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militante et raisonneuse aux rêveries et au détachement d'un vrai poète. De telles circonstances enseignent l'art d'écrire clairement et solidement, le discours méthodique et suivi, le style exact et fort, la plaisanterie et la réfutation, l'éloquence et la satire; car il n'y a pas d'autres voies pour se faire écouter ou se faire croire, et l'esprit entre de force dans les voies qui le conduisent à son but. Celui-ci y entrait de lui-même. Dès sa seconde pièce ', l'abondance des idées serrées, l'énergie et la liaison oratoire, la simplicité, le sérieux, le souffle héroïque et romain annoncent un génie classique, parent non de Shakspeare, mais de Corneille, capable non de drames, mais de discours.

III

Et cependant dès l'abord, il se donna au drame; ilen fit vingt-sept, et signa un traité avec les acteurs du Théâtre du Roi pour leur en fournir trois par an. Le théâtre, interdit sous la république, venait de se rouvrir avec une magnificence et un succès extraordinaires. Les décorations enrichies et devevenues mobiles, les rôles de femmes joués non plus par de jeunes garçons, mais par des femmes, l'éclairage splendide et nouvean des bougies, les machines. la popularité récente des acteurs, qui devenaient les héros de la mode, l'importance scandaleuse des ac

1. Stances sur la mort d'Olivier Cromwell.

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trices, qui devenaient les maîtresses des grands seigneurs et du roi, l'exemple de la cour et l'imitation de la France attiraient les spectateurs en foule. La soif du plaisir, longtemps comprimée, débordait. On se dédommageait de la longue abstinence imposée par les puritains fanatiques; les yeux et les oreilles, dégoûtés, des visages moroses, de la prononciation nasale, des éjaculations officielles sur le péché et la damnation, se rassasiaient de la douceur des chants, du chatoiement des étoffes, de la séduction des danses voluptueuses. On voulait jouir, et jouir d'une façon nouvelle; car un nouveau monde, celui des courtisans et des oisifs, s'était formé. L'abolition des tenures féodales, l'augmentation énorme du commerce et de la richesse, l'affluence des propriétaires, qui mettaient des fermiers à leur place et venaient à Londres pour goûter les plaisirs de la ville et chercher les faveurs du roi, avait établi, ici comme en France, la classe, l'autorité, les mœurs et les goûts des gens du monde, hommes de salons et de loisir, amateurs de plaisir, de conversation, d'esprit et desavoir-vivre, occupés de la pièce en vogue moins pour se divertir que pour la juger. Ainsi se bâtit le théâtre de Dryden; le poëte, avide de gloire et pressé d'argent, y trouvait l'argent avec la gloire, et innovait à demi, à grand renfort de théories et de préfaces, s'écartant de l'ancien drame anglais, s'approchant de la nouvelle tragédie française, essayant un compromis entre l'éloquence classique et la vérité romantique, s'accommodant tant bien que

mal au nouveau public qui le payait et l'accla mait.

<«< La langue, la conversation et l'esprit', dit-il, se « sont perfectionnés depuis le siècle dernier, » ce qui a fait découvrir dans les anciens poëtes beaucoup de fautes, et a introduit un genre de drame nouveau. « Qu'un homme sachant l'anglais lise at<< tentivement les œuvres de Shakspeare et de Flet«< cher, j'ose affirmer qu'il trouvera à chaque page, « soit quelque solécisme de langue, soit quelque << manque de sens notable. La plupart de leurs fables << sont composées avec une histoire ridicule et inco«hérente. Beaucoup de pièces de Shakspeare sont <«< fondées sur des impossibilités, ou du moins si <<bassement écrites, que la partie comique n'excite point notre rire, ni la partie sérieuse notre inté« rêt. Je montrerais aisément que notre Fletcher si << admiré n'entendait ni l'art de bien nouer une intrigue, ni ce qu'on appelle les bienséances du « théâtre. Par exemple son Philaster blesse sa mai«tresse sur le théâtre; son berger commet deux fois « la même brutalité. » Nulle part il ne garde aux

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1. Defense of the Epilogue to the Conquest of Grenada.-Grounds of Criticism in tragedy.

