Page images
PDF
EPUB

bère de telles ou telles choses d'ordinaire, suivant le cours naturel des affaires; elle délibère sur une chose dans un cas particulier, ou sur une chose qu'on spécifie ou qui est remarquable sous quelque rapport, imprévue, importante, capable de causer de longs débats. On félicite quelqu'un d'avantages communs, qui lui sont advenus, qui n'ont pas dépendu de son mérite propre, et, par exemple, d'un changement de fortune par suite de succession (LES.). « Je vous félicite du plaisir que vous avez eu de faire le voyage avec M. le comte d'Egmont. » MONTESQ. On félicite quelqu'un sur ses qualités, sur ses talents et sur ce qu'ils lui ont valu ou attiré d'heureux, sur le succès de ses travaux (FÉN.), de ses sermons (LES.), sur son goût (VOLT.), sur l'agrément et sur la politesse de son langage (LABR.). Congratuler s'employait aussi autrefois de la même manière, c'est-à-dire avec de dans les cas ordinaires, qui ne méritaient pas qu'on insistât, lorsqu'il s'agissait d'un pur bonheur. « Quand on congratulait Tite d'une conquête si glorieuse (celle de la Judée) : Non, non, disait-il, ce n'est pas moi qui ai dompté les Juifs; je n'ai fait que prêter mon bras à Dieu, qui était irrité contre eux. » Boss. Mais congratuler sur était une expression de choix, réservée pour les cas où il fallait louer la personne elle-même, ses mérites ou son habileté. « Un flatteur congratule Théodème sur un discours qu'il n'a point entendu, et dont personne n'a pu encore lui rendre compte. » LABR.

9° POUR et AFIN, AVEC et PAR.

Quand à et de sont synonymes, on peut aisément réduire chacun à son rôle précis et véritable en mettant entre eux l'opposition de la généralité à la spécialité. Il en est de même quand à et de se trouvent synonymes, chacun de son côté, des prépositions spécificatives, par, avec, pour, etc.; le caractère de la généralité convient aux premières, et aux dernières celui de la spécialité. Mais il y a plus: les prépositions spécificatives sont-elles elles-mêmes synonymes entre elles, alors leur différence se trouve encore dans cette même opposition : l'une des deux prépositions est plus générale, l'autre plus spéciale. De sorte qu'on peut établir d'une manière presque absolue la règle suivante pour la distinction des prépositions à qui il arrive d'exprimer le même rapport, c'est-à-dire d'être synonymes, c'est que l'une d'elles est pour les cas ordinaires, habituels, communs, l'autre pour les cas extraordinaires, particuliers, remarquables. Après tous les détails donnés dans ce chapitre et dans les trois qui précèdent, il suffira d'apporter seulement deux exemples pour confirmer cette théorie.

POUR et AFIN signifient l'un et l'autre qu'on fait une chose ou qu'une chose est faite en vue d'une autre.

En ce sens, pour est, par rapport à à, l'expression spéciale, particulière, remarquable: travailler à s'instruire, travailler pour s'instruire. Mais il devient à son tour l'expression générale, ordinaire, vague, par rapport à afin: travailler pour s'instruire, travailler afin de s'instruire. Il

marque une fin, une intention, moins particulière pour l'individu ou pour la circonstance. Toutes les femmes se parent pour aller au bal; mais, parmi elles, il y en a quelques-unes qui se parent afin de faire des conquêtes. Vous mangez pour vivre, et dans la maladie vous mangez de préférence de certains aliments afin de rétablir votre santé. Et non-seulement pour exprime plus vaguement, plus faiblement l'intention, mais encore il semble être tout objectif et n'avoir rapport qu'au résultat qu'on a en vue de produire; il pourrait être remplacé par, à l'effet de; tandis que afin, tout subjectif, annonce expressément le dessein d'arriver à un certain but et se traduirait plutôt par, en vue de. On dit faire ses efforts, ou s'efforcer pour, quand on ne considère que l'effet qu'on s'efforce de produire, et faire des efforts afin, quand on a surtout égard au dessein, à l'intention, au désir qu'on a d'atteindre un but. Mais plus on fait d'efforts afin de le bannir, Plus j'en veux employer à le mieux retenir.

