaux, les palais des grands seulement, que se trouve la matière de leur triomphe: et comme elles ne sont, à proprement parler, vérité et raison que quand elles convainquent les esprits, et qu'elles en chassent les ténèbres de l'erreur et de l'ignorance par leur lumière toute divine, on peut dire que leur essence consiste dans leur action; que ces lieux où leur opération est le plus nécessaire sont leurs lieux naturels; et qu'ainsi c'est les détruire en quelque façon, que les réduire à ne paroître que parmi leurs adorateurs. Mais passons plus avant.

» Il est certain que la religion n'est que la perfection de la raison, du moins pour la morale; qu'elle la purifie, qu'elle l'élève, et qu'elle dissipe seulement les ténèbres que

le péché d'origine a répandues dans le lieu de sa demeure; enfin que la religion n'est qu'une raison plus parfaite. Ce seroit être dans le plus déplorable aveuglement des païens, que de douter de cette vérité. Cela étant, et puisque les philosophes les plus sensuels n'ont jamais douté que la raison ne nous fût donnée par la nature pour nous conduire en toutes choses par ses lumières; puisqu'elle doit être partout aussi présente à notre ame que l'œil à notre corps, et qu'il n'y a point d'acceptions de personnes, de temps ni de lieux auprès d'elle; qui peut douter qu'il n'en soit de même de la religion, que cette lumière divine, infinie comme elle est par essence, ne doive faire briller partout sa clarté; et qu'ainsi que Dieu remplit tout de lui-même, sans aucune distinction, et ne dédaigne pas d'être aussi présent dans les lieux du monde les plus infames, que dans les lieux augustes et les plus sacrés, aussi les vérités saintes qu'il lui a plu de manifester aux hommes ne puissent être publiées dans tous les temps et dans tous les lieux où il se trouve des oreilles pour les entendre et des cœurs pour recevoir la grace qui les fait chérir?

>> Loin donc, loin d'une ame vraiment chrétienne ces indignes ménagements et ces cruelles bienséances qui voudroient nous empêcher de travailler à la sanctification de nos frères partout où nous le pouvons! la charité ne souffre point de borne; tous lieux, tous temps lui sont bons pour agir et faire du bien; elle n'a point d'égard à sa dignité, quand il y va de son intérêt; et comment pourroit-elle en avoir, puisque, cet intérêt consistant, comme il fait, à convertir les méchants, il faut qu'elle les cherche pour les combattre, et qu'elle ne peut les trouver pour l'ordinaire que dans des lieux indignes d'elle?

>> Il ne faut pas donc qu'elle dédaigne de paroître dans ces lieux, et qu'elle ait si mauvaise opinion d'elle-même que de penser qu'elle puisse être avilie en s'humiliant. Les grands du monde peuvent avoir ces basses considérations, eux de qui toute la dignité est empruntée et relative, et qui ne doivent être vus que de loin et dans toute leur parure pour conserver leur autorité, de peur qu'étant vus de prés et à nu, on ne découvre leurs taches, et qu'on ne reconnoisse leur petitesse naturelle. Qu'ils ménagent avec avarice le foible caractère de grandeur qu'ils peuvent avoir; qu'ils

les plus ordinaires et les plus fortes par où on a coutume d'attaquer les femmes y sont tournées en ridicule d'une manière si vive et si puissante, qu'on paroîtroit sans doute ridicule quand on voudroit les employer après cela, et par conséquent on ne réussiroit pas.

» Quelques-uns trouveront peut-être étrange ce que j'avance ici; mais je les prie de n'en pas juger souverainement qu'ils n'aient vu représenter la pièce, ou du moins de s'en remettre à ceux qui l'ont vue; car bien loin que ce que je viens d'en rapporter suffise pour cela, je doute même si sa lecture tout entière pourroit faire juger tout l'effet que produit sa représentation. Je sais encore qu'on me dira que le vice dont je parle, étant le plus naturel de tous, ne manquera jamais de charmes capables de surmonter tout ce que cette comédie y pourroit attacher de ridicule; mais je réponds à cela deux choses: l'une, que dans l'opinion de tous les gens qui connoissent le monde, ce péché, moralement parlant, est le plus universel qu'il puisse être; l'autre, que cela procède beaucoup plus, surtout dans les femmes, des mœurs, de la liberté et de la légèreté de notre nation, que d'aucun penchant naturel, étant certain que de toutes les nations civilisées il n'en est point qui y soit moins portée par le tempérament que la Françoise; cela supposé, je suis persuadé que le degré de ridicule où cette pièce feroit paroître tous les entretiens et les raisonnements qui sont les préludes naturels de la galanterie du tête-à-tête, qui est la dangereuse; je prétends, dis-je, que ce caractère de ridicule, qui seroit inséparablement attaché à ces voies et à ces acheminements de corruption, par cette représentation, seroit assez puissant et assez fort pour contre-balancer l'attrait qui fait donner ́ daus le panneau les trois parts des femmes qui y donnent.

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FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

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