Page images
PDF
EPUB

toutes ses recherches; elle ne se présente à son esprit que chemin faisant, à mesure qu'il en a besoin; il n'en parle qu'incidemment, par-ci par-là. Les procédés de cette méthode lui sont familiers; il les emploie dans l'occasion avec rigueur; mais ces rapprochements sont très-incomplets, se réduisent à des conjectures, parce qu'ils n'ont lieu qu'à propos des exemples particuliers; si bien que la règle se trouve appliquée avant d'être une fois pour toutes établie largement et sans préoccupation. Où l'auteur place-t-il ses observations touchant l'influence exercée sur le sens des mots par telle préfixe, telle terminaison ou telle modification grammaticale? Non pas en tête d'une classe distincte de synonymes, mais au milieu ou à la fin de quelque long article où elles frappent peu et semblent quelquefois paradoxales, faute de détails et d'exemples. Au surplus, il sent lui-même la nécessité d'un traité où toutes ces règles soient disposées avec ordre, et non pas noyées ou dispersées dans les articles d'un dictionnaire; où chaque exemple vienne se ranger sous son chef à côté de ceux du même genre qu'il éclaire et dont il est éclairé. Mais il faut se rappeler ici ce qu'il dit dans sa préface: « Avec le temps j'ai entassé des matériaux; et j'ai fait un livre sans en avoir formé le dessein. »

Quoiqu'il n'ait que traversé rapidement le champ de la synonymie, M. Guizot a vu et indiqué le point sur lequel à l'avenir devraient porter principalement les efforts des synonymistes. Il reconnaît aux observations de Roubaud sur les terminaisons un intérêt et un mérite très-réels; mais il sent bien que s'il y a là le germe d'une science où seraient établies des classifications distinctives, il n'y en a que le germe; il trouve les explications de Roubaud hasardées, vagues, particulières, susceptibles d'exceptions nombreuses, et néanmoins elles constituent, à son avis, un travail utile qui fait honneur au synonymiste; et, comme pour montrer que désormais dans le même travail il faudra plutôt se préoccuper de la théorie que de la pratique, de l'établissement des principes que de leur application à tels ou tels cas, il rassemble sous un même coup d'œil toutes les idées éparses de Roubaud sur la valeur des terminaisons. Roubaud avait commencé l'œuvre un peu au hasard, sans vue générale, sans plan assuré; nous l'avons reprise et continuée dans la première partie de notre présent dictionnaire conformément à la pensée de M. Guizot, en étendant toutefois ce qu'il ne dit que des terminaisons aux préfixes et aux autres circonstances grammaticales capables de produire des différences légères entre les termes prétendus synonymes. En même temps que nous recevions ses conseils de vive voix, nous nous pénétrions de ces derniers mots de son introduction : « En général, on cherche peu, en France, à donner aux études une direction philosophique : les théories générales nous sont peu familières; elles seules cependant peuvent contenir de grandes vues et des règles positives.» Du reste, à l'œuvre on verra avec quelle circonspection nous arrivons à fonder les théories.

Dans l'intérêt de l'ordre et de la science, il faut d'abord que les synonymes grammaticaux deviennent l'objet d'un livre indépendant du dictionnaire proprement dit ou forment dans le dictionnaire une première partie distincte. Car ils

donnent lieu à une suite de travaux analogues, ayant plus de rapport avec la grammaire qu'avec la lexicographie, s'éclairant mutuellement, et qui cadrent mal avec des articles courts et incohérents, résultat de travaux également analogues entre eux, mais bien différents des premiers; car autrement on ne saurait à propos de quel exemple déterminer la règle de distinction qui s'applique à toute une classe de synonymes semblables; car enfin on serait exposé dans l'établissement de cette règle, ou à ne pas invoquer assez d'exemples de peur d'être long et de se répéter ultérieurement, ou à s'en laisser imposer par la différence particulière qui existe entre les deux ou trois mots pris pour exemples. Cependant cette séparation semble entraîner deux inconvénients assez graves. Dans la seconde partie, dans le dictionnaire proprement dit, il faut que les synonymes soient rangés en familles. Mais comme à ces familles appartiendront quelquefois des synonymes grammaticaux, se résoudra-t-on à les en retrancher comme ayant été déjà examinés dans la première partie? Ce serait une extrémité fâcheuse à laquelle heureusement rien n'oblige. Il n'y aura qu'à répéter brièvement la distinction antérieurement établie, et, pour sa justification, à renvoyer à la première partie. Ainsi parmi les mots qui représentent l'âme comme affectée de déplaisir se trouvent attristé et contristé à côté d'affligé, de fâché et de mortifié. Et ce qui sépare les deux premiers ayant été indiqué ailleurs, il ne s'agira plus ici, après avoir montré ce qu'ils ont de spécial par rapport aux trois autres, que de rappeler sans aucuns détails la différence qui aura déjà été mise entre l'un et l'autre. Ces répétitions ne seraient pas moins inévitables si l'établissement de la règle avait eu lieu, non pas dans un livre à part, mais dans un des articles du dictionnaire proprement dit; car, ici comme là, tous les exemples ayant dû être invoqués pour que rien ne manquât à la solidité de cette règle, il faudrait également, quand une famille se rencontrerait, contenant deux ou plusieurs synonymes grammaticaux, répéter de ceux-ci ce qui en aurait été dit précédemment. Mais dans la première partie, dans celle qui traitera des synonymes grammaticaux, abandonnera-t-on sans peine l'ordre alphabétique? Avec d'autant moins de peine qu'il est le plus déraisonnable, le plus illogique qu'on puisse imaginer, qu'il rapproche les mots les plus divers et éloigne les plus semblables pour le sens, et que, d'ailleurs, en ce qui concerne les dictionnaires de synonymes, il ne dispense pas d'y joindre une table à laquelle le lecteur doit nécessairement recourir.

Contre cette innovation s'élève encore une troisième difficulté que nous croyons avoir surmontée. On a déjà reproché à Roubaud d'être trop savant dans des matières et pour un public qui demandent beaucoup de simplicité. Qu'importent à un lecteur, comme le sont la plupart, toutes ces précautions, toutes ces garanties de certitude? Ce qu'il veut en consultant de pareils livres, c'est que, sans le faire passer par des séries de raisonnements et d'inductions dont il n'a que faire, on lui fournisse à l'instant des distinctions nettes. De savoir si elles sont légitimes, obtenues par des moyens que la raison avoue, c'est une question à régler entre synonymistes de profession. Point d'appareil scientifique; en pré

sentant votre travail, ayez soin de détruire l'échafaudage; il ne fait qu'embarrasser la vue. Mais que sera-ce d'un livre qui commence par accuser Roubaud d'avoir trop peu généralisé, d'avoir subordonné la théorie à la pratique, de ne s'être point assez arrêté à fixer les principes de la méthode? - Voici notre réponse. Roubaud n'est pas trop savant, mais mal savant, savant avec diffusion et intempérance. C'est là, en effet, après l'extravagance de ses étymologies, ce qui a le plus nui au succès de son ouvrage, le meilleur sans contredit qui ait été composé sur ces matières dans aucune langue. A le bien prendre, ce n'est point un livre, mais un recueil de mémoires dont l'auteur se mettant à l'aise s'avance lentement vers la vérité en marquant tous ses pas, discute, combat ses devanciers, comme s'il parlait devant une assemblée d'érudits dont il brigue les suffrages. Cette science ne saurait convenir au public, surtout dans un genre didactique comme celui-ci : il la lui faut concise, dogmatique et impérieuse. Nous avons tâché de lui donner ces caractères dans notre première partie, sans préjudice de la vérité pourtant, et quoique nous y déduisions nos distinctions de principes plus généraux et plus catégoriquement établis. Mais lorsque la nature du sujet ne nous a permis d'arriver à ces principes qu'à force de longs raisonnements ou à l'aide d'une induction laborieuse, nous avons disposé notre travail de manière que le lecteur pût très-bien en connaître le résultat sans prendre la peine de parcourir la voie qui nous y a conduit. Chaque exemple est traité séparément en termes courts, qui se comprennent indépendamment de tout le reste, quoique, envisagé dans le tout, il soit en même temps une application et une confirmation de la règle. Quelqu'un veut-il savoir la différence de stomachique et de stomacal, de secrètement et d'en secret, par exemple, sans éprouver le besoin, faute d'instruction ou de loisir, de vérifier le principe qui a servi à la déterminer, il la trouvera exprimée nettement et brièvement dans un article particulier. Puissions-nous être parvenu de la sorte à satisfaire à la fois les esprits qui s'intéressent aux progrès de la science et ceux qui n'en goûtent que les résultats. Nous avons déjà donné le nom d'inductive à la science qui s'occupe de la distinction des synonymes grammaticaux ou à radicaux identiques. C'est ici le lieu d'expliquer et de justifier cette qualification. On appelle inductive la méthode à l'aide de laquelle l'esprit s'élève de l'observation de certains faits particuliers à des conclusions générales sur tous les faits de la même espèce. Ainsi procèdent les savants dans l'étude de la nature extérieure et dans celle de notre nature intime; ainsi procédera le philologue en recherchant les règles qui doivent guider dans la distinction des synonymes grammaticaux. D'abord, il en formera diverses classes d'après la légère modification de forme, seule capable d'apporter quelque différence de signification entre les deux mots synonymes de chaque exemple. Cette tâche préparatoire n'offre aucune difficulté; elle ne demande qu'un peu d'ordre dans l'esprit et de patientes recherches. Une fois accomplie, un travail d'observation et de comparaison lui succède ayant pour objet la découverte de la règle de distinction applicable à tous les exemples. Dans chacun la différence doit être la même en conséquence de ce

SYN. FRANC.

с

principe admis par toutes les sciences inductives, que les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que les mêmes effets sont produits par les mêmes causes, la même modification grammaticale doit, dans tous les cas, faire varier de même la signification. En quoi consiste cette variation, c'est précisément ce qu'il s'agit de trouver, et, pour le trouver, le philologue emploiera tous ses soins et toutes les ressources possibles. Il examinera chaque exemple en particulier pour en faire sortir la différence; puis il la comparera avec celles des autres exemples de manière à saisir entre toutes quelque chose de commun ou à les ramener les unes aux autres. Entre les exemples, il en remarquera de décisifs, soit que la différence s'y montre à découvert, soit que d'habiles synonymistes y aient déjà fait des distinctions d'une vérité frappante. Il ne négligera pas, au contraire il s'empressera de recueillir ceux où cette différence est tellement sensible qu'il ne reste plus entre les deux termes aucune synonymie. Lorsqu'on aura des lumières suffisantes sur l'effet causé dans le sens des mots par la modification grammaticale, qui seule peut révéler la différence des synonymes d'une classe entière, il sera facile d'en tirer une règle générale pour la distinction, non-seulement de ceux qu'on aura pris pour exemples, mais encore de tous ceux, appartenant à la même classe, qu'on pourrait avoir omis. La règle étant énoncée brièvement et dogmatiquement, à la suite viendront les exemples qui la présenteront appliquée pour les lecteurs, à qui son application seule importe, et justifiée, pour ceux qui tiennent à être assurés de sa rigueur.

Quelquefois, au lieu d'être puisée dans l'examen et la comparaison des synonymes mêmes de la classe, la connaissance de la valeur propre à la modification grammaticale qui les différencie résulte tout entière de la considération de mots étrangers à cette classe ou même à la langue française. C'est ce qui arrive surtout par rapport aux synonymes à préfixes ou à terminaisons différentes. Ainsi, avant d'arriver à connaître ce qui distingue les substantifs synonymes de même radical terminés les uns en erie et les autres en isme, nous avons dû rechercher les nuances de signification attachées à ces deux désinences, en comparant séparément un grand nombre de mots en erie 1, puis un grand nombre d'autres en isme; de sorte que, rapprochant les deux valeurs, nous avons pu établir d'une manière générale les rapports d'opposition nécessairement existants entre les synonymes de cette classe. Au surplus, que ce soit aux expressions mêmes à expliquer ou à d'autres qui ne sont point en question ou tout à la fois aux unes et aux autres qu'on s'adresse pour avoir le sens de la modification grammaticale, on parvient toujours à le déterminer au moyen de l'induction.

Telle est, rapidement esquissée, la méthode à suivre pour assigner aux synonymes grammaticaux leurs traits distinctifs. Sans descendre aux particularités de cette méthode dans ses diverses applications, sans anticiper sur les détails

[ocr errors][merged small]

du livre même, nous pouvons au moins dès à présent ajouter à ce qui vient d'être dit quelques remarques générales importantes et qui ne demandent pas pour être comprises de longs développements.

Outre l'avantage de rassembler, pour la distinction des deux mots synonymes dans chaque exemple, les lumières que fournit l'examen non-seulement de tous les autres exemples, mais encore de termes étrangers à la classe et affectés de la même modification grammaticale, cette méthode a encore celui de rendre, sinon tout à fait inutiles, au moins peu nécessaires, les citations de passages ayant pour but de constater l'usage par rapport à chaque couple de synonymes. Cet usage, elle le fait connaître à priori et comme d'emblée, en même temps qu'elle l'explique et en rend raison. Soient les deux synonymes défiance et méfiance. En procédant à la manière de Girard, on s'efforcera de découvrir leur différence par instinct, par la méditation et à l'aide d'une sagacité plus ou moins pénétrante. C'est ce qu'ont fait les auteurs des deux articles de l'Encyclopédie sur ce sujet. On pourrait aussi, comme pour les synonymes à radicaux divers, s'attacher à savoir la décision de l'usage touchant la valeur propre des deux mots, et à cette fin on recueillerait dans les auteurs classiques beaucoup de passages où cette valeur se trouve bien marquée. Mais ce moyen n'est ni le plus court, ni le plus sûr, ni le plus satisfaisant; c'est seulement un moyen surérogatoire qu'on emploiera quelquefois par surcroît de précaution. Après que le sens précis de chacune des deux préfixes dé et mé aura été séparément déterminé par l'examen et la comparaison d'un grand nombre de termes français ou étrangers qu'elle commence, on rapprochera deux par deux les mots peu ou point synonymes qui ont même radical et pour préfixe, l'un dé, l'autre mé, et par exemple, dépriser et mépriser, décompte et mécompte, dédire et médire. On arrivera ainsi par analogie à connaître non-seulement ce que l'usage pense ou plutôt doit penser sur la différence des deux mots, mais encore pourquoi il le pense ou doit le penser. Sans doute les esprits méticuleusement positifs et empiriques jugeront qu'il vaudrait mieux constater l'usage que de décider au nom de la science ce qu'il doit être. Mais, outre que les citations ne le révèlent pas infailliblement, il est bien permis à la science de le guider, de le contrôler même quelquefois dans les cas particuliers, d'après des données fournies par l'usage lui-même. Nous avons donc dù citer plus rarement dans la première partie. Toutefois nous ne nous en sommes abstenu que quand la différence obtenue scientifiquement était si évidemment confirmée par l'usage, que toute démonstration au moyen des faits devenait superflue.

En second lieu, il ne suffit pas de ranger en classes les synonymes grammaticaux, il faut savoir aussi distribuer les classes entre elles. Le sujet entier se divise, à notre avis, en trois parties principales sous les titres suivants : 1° Syno-, nymes dont les différences dépendent de certaines circonstances grammaticales; 2° Synonymes dont les différences dépendent de la valeur des préfixes; 3° Synonymes dont les différences dépendent de la valeur des terminaisons'. Dans la 1. Pour différencier les mots synonymes à radical commun, la langue grecque a plusieurs moyens

« PreviousContinue »