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tière de façons, amateurs d'élégance, curieux du beau langage autant par vanité que par goût, et qui, occupés à discourir entre un compliment et une révérence, n'oublieront pas plus leur bon style que leurs gants fins ou leur chapeau.

III

Parmi les meilleurs et les plus agréables modèles de cette urbanité naissante, paraît sir William Temple, un diplomate et un homme de monde, avisé, prudent et poli, doué de tact dans la conversation et dans les affaires, expert dans la connaissance des temps et dans l'art de ne pas se compromettre, adroit à s'avancer et à se retirer, qui sut attirer sur soi la faveur et les espérances de l'Angleterre, obtenir les éloges des lettrés, des savants, des politiques et du peuple, gagner une réputation européenne, obtenir toutes les couronnes réservées à la science, au patriotisme, à la vertu et au génie, sans avoir beaucoup de science, de patriotisme, de génie ou de vertu. Une pareille vie est le chef-d'œuvre d'un pareil monde; des dehors très-beaux et un fond moins beau en voilà l'abrégé. Ses façons d'écrivain sont conformes à ses maximes de politique. Principes et style, tout se tient en lui; c'est le véritable diplomate, tel qu'on le rencontre dans les salons, ayant sondé l'Europe et touché partout le fond des choses, revenu de tout, particulièrement

de l'enthousiasme, admirable dans un fauteuil ou dans une réception, bon conteur, plaisant au besoin, mais avec discrétion, accompli dans l'art de représenter et de jouir. Celui-ci dans sa retraite à Sheen, puis à Moor-Park, s'amuse à écrire; et il écrit comme parle un homme de son état, c'est-à-dire fort bien, avec dignité et avec aisance, surtout lorsqu'il parle des pays qu'il a visités, des événements qu'il a vus, des divertissements nobles qui occupent ses heures'. Il a quinze cents livres sterling de rente, et une belle sinécure en Irlande. Il a quitté les affaires au moment des violents débats, sans vouloir s'engager pour le roi, ni contre le roi, décidé, comme il le dit lui-même, à ne « point se mettre en travers du courant, » quand le courant est irrésistible. Il vit pacifiquement à la campagne avec sa femme, sa sœur, son secrétaire, ses gens, recevant les visites des étrangers qui veulent voir le négociateur de la Triple Alliance, et quelquefois celles du nouveau roi Guillaume, qui, ne pouvant obtenir ses services, vient fois rechercher ses conseils. Il plante et jardine, sur un sol fertile, dans un pays dont l'air lui convient, parmi des plates-bandes régulières, au bord d'un canal bien droit et flanqué d'une terrasse bien correcte, et il se loue en bons termes, avec toute la discrétion convenable, du caractère qu'il possède et du parti qu'il a pris. « Je me suis souvent étonné, dit-il, qu'Épicure ait trouvé tant d'âpres et amers

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par

1. Voir surtout An Account of the United Provinces, Memoirs of Gardening.

LITT. ANGL.

II 33

<«< censeurs dans les âges qui l'ont suivi, lorsque la <«< beauté de son esprit, l'excellence de son naturel, « le bonheur de sa diction, l'agrément de son en

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tretien, la tempérance de sa vie et la constance de «sa mort l'ont fait tant aimer de ses amis, admirer de ses disciples et honorer par les Athéniens'. » Il a raison de défendre Épicure, car il a suivi ses préceptes, évitant les grands bouleversements d'esprit, et s'installant comme un des dieux de Lucrèce dans un des interstices des mondes.» « Quand les philosophes ont vu les passions entrer et s'enraci« ner dans l'État, ils ont cru que c'était folie pour « les honnêtes gens que de se mêler des affaires publiques... Le vrai service du public est une entreprise d'un si grand labeur et d'un si grand «< souci, qu'un homme bon et sage, quoiqu'il puisse << ne point la refuser s'il y est appelé par son prince « ou par son pays, et s'il croit pouvoir y rendre « des services plus qu'ordinaires, doit pourtant <«< ne la rechercher que rarement ou jamais, et la « laisser le plus communément à ces hommes, qui, <<< sous le couvert du bien public, poursuivent leurs

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1. I have often wondered how such sharp and violent invectives came to be made so generally against Epicurus, by the ages that followed him, whose admirable wit, felicity of expression, excellence of nature, sweetness of conversation, temperance of life, and constancy of death, made him so beloved by his friends, admired by his scholars, and honoured by the Athenians.

2. But, where factions were once entered and rooted in a state, they thought it madness for good men to meddle with public affairs. (P. 203, 206, 191, t. III.)

« propres visées de richesse, de pouvoir et d'hon<<neurs illégitimes'. » Voilà de quel air il s'annonce. Sa personne ainsi présentée, il en vient à parler du jardinage qu'il pratique, et d'abord des six grands Épicuriens qui ont illustré la doctrine de leur maître, César, Atticus, Lucrèce, Horace, Mœcène, Virgile; puis des diverses espèces de jardins qui ont un nom dans le monde, depuis le paradis terrestre et le jardin d'Aleinoüs jusqu'à ceux de Hollande et d'Italie, tout cela un peu longuement, en homme qui s'écoute et qu'on écoute, qui fait un peu amplement à ses hôtes les honneurs de sa maison et de son esprit, mais qui fait tout cela avec agrément et dignité, sans air doctoral, ni morgue, en tons variés, et en modulant comme il faut ses gestes et sa voix. Il conte qu'il a importé quatre espèces de raisins en Angleterre, il avoue qu'il a trop dépensé; cependant il ne le regrette pas; depuis cinq ans il n'a pas eu envie une seule fois d'aller à Londres. Il mêle les anecdotes aux conseils techniques; il y en a une sur le roi Charles II, qui a loué le climat de l'Angleterre par-dessus tous les autres, disant que c'est celui où l'on peut rester en

1. But the true service of the public is a business of so much labour and so much care, that though a good and wise man may not refuse it, if he be called to it by his prince or his country, and thinks he can be of more than vulgar use, yet he will seldom or never seek it, but leaves it commonly to men who, under the disguise of public good, pursue their own designs of wealth, power, and such bastard honours as usually attend them, not that which is the true, and only true reward of virtue.

plein air sans malaise le plus de jours dans l'année; sur l'évêque de Munster qui, ne pouvant avoir dans son verger que des cerises, en avait rassemblé toutes les espèces et si bien perfectionné les plants qu'il pouvait en manger depuis mai jusqu'en septembre. Le lecteur se réjouit intérieurement quand il entend un témoin oculaire conter des détails intimes sur de si grands personnages. Notre attention s'éveille à l'instant; nous nous croyons, par contre-coup, gens de cour, et nous sourions avec complaisance; peu importe que ces détails soient minces; ils font bien, ils sont comme un geste aristocratique, comme une façon noble de prendre du tabac ou secouer la dentelle de sa manchette. Voilà l'intérêt de la belle conversation de cour; elle peut rouler sur des riens; l'excellence des façons donne à ces riens un charme unique; on écoute le son de la voix ; on est amusé par de demi-sourires; on se laisse aller au courant facile; on oublie que ces idées sont ordinaires; on regarde le conteur, sa rhingrave, sa canne dont il joue, ses souliers à rubans, sa démarche aisée sur le sable nivelé de ses allées, entre ses charmilles irréprochables; l'oreille, l'esprit luimême sont flattés, séduits par la justesse de la diction, par l'abondance des périodes ornées, par dignité et l'ampleur d'un style dont la régularité est devenue involontaire, et qui, artificiel d'abord comme le savoir-vivre, finit, comme le vrai savoir-vivre, par se changer en besoin sincère et en talent naturel.

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Par malheur, ce talent conduit parfois aux ba

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