2. Language, wit, and conversation of our age are improved and refined above the last....

Let us consider in what the refinement of a language prin cipally consists: That is either in rejecting such old words or phrases which are ill sounding or improper, or in admitting new, which are more proper, more sounding, and more signifi

cant....

Let any man who understands English, read diligently the

rois la dignité royale. D'ailleurs l'action est chez eux toute barbare. Ils mettent des batailles sur le théâtre ils transportent en un instant la scène à vingt ans ou à cinq cents lieues de distance, et vingt fois de suite en un acte; ils entassent ensemble trois ou quatre actions différentes, surtout dans les drames historiques. Mais c'est par le style qu'ils pèchent le plus. <«< Dans Shakspeare, beaucoup de mots et << encore plus de phrases sont à peine intelligibles, « et de celles que nous entendons, quelques-unes « sont contre la grammaire, d'autres grossières, et « tout son style est tellement empoisonné d'expres«sions figurées qu'il est aussi affecté qu'obscur1. » Ben Jonson lui-même a souvent de mauvaises con

works of Shakspeare and Flechter, and I dare undertake that he will find, in every page, either some solecism of speech, or some notorious flaw in sense.... Many of their plots were made up of some ridiculous or incoherent story, which in one play many times took up the business of an age. I suppose I need not name Pericles Prince of Tyre, nor the historical plays of Shakspeare; besides many of the rest, as the Winter's Tale, Love's Labour lost, Measure for Measure, which were either grounded on impossibilities, or at least so meanly written that the comedy neither caused your mirth nor the serious part our concernment.

....I could easily demonstrate that our admired Flechter neither understood correct plotting, nor what they call the decorum of the stage.... The reader will see Philaster wounding his mistress, and afterwards his boy, to save himself.... His shepherd falls twice in to the former indecency of wounding women. (Defence of the Epilogue, etc.)

1. Many of his words and more of his phrases are scarce intelligible; and of those which we understand, some are ungrammatical, others coarse; and his whole style is so pestered with figurative expressions, that it is affected as it is obscure.

structions, des redondances, des barbarismes. « L'art << de bien placer les mots pour la douceur de la pro<< nonciation a été inconnu jusqu'au moment où «M. Waller l'introduisit '. » Enfin tous descendent jusqu'aux calembours, aux expressions populacières et basses. « C'est que, outre le manque

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«

de

savoir et d'éducation, il n'avaient pas le bonheur << d'entendre la bonne conversation. Il y avait dans << leur siècle moins de galanterie que dans le nôtre. « Les gentilshommes aujourd'hui veulent qu'on les « divertisse en leur montrant leurs propres ridicules. «Ils veulent bien accorder que votre compère Jean « et votre compère Jacques parlent selon leur état; «mais ils ne s'amusent point de leurs pots à bière << et de leurs guenilles . » C'est pour eux maintenant qu'on doit écrire, et surtout pour les plus instruits'; car ce n'est pas assez d'avoir de l'esprit ou d'aimer la tragédie pour être bon juge: il faut encore posséder une solide science et une haute raison, connaître Aristote, Horace, Longin, et prononcer d'après leurs règles. Ces règles, fondées sur l'observation et

3.

1. Well-placing of words for the sweetness of pronounciation was not known till Mr. Waller introduced it.

2. In the age wherein those poets lived there was less of gallantry than in ours.... Besides the want of learning and education, they wanted the happiness of converse....

If any ask me wherein it is that our conversation is so much refined, I must ascribe it to the Court.

Gentlemen will now be entertained with the follies of each other, and though they allow Cob and Tib to speak properly, yet they are not much pleased with their tankard or with their rags. 3. Préface de All for Love.

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