MOL. (Orgon parlant de Tartufe).

Dans sa démonstration de l'Existence de Dieu. Fénelon, voulant montrer que tout dans l'univers manifeste un dessein, un plan, une intention, dit de chaque chose, elle est arrangée de telle et telle façon, afin que... On dira au contraire, pour faire telle chose, il faut, il est nécessaire, il suffit que..., parce qu'alors on considère surtout la possibilité et la facilité du résultat indépendamment de l'intention où l'on est de produire. Ainsi, afin signifie une intention particulière, ou particulièrement l'intention. Il signifie une fin particulière, une fin qui n'est pas celle qu'a tout le monde en faisant la chose, une fin à soi, secrète, fine, peu commune, détournée, éloignée, en un mot, qui se distingue des fins ordinaires. « Le marchand fait des montres pour donner de sa marchandise ce qu'il y a de pire: il a le cati et les faux jours, afin d'en cacher les défauts et qu'elle paraisse bonne; il la surfait pour la vendre plus cher qu'elle ne vaut; il a des marques fausses et mystérieuses, afin qu'on croie n'en donner que son prix. » LABR. « Nous nous étions hâtés de venir attaquer Salente pour nous défaire du plus faible de nos ennemis, afin de retourner ensuite nos armes contre cet ennemi plus puissant. » FÉN.

AVEC et PAR expriment le rapport de l'instrument ou du moyen employé pour parvenir au but proposé, avec l'agent qui emploie cet instrument

ou ce moyen.

Mais avec est l'expression spéciale, et partant il désigne un rapport plus étroit, plus immédiat, un instrument précis, réel, physique; par est l'expression générale, ce qui fait qu'il signifie un rapport plus indirect ou plus éloigné, un moyen abstrait, idéal. Blair (Rhétorique, 3o partie, lecture X), à qui nous empruntons cette distinction la développe et la justifie de la manière suivante : << On tue un homme avec une épée, il meurt par violence; un criminel est garrotté avec une corde par le bourreau. On trouve, dans un passage de l'Histoire d'Écosse, par Robertson, un exemple sensible de la différence qui existe entre ces deux particules. Un ancien monarque écossais demandait à ses nobles, par quel droit ils possédaient

leurs terres; les nobles se levèrent, et tirant leurs épées : « C'est par elles, s'écrièrent-ils, que nous les avons acquises, c'est avec elles que nous les défendrons. Par elles indique que leur épée fut un des moyens par lesquels ils acquirent leurs terres, lorsqu'ils employerent la force pour s'en rendre les maîtres, et avec elles signifie que leur épée est l'instrument direct et immédiat qu'ils sont prêts à employer pour les défendre.

10 CONTRE. SUR, ETC.

sous le point de vue moral, comme une violation; attenter sur ou contre la vie de quelqu'un signifie physiquement et rigoureusement porter la main sur lui, ou du moins c'est le sens propre d'attenter sur, et, de son côté, attenter contre se dist tingue par un caractère tout particulier. - On attente sur et contre les personnes; et quand on attente sur et contre les choses, cela s'entend d'une maniere plutôt physique et réelle que mo

CONTRE et A, CONTRE et rale et abstraite.

Voici maintenant la différence d'attenter sur et d'attenter contre. Attenter sur, prendre sur, empiéter sur, est d'un usurpateur, d'un homme injuste; attenter contre, s'élever et marcher contre, sans crainte ou sans respect, est d'un audacieux ou d'un sacrilége. On attente proprement sur les droits. « Attenter sur la bourse du prochain. » LES.

D

Amour m'a fait défense

(Psyché.) LAF.

« Ozias attenta sur les droits sacrés du sacerdoce. » Boss. On attente proprement contre ce qu'il y a de plus élevé et de plus vénérable, et cette expression donne l'idée de marcher contre, ouvertement, hardiment, malgré les obstacles, l'opposition ou le caractère d'inviolabilité.

A et de sont les seules prépositions dont nous ayons longuement déterminé la valeur en les considerant, dans des chapitres distincts, à la suite de verbes qui s'emploient aussi sans préposition. Exemples: prétendre, toucher, suppléer, croire quelque chose; prétendre, toucher, suppléer, croire à quelque chose: désirer, espérer, préférer faire une chose et de faire une chose, hériter une chose et d'une chose, traiter D'attenter sur des jours qui sont en sa puissance. un sujet et d'un sujet. On pourrait faire le même travail sur d'autres prépositions, sur contre, par exemple: on dit également combattre quelqu'un ou quelque chose, et combattre contre quelqu'un ou quelque chose. Après quoi, le sens de la préposition étant bien constaté, il serait facile de la distinguer soit de à et de de, soit de celles des prepositions qui sont spécificatives. Ainsi on aper-« Attenter contre l'Etat, contre son roi, contre cevrait plus aisément la différence d'attenter contre par rapport à attenter à et à attenter sur, celle d'entreprendre contre par rapport à entreprendre sur, et ainsi des autres exemples, s'il y en a. COMBATTRE quelqu'un ou quelque chose, COMBATTRE CONTRE quelqu'un ou quelque chose. Contre marque opposition: combattre contre se doit donc dire, quand il s'agit d'exprimer une opposition forte, extraordinaire, acharnée, la lutte d'un homme qui combat le sachant et le voulant, d'une manière ouverte et déclarée, qui De craint pas de s'élever et de se porter contre. Cette expression dénote naturellement de la part du sujet une grande hardiesse ou de l'audace, et de la part de la personne ou de la chose combattue une grande résistance et la difficulté de la vaincre. Les Titans combattirent contre Jupiter. Suivant les traditions de l'antiquité, les premiers héros combattirent contre les lions et contre les sangliers avec des massues. » VOLT. « Par ces flèches tu seras invincible, comme je l'ai été, dit Hercule à Philoctete, et aucun mortel n'osera combattre contre toi. » FÉN. « Semblable à un rocher contre lequel les vents combattent en vain, Philocles demeurait immobile.» ID. « Combattre contre un plus puissant que soi. » MAL.

Dieu. » Boss. « Richelieu fit accuser les conspirateurs de vouloir attenter contre le roi même. » VOLT. « Si un prêtre osait parmi nous attenter quelque chose de semblable à l'action de Joad contre les personnes du sang royal, il serait condamné au dernier supplice. » ID. « Ceux qui s'emparaient des droits régaliens voulurent épouvanter par le supplice de la roue quiconque oserait attenter contre eux. » ID. « Garde-toi bien, dit l'Amour à Psyché, d'attenter contre ta vie ! » LAF.

ENTREPRENDRE SUR, et ENTREPRENDRE CONTRE different absolument comme attenter sur et attenter contre.

α

α

Entreprendre sur exprime une simple usurpation; c'est, sans aucun titre et violemment, s'arroger un droit ou une autorité. « Er jugeant du prochain nous attentons sur l'autorité de Dieu, nous entreprenons sur ses droits, nous nous donnons ou nous prétendons nous donner un pouvoir qu'il s'est réservé, et qui lui est propre.» BOURD. « L'adultère entreprend sur la femme de son prochain sans autre titre que sa convoitise. »> Boss. « Chez les Grecs l'homme civil n'était autre chose qu'un bon citoyen qui se laisse conduire par les lois, et conspire avec elles au bien public sans rien entreprendre sur personne. » ID. Entreprendre contre se dit en parlant d'une entreprise ou d'une usurpation indigne, audacieuse, insoA est une préposition générale, indéterminée, lente. « La puissance des démons les rend suvague; au lieu que sur et contre sont des prépo- perbes et audacieux : ils entreprennent contre le sitions spécificatives. Attenter à sera donc l'ex-fils de Dieu même; peut-on voir une audace plus pression générale, affaiblie, idéale, abstraite : attenter à l'honneur, à la probité, à la pudeur, à la liberté, mais non pas attenter à une personne. D'autant que, suivant l'étymologie de la préposition à, attenter à doit désigner une tentative avec un plus ou moins grand éloignement du but. Attenter à la vie de quelqu'un représente l'attentat

ATTENTER Å, ATTENTER SUR, ATTENTER CONTRE. Commettre un attentat.

emportée ? » Boss. « L'homme, ver de terre, croit que le presser tant soit peu du pied, c'est un attentat énorme, pendant qu'il compte pour rien ce qu'il entreprend hautement contre la souveraine majesté de Dieu et contre les droits de son empire! » ID. « Ce prétendu attentat d'un soldat chrétien contre Julien eût passé pour une entre

prise contre la loi éternelle et pour un sacrilége plus qu'à l'état. A trente ans, le temps des illucontre la seconde Majesté. » ID.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]

sions est passé, et on se plaint généralement qu'il a passé trop vite. La flotte a passé à Cadix å telle époque (DELAF.); c'est un fait qu'on apprend. Heureusement les conspirations sont passées de énonce. A l'idée d'action propre à l'auxiliaire mode (VOLT.); c'est un état de choses qu'on avoir s'en joignent naturellement d'autres qui en forment comme le cortège ordinaire, celles des circonstances de temps, de lieu, de manière, de motif, au milieu desquelles l'action s'est produite quand, par où, comment, pourquoi a-til passé, monté, etc.? Rien de tout cela ne convient à l'auxiliaire être, parce qu'au lieu de marquer l'action, il exprime l'état, la possession

AVOIR RÉSULTÉ, ÊTRE RÉSULTÉ. Etre devenu le résultat ou la conséquence.

Pour trouver la règle de distinction, il suffit de bien saisir le rôle des deux auxiliaires, car en eux seuls réside évidemment toute la différence qui puisse exister entre les expressions synony-d'une qualité, comme on s'en convainc en le tramiques de ce genre. Or, ils s'emploient pour mar- duisant, et on le peut toujours, par se trouver. quer, le premier, une action et une action pas- Est-il passé, monté, descendu? Se trouve-t-il sée, j'ai aimé; le second, un état et un état passé, monté, descendu ? c'est-à-dire dans l'état présent, je suis aimé. Ils doivent immanquable-d'un homme passé, monté, descendu? et le sujet ment garder ces caractères quand ils servent à étant tel, qu'ai-je à faire? où dois-je le cherconjuguer un même verbe neutre. Avoir, l'auxi- cher ? liaire des verbes actifs, exprimera par conséquent un fait et un fait passé; être, l'auxiliaire des verbes passifs, un état et un état présent, résultant de ce fait. Ils formeront avec le même participe, auquel ils sont joints, deux expressions légèrement différentes, l'une plutôt historique, pour ainsi dire, ou narrative, l'autre plutôt qualificative; l'une rappelant plutôt le côté verbal du participe, et l'autre son côté adjectif; l'une faisant voir le sujet pendant l'action qui a eu lieu, et l'autre dans l'état qui est résulté de cette action; toutes deux relatives au temps, mais celle-là au temps qu'a duré le fait, et celle-ci au temps depuis lequel le sujet se trouve dans tel état par suite de ce fait. A l'application on verra combien le principe est rigoureux, et combien est grande ici la coïncidence entre la logique instinctive du langage et la logique réfléchie de la grammaire.

Avoir résulté présente comme événement et comme s'opérant dans le temps passé ce que être résulté signifie comme chose présentement existante. Vous avez été témoin de leurs querelles, et vous avez vu comment il en a résulté un procès; moi qui n'y étais point, je sais qu'il en est résulté un procès. Les physiciens, qui suivent les actions les plus cachées de la nature, peuvent dire que tels ou tels effets en ont résulté; ils en sont résultés pour le vulgaire. Buffon décrivant la formation de la terre dit : « De la combinaison du mouvement de rotation et de celui de l'attraction des parties il a résulté une figure spheroïde. » Et ailleurs rappelant un résultat qu'il considère en lui-même et non relativement à son mode de production : « Whiston a si étrange1° Parmi les verbes neutres susceptibles de se ment mêlé la science divine avec nos sciences conjuguer avec avoir et être, on en peut distin-humaines qu'il en est résulté la chose la plus exguer d'abord un certain nombre qui marquent de traordinire du monde, qui est le système que la part du sujet l'action de se mettre dans un nous venons d'exposer. » nouvel état, d'aller d'un lieu à un autre tels sont passer, monter, descendre, entrer, aborder, résulter. Ils méritent un examen à part, à cause de l'analogie de leur signification et de la manière spéciale dont la règle générale s'y adapte. Composés avec avoir et étre, tous les participes de ces verbes donnent naissance à des locutions qui, prises deux à deux, sont synonymes, à raison de l'identité de leur radical. La synonymie n'est cependant pas absolue, et les verbes dont il est question ne reçoivent pas indifféremment pour auxiliaire avoir ou être. Conjuguez-les avec avoir, vous représentez le sujet pendant qu'il a fait l'action de se rendre d'un lieu à un autre; si vous le conjuguez avec être, vous montrerez le même sujet comme étant dans tel état par suite de cette action. La procession a passé ici, sous mes fenêtres, je l'ai vue; en parlant ainsi, je songe à l'action de la procession qui passait. La procession est passée, ne l'attendez plus; c'est ce que je réponds à celui qui me demande s'il vient à temps pour la voir, parce qu'alors je ne pense

2o Une seconde espèce de verbes neutres prenant tantôt l'auxiliaire avoir, tantôt l'auxiliaire être, est celle de ceux qui signifient que le sujet est mis dans un certain état, qu'il devient tel ou tel: avoir et être changé, embelli, etc. Quand ils prennent avoir, ils rappellent l'action ou l'opération qui a mené à cet état; et s'ils se conjuguent avec être, ils se rapportent tout à l'état et nullement au fait. Les propositions dans lesquelles entre avoir sont propres à représenter le sujet comme étant devenu dans et pendant tel temps, successivement, progressivement, de telle manière et par tel moyen, ce qu'il est. Celles où le même participe est composé avec être sont simplement énonciatives d'une qualité, et signifient simplement que le sujet est ou se trouve ce qu'il est, sans autre indication, si ce n'est quelquefois celle du degré. - « Vous avez disparu comme un éclair. » J. J. « Maintenant ma première âme est disparue, et je suis animé de celle que tu m'as donnée. » ID. -« Les mœurs et l'état de tout le corps de la nation ont changé

J'ai retenu le chant, les vers m'ont échappé.
J. B. ROUSSEAU.

d'âge en åge.» FÉN. Quand notre langue sera | qui supposerait son existence. Pour être tel ou changée, le dictionnaire servira à faire entendre tel, dans tel ou tel état, il faut d'abord être. les livres dignes de la postérité. » ID. « Cet homme est changé à ne pas le reconnaître. » ACAD. - Depuis qu'il a perdu son libertin de fils aîné, « Le véritable sens avait échappé à tous les tratu sais comment tout a changé pour nous. »ducteurs. » ACAD. « Jamais il ne m'a échappé BEAUM. On dirait: tu sais comme ou combien une seule parole qui pût découvrir le moindre (MARM.) cette personne ou cette chose est secret. » FÉN. changée.

[ocr errors]

On pourrait aisément appliquer la règle à chaque exemple en particulier, et la justifier par de nombreux passages des écrivains les plus scrupuleux sur le choix des mots; mais la facilité même de ce travail nous l'interdit. L'intelligence du lecteur saura bien y suppléer.

AVOIR PÉRI, ÊTRE PÉRI. Etre mort, avoir succombé à une cause de destruction.

Régulièrement, avoir péri donne l'idée de l'événement, du fait qui a amené la cessation de l'existence, de l'époque de ce fait, de sa manière et de ses moyens. « Louis II, roi de Hongrie, avait péri dans les plaines de Mohatz, lorsqu'en 1526, Soliman II couvrait ces plaines de morts. » VOLT. Etre péri indique l'état qui résulte de l'action de périr, l'état de ce qui a été et n'est plus. Toute

3 Cette distinction conduit à une remarque importante qui n'a encore été faite par aucun grammairien. Si l'action qu'exprime le verbe est telle qu'elle anéantisse le sujet, celui-ci ne pou-fois, et malgré l'exemple de Pascal, de Bossuet, vant plus être qualifié après l'action qui le détruit, le verbe ne devra s'employer qu'avec avoir. Si, au contraire, l'action est très-courte, instantanée, ou que l'état du sujet, après l'événement, soit de nature à préoccuper, on se servira plus volontiers d'être que d'avoir. Les trois exemples qui suivent rendront la chose évidente.

AVOIR ÉCHAPPÉ, ÊTRE ÉCHAPPÉ. On dit également d'un cerf, qui s'est mis hors de la portée des chiens : il a échappé, et il est échappé aur chiens.

Il leur a échappé peint le fait, l'événement; il leur est échappe signifie l'état où la bête se trouve en conséquence. Il leur a échappé, c'est à-dire que, par ses ruses, par ses détours, par la légèreté de sa course, en un mot par son action, il a évité d'être pris ou saisi par eux; il leur est échappé, c'est-à-dire que, grâce à | l'action qui l'a soustrait à leur poursuite, il est dans un état à ne plus craindre cette poursuite. En agissant il a échappé, et, depuis qu'il a échappé, il est échappé. Il en est de même de celui qui a échappé relativement à celui qui est échappé à la mort. Il tenait mal sa canne, elle lui a échappé; elle a fait l'action de choir : sa canne, dont il a besoin, lui est échappée, ramassez-la-lui; elle est dans l'état postérieur à la chute.

de Lafontaine, de- Mme de Sévigné, de Boileau,
de Fénelon, de J. J. Rousseau, l'Académie ne
paraît point admettre être péri, pas plus que
être expiré dans le sens de Racine,
a ce héros
expiré, » et tout homme de goût répugne à l'em-
ployer. La raison en est qu'on a bien de la peine
à considérer une chose comme étant telle ou
telle, dans tel ou tel état, quand elle n'est plus,
quand elle a péri. - On peut expliquer de même,
mais en sens opposé, pourquoi, au contraire, on
conjugue toujours le verbe tomber avec être. L'é-
tat de la chose, après la chute, est trop impor-
tant pour ne pas nous préoccuper tout entiers :
la chute, d'ordinaire instantanée, n'intéresse
qu'en raison de l'effet qui en résulte. L'attention
se porte d'abord et exclusivement sur la chose
qui est là, affectée de telle ou telle manière : il
faudrait, pour la considérer à son point de dé-
part et pendant le chemin qu'elle parcourt si
vite, une liberté d'esprit dont on est incapable;
on ne la voit qu'à son terme, et telle que l'action
l'a faite.

AVOIR PARTI, ÊTRE PARTI. Avoir quitté un lieu, être allé ailleurs.

On dit plus volontiers, il est parti, parce qu'on songe presque toujours à l'état de la personne partie, absente, et aux conséquences de son départ il est parti, il ne se trouve plus ici, je ne le reverrai plus, il habite un lieu éloigné, il va peut-être tomber malade, etc. Mais on dira bien d'un lièvre, il est parti, et il a parti : il est parti, c'est-à-dire, il n'est plus ici, ne le cherchez plus ici; il a parti, c'est-à-dire qu'il a pris la fuite, qu'il s'est soustrait aux poursuites, et qu'il est perdu pour le chasseur; ce qui doit empêcher de le qualifier par la phrase, il est parti. En parlant Il vous est échappe deux cruelles lignes contre de la décharge d'une arme à feu, on dira touBayle. ID.

Mais voici une autre différence essentielle. Quand vous parlerez d'une chose dite ou faite par imprudence, par indiscrétion, par mégarde, par négligence, servez-vous toujours du verbe être, parce que la chose dite ou faite, subsistant apres l'action, est propre à être qualifiée en raison de cette action.

Ce mot m'est échappé.

VOLT.

Peut-être, si la voix ne m'eût été coupée, L'affreuse vérité me serait échappée. RAC. Que si vous voulez faire entendre, au contraire, qu'une chose n'a pas été dite ou faite, quelle qu'en soit la cause, il faudra toujours préférer eroir, parce que, la chose non dite ou non faite ne subsistant pas après l'oubli ou l'omission, ou plutôt ne subsistant pas, sa production n'ayant pas eu lieu, ne peut pas recevoir de qualification

α

jours, le coup a parti. « Le fusil avait parti sans que le chasseur y pensât. » S. S. Si on disait le coup est parti, cela signifierait le coup subsiste, se trouve étant parti; mais on ne peut pas le considérer comme ayant telle ou telle qualité, comme étant dans tel ou tel état, après qu'il a été anéanti par le départ.

4° Une autre conséquence résulte de la distinction générale. Avec avoir le verbe neutre décrit, raconte, c'est-à-dire exprime quelque chose de

temporaire et d'accidentel; avec être il qualifie, c'est-à-dire énonce quelque chose de fixe et de durable. Cette différence est bien sensible dans avoir cessé et être cessé.

AVOIR CESSÉ, ÊTRE CESSÉ. Ne plus agir, ne plus se faire sentir.

Le premier marque un fait, et tout fait est relatif, passager, accidentel; le second, une qualité, et toute qualité est plus ou moins permanente. De là, entre ces deux expressions une différence particulière, outre celle qui est commune à tous les synonymes de cette classe. Condillac l'a bien saisie, mais ne l'a pas bien expliquée. Quand on dit la fièvre a cessé, on présume qu'elle reviendra, on a au moins tout lieu de le craindre. La fièvre a cessé signifie donc qu'elle a cessé momentanément, qu'elle a cessé d'agir pour recommencer. « La fièvre lui a duré continue pendant trois ou quatre jours, et puis a cessé puis il est venu un redoublement que nous ne croyons pas dangereux. » LAF. Mais, quand on dit la fièvre est cessée, c'est qu'on juge qu'elle ne reviendra pas; cessée est un adjectif, comme le prouve son accord avec le sujet, et c'est pourquoi il représente la cessation comme un état ou une qualité, c'est-à-dire comme quelque chose de durable et non comme un accident. « Le fléau de la contagion qui désolait nos provinces est enfin cessé. MASS.

Où sont-ils ces maris? La race en est cessée. LAF. 5 Malgré la différence réelle reconnue en commençant entre deux espèces de verbes neutres, signifiant, les uns que le sujet fait l'action qui le met dans un nouvel état, et les autres qu'il la subit, ils ont pourtant cela de commun, qu'ils marquent une action d'où résulte un état; et ce qui fait qu'ils se conjuguent avec avoir ou avec être, c'est principalement qu'on se propose en les employant, ou bien de rappeler l'action, ou bien d'arrêter l'esprit sur l'état.

Mais deux verbes neutres, demeurer et rester, se tenir ou s'arrêter en certain lieu, pendant un certain temps, expriment essentiellement l'état. Les locutions synonymiques avoir et être demeuré ou resté ne peuvent donc pas différer en ce que la première désignerait une action et la seconde un état.

« J'ai demeuré captif en Égypte comme Phénicien. » Et ailleurs il dit : « L'école d'Epicure est demeurée perpétuellement dans une égale splendeur.»« Quel temps avez-vous demeuré en Angleterre?» MoL., se demande à un homme qui n'est plus en Angleterre. Mais si, revenu d'Angleterre, j'y ai laissé un ami, je dirai, il est demeuré en Angleterre, pour tel ou tel motif, dans telle ou telle intention.

Du reste, ce double point de vue convient aussi quelquefois aux verbes neutres qui marquent action. Dire qu'une personne a sorti, c'est supposer qu'elle est rentrée, ce qui n'est pas supposé dans elle est sortie.

C'est aussi de cette manière et pour la même raison qu'on doit distinguer les deux expressions, avoir été quelque part, et y être allé. Qui a été dans un lieu en est revenu ou sorti; qui y est allé, s'y trouve encore. « Tous ceux qui ont été à Rome n'en sont pas meilleurs : tous ceux qui sont allés à la guerre n'en reviendront pas. Lucinde a été au sermon, et n'en est pas devenue plus charitable pour sa voisine. Céphise est allée à l'église, où elle sera moins occupée de Dieu que de

[blocks in formation]

L'adverbe est du nombre des mots que les dictionnaires définissent toujours par des locutions prétendues synonymes, ,c'est-à-dire en apparence équivalentes et plus ou moins différentes en réalité. Jamais il n'y a parfaite identité entre l'adverbe et son explication; défaut de justesse inėvitable, mais de grande conséquence, parce que l'explication étant souvent aussi usitée que l'adverbe lui-même, il en résulte pour celui qui parle ou écrit, indécision, embarras. C'est au synonymiste à lever toute difficulté.

La seule règle de distinction vraiment générale et applicable à tous les exemples se tire du rôle grammatical de l'adverbe. Il accompagne tou

Aussi existe-t-il entre l'adverbe et le verbe une espèce d'affinité ou d'alliance intime : l'adverbe prend la livrée du verbe, il se teint de ses couleurs, il participe de ses diverses nuances. Il rappelle une action et un agent; il exprime un fait ou quelque chose d'effectif, quelque chose qui se passe, et il a un certain rapport à un sujet qui agit; ou, pour le dire en termes trèsabstraits, mais précis, il est marqué d'un caractère de phénoménalité ou de contingence et d'un caractère de subjectivité.

Il faut se rappeler ici le second caractère dis-jours le verbe, comme l'adjectif le substantif. tinctif des deux auxiliaires : avoir n'est pas seulement réservé pour l'actif, mais aussi pour le passé; et étre est tout ensemble significatif de l'état et relatif au présent. En conséquence, avoir demeuré ou resté désignera l'état comme un fait dans le passé; être demeuré ou resté le désignera comme une qualité possédée dans le présent. Avec avoir, on fera entendre que le sujet n'est plus dans le lieu dont il est question, qu'il n'y était plus ou qu'il n'y sera plus à l'époque dont il s'agit; et avec être, on exprimera que le sujet est encore au lieu dont il est question, qu'il y était encore, ou qu'il y sera à l'époque dont il s'agit. — J. J. Rousseau dit, en parlant de deux envois qu'il a reçus: «Ils ont demeuré très-longtemps en route. >> Et ailleurs Les premiers traits qui se sont gravés dans ma tête y sont demeurés.»- De même, Fénelon fait dire à Télémaque devant Calypso:

Mais la différence que cette règle peut servir à faire trouver entre l'adverbe et la phrase adverbiale n'est pas la seule ou est la seule qu'il y ait, suivant que, de son côté, la phrase adverbiale est telle ou telle. De là la nécessité de distinguer plusieurs cas, