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Il le faut, car le bien-aimé brait horriblement, et à toutes les offres de Titania il répond en demandant du foin. Quoi de plus triste et de plus doux que cette ironie de Shakspeare? Quelle raillerie contre l'amour et quelle tendresse pour l'amour! Le sentiment est divin, et son objet est indigne. Le cœur est ravi, et les yeux sont aveugles. C'est un papillon doré qui s'agite dans la boue, et Shakspeare, en peignant ses misères, lui garde toute sa beauté :

-

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Viens, assieds-toi sur ce lit de fleurs pendant que je caresse tes joues charmantes, et que j'attache des roses musquées au poil luisant de ta tête, et que je baise tes belles et larges oreilles, ô ma chère joie! Dors et je vais te bercer dans mes bras! Ainsi le chèvrefeuille parfumé s'enlace amoureusement autour des arbres. Ainsi le lierre comme un fiancé - met son anneau aux doigts d'écorce des ormes. Oh! que je t'aime! oh! que je suis folle de toi 1!

With purple grapes, green figs and mulberries;
The honey-bags steal from the humble-bees,
And, for night-tapers, crop their waxen thighs,
And light them at the fiery glow-worm's eyes,
To have my love to bed and to arise;
And pluck the wings from painted butterflies,
To fan the moon-beams from his sleeping eyes:
Come, wait upon him, lead him to my bower.
The moon, methinks, looks with a watery eye;
And when she weeps, weeps every little flower,
Lamenting some enforced chastity.

Tie up my love's tongue, bring him silently.

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While I thy amiable cheeks do coy,

And stick musk-roses in thy sleek smooth head,

And kiss thy fair large ears, my gentle joy.
Sleep thou, and I will wind thee in my arms.
So doth the wood-bine, the sweet honey-suckle,
Gently intwist, -the femal ivy so

Enrings the barky fingers of the elm.

O how I love thee! how I dote on thee!

Au retour du matin, quand « la porte de l'Orient, toute rouge de flammes, s'ouvre sur la mer avec ses beaux rayons bénis, et change en nappe d'or ses courants verdâtres', » l'enchantement cesse, Titania s'éveille sur sa couche de thym sauvage et de violettes penchées. Elle chasse le monstre; ses souvenirs de la nuit s'effacent dans un demi-jour vague, «< comme des montagnes lointaines qui s'évanouissent en nuages. » Et les fées vont chercher dans la rosée nouvelle des rubis qu'elles poseront sur le sein des roses, et « des perles qu'elles pendront à l'oreille des fleurs. » Tel est le fantastique de Shakspeare, tissu léger d'inventions téméraires, de passions ardentes, de raillerie mélancolique, de poésie éblouissante, tel qu'un des sylphes de Titania l'eût fait. Rien de plus semblable à l'esprit du poëte que ces agiles génies, fils de l'air et de la flamme, « dont le vol met un cercle autour de la terre» en une minute, qui glissent sur l'écume des vagues et bondissent parmi les atomes des vents. Son Ariel vole, invisible chanteur, autour des naufragés qu'il console, découvre les pensées des traîtres, poursuit Caliban, la brute farouche, étale devant les amants des visions

1.

2.

OBERON.

Even till the eastern gate, all fiery red,

Opening on Neptune with fair blessed beams,
Turns into yellow gold his salt-green streams.

These things seem small and extinguishable,
Like far-off mountains turned into clouds.
....I must go seek some dew-drops here,
And hang a pearl in every cowslip's ear.

pompeuses, et achève tout en un éclair'. Shakspeare effleure les objets d'une aile aussi prompte, par des bonds aussi brusques, avec un toucher aussi délicat.

› Quelle âme! quelle étendue d'action et quelle souveraineté d'une faculté unique! que de créatures diverses et quelle persistance de la même empreinte ! Les voilà toutes réunies et toutes marquées du même signe, dépourvues de volonté et de raison, gouvernées par le tempérament, l'imagination ou la passion pure, privées des facultés qui sont contraires à celles

du poëte, maîtrisées par le corps que se figurent

ses yeux de peintre, douées des habitudes d'esprit et de la sensibilité violente qu'il trouve en luimême. Parcourez ces groupes, et vous n'y trouverez que des formes diverses et des états divers d'une puissance unique. Ici, le troupeau des brutes, des radoteurs et des commères, composés d'imagination machinale; plus loin, la compagnie des gens d'esprit agités par l'imagination gaie et folle; là-bas, le charmant essaim de jeunes femmes que soulève si

1.

My dainty Ariel....

....When the bee sucks, there suck 1;

In a cowslip's bell I lie....

Merrily, merrily shall I live now

Under the blossom that hangs on the bough.
....I drink the air before me, and return

Or e'er your pulse twice beat.

....We the globe lay compass soon,
Swifter than the wandering moon.

2. Même loi dans le monde organique et dans le monde moral. C'est ce que Geoffroy Saint-Hilaire appelle unité de composition.

haut l'imagination délicate et qu'emporte si loin l'amour abandonné; ailleurs, la bande des scélérats endurcis par des passions sans frein, animés par une verve d'artiste; au centre, le lamentable cortége des grands personnages dont le cerveau exalté s'emplit de visions douloureuses ou criminelles, et qu'un destin intérieur pousse vers le meurtre, vers la folie ou vers la mort. Montez d'un étage et contemplez la scène tout entière : l'ensemble porte la même marque que les détails. Le drame reproduit sans choix les laideurs, les bassesses, les horreurs, les détails crus, les mœurs déréglées et féroces, la vie réelle tout entière telle qu'elle est, quand elle se trouve affranchie des bienséances, du bon sens, de la raison et du devoir. La comédie, promenée dans une fantasmagorie de peintures, s'égare à travers le vraisemblable et l'invraisemblable, sans autre lien que caprice d'une imagination qui s'amuse, décousue et romanesque à plaisir, opéra sans musique, concert de sentiments mélancoliques et tendres qui emporte l'esprit dans le monde surnaturel et figure aux yeux, par ses sylphes ailés, le génie qui l'a formée. Regardez maintenant. Ne voyez-vous pas le poëte debout derrière la foule de ses créatures? Elles l'ont annoncé; elles ont toutes montré quelque chose de lui. Agile, impétueux, passionné, délicat, son génie est l'imagination pure, touchée plus fortement et par de plus petits objets que le nôtre. De là ce style tout florissant d'images exubérantes, chargé de métaphores excessives dont la bizarrerie semble de

le

l'incohérence, dont la richesse est de la surabondance, œuvre d'un esprit qui au moindre choc produit trop et bondit trop loin. De là cette psychologie involontaire et cette pénétration terrible qui, apercevant en un instant tous les effets d'une situation. et tous les détails d'un caractère, les concentre dans chaque réplique du personnage, et donne à sa figure un relief et une couleur qui font illusion. De là notre émotion et notre tendresse. Nous lui disons comme Desdémone à Othello: Je vous aime parce que vous avez beaucoup senti et beaucoup souffert. >>

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