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à contre-temps, et en dépit de la situation ou de la condition des personnages. Un cordonnier dit dans Etheredge « Il n'y a personne dans la ville qui vive

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plus en gentilhomme que moi avec sa femme. Je ne « m'inquiète jamais de ses sorties, elle ne s'informe jamais des miennes; nous nous parlons civilement « et nous nous haïssons cordialement'. » L'art est parfait dans ce petit discours : tout y est, jusqu'à l'antithèse symétrique de mots, d'idées et de sons; quel beau diseur que ce cordonnier satirique! Après la satire, le madrigal. Tel personnage, au beau milieu du dialogue et en pleine prose, décrit « de jolies lèvres boudeuses avec une petite moiteur qui s'y pose, pareilles à une rose de Provins fraîche « sur la branche, avant que le soleil du matin en ait « séché toute la rosée. » Ne voilà-t-il pas les gracieuses galanteries de la cour? Rochester lui-même parfois en rencontre. Deux ou trois de ses chansons sont encore dans les recueils expurgés à l'usage des jeunes filles pudiques. Ils ont beau polissonner de fait, à chaque instant il faut qu'ils complimentent much, they doze you, and make you unfit for company; but if used discretly, you are the filter for conversation by them.

A mistress should be like a little country retreat near the town; not to dwell in constantly, but only so a night, and away, to taste the town the better when a man returns.

1. There is never a man in the town lives more like a gentleman with his wife than I do. I never mind her motions; she never enquires into mine. We speak to one another civilly, hate one another heartily.

2. Pretty pouting lips, with a little moisture hanging on them, that look like the Province rose fresh on the bush, ere the morning sun has quite drawn up the dew.

et saluent; devant les femmes qu'ils veulent séduire, ils sont bien obligés de roucouler des tendresses et des fadeurs; s'ils n'ont plus qu'un frein, l'obligation de paraître bien élevés, ce frein les retient encore. Rochester est correct même au milieu des immondices; il ne dit d'ordures que dans le style habile et solide de Boileau. Tous ces viveurs veulent être gens d'esprit et du monde. Sir Charles Sedley se ruine et se salit, mais Charles II l'appelle « le viceroi d'Apollon. » Buckingham exalte « la magie de son style. » Il est le plus charmant, le plus recherché des causeurs; il fait des mots, et aussi des vers, toujours agréables, quelquefois délicats; il manie avec dextérité le joli jargon mythologique; il insinue en légères chansons coulantes toutes ces douceurs un peu apprêtées qui sont comme les friandises des salons. «Ma passion, dit-il à Chloris, <«< croissait avec votre beauté, et l'Amour à mon « cœur, pendant que sa mère vous favorisait, lançait un nouveau dard de flamme. » Puis il ajoute en manière de chute : « Ils employaient tout leur <«< art amoureux, lui pour faire un amant, elle pour « faire une beauté1. »

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1.

Il n'y a point du tout d'amour dans ces gentil

My passion with your beauty grew,

While Cupid at my heart,

Still as his mother favour'd you,

Threw a new flaming dart.

Each gloried in their wanton part;

To make a lover, he

Employ'd the utmost of his art—
To make a beauty, she.

:

lesses; on les accepte comme on les offre, avec un sourire; elles font partie du langage obligé, des petits soins que les cavaliers rendent aux dames: j'imagine qu'on les envoyait le matin avec le bouquet ou la boîte de cédrats confits. Roscommon compose une pièce sur un petit chien mort, sur le rhume d'une jeune fille; ce méchant rhume l'empê che de chanter maudit hiver! Et là-dessus il prend l'hiver à partie, l'apostrophe longuement. Vous reconnaissez les amusements littéraires de la vie mondaine. On y prend tout légèrement, gaiement, l'amour d'abord, et aussi le danger. La veille d'une bataille navale, Dorset, en mer, au roulis du vaisseau, adresse aux dames une chanson célèbre. Rien n'y est sérieux, ni le sentiment ni l'esprit ; ce sont des couplets qu'on fredonne en passant ; il en part un éclair de gaieté; un instant après, on n'y pense plus. « Surtout, leur dit Dorset, pas d'inconstance! Nous en avons assez ici en mer. » Et ailleurs : « Si les Hollandais savaient notre état, ils arriveraient bien vite; quelle résistance leur feraient des gens qui ont laissé leurs cœurs au logis?» Puis viennent des plaisanteries trop anglaises : « Ne nous croyez pas infidèles si nous ne vous écrivons point à chaque poste. Nos larmes prendront une voie plus courte; la marée vous les apportera deux fois par jour'.

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Voilà des larmes qui ne sont guère tristes; la dame les regarde comme l'amant les verse, de bonne humeur; elle est dans sa loge (il s'en doute et l'écrit), offrant sa main blanche à un autre qui la baise, et se donnant une contenance avec le froufrou de son éventail. Dorset ne s'en afflige guère, continue à jouer avec la poésie, sans excès ni assiduité, au courant de la plume, écrivant aujourd'hui un couplet contre Dorinda, demain une satire contre M. Howard, toujours facilement et sans étude, en véritable gentilhomme. Il est comte, chambellan, riche; il pensionne et patronne les poëtes comme il ferait des coquettes, c'est-à-dire pour se divertir sans s'attacher. Le duc de Buckingham fait la même chose et

Our tears we'll send a speedier way;
The tide shall bring them twice a-day.
With a fa, etc.

To pass our tedious hours away,
We throw a merry main;
Or else at serious ombre play;
But why should we in vain

Each other's ruin thus pursue?
We were undone when we left you.
With a fa, etc.

But now our fears tempestuous grow,
And cast our hopes away;

Whilst you, regardless of our wo,
Sit careless at a play:

Perhaps permit some happier man

To kiss your hand, or flirt your fan.
With a fa, etc.

And now we've told you all our loves,
And likewise all our fears,

In hopes this declaration moves,
Some pity for our tears;
Let's hear of no inconstancy,
We have too much of that at sea.
With a fa la, la, la, la.

le contraire, caresse l'un, parodie l'autre, est adulé, moqué, et finit par attraper son portrait, qui est un chef-d'œuvre, mais point flatté, de la main de Dryden. On a vu en France ces passe-temps et ces tracasseries; on trouve ici les mêmes façons et la même littérature, parce qu'on y rencontre la même société et le même esprit.

Entre ces poëtes, au premier rang est Edmund Waller, qui vécut et écrivit ainsi jusqu'à quatrevingt-deux ans homme d'esprit et à la mode, bien élevé, familier dès l'abord avec les grands, ayant du tact et de la prévoyance, prompt aux reparties, difficile à décontenancer, du reste personnel, de sensibilité médiocre, ayant changé plusieurs fois de parti, et portant fort bien le souvenir de ses voltefaces; bref, le véritable modèle du mondain et du courtisan. C'est lui qui, ayant loué Cromwell, puis Charles II, mais celui-ci moins bien que l'autre, répondait pour s'excuser: « Les poëtes, sire, réussissent mieux dans la fiction que dans la vérité. » Dans cette sorte de vie, les trois quarts des vers sont de circonstance ils font la menue monnaie de la conversation ou de la flatterie; ils ressemblent aux petits événements et aux petits sentiments d'où ils sont nés. Telle pièce est sur le thé, telle autre sur un portrait de la reine: il faut bien faire sa cour; d'ailleurs « Sa Majesté a commandé les vers. » Une dame lui fait cadeau d'une plume d'argent, vite un remerciement rimé; une autre peut dormir à volonté, vite un couplet enjoué; un faux bruit se répand qu'elle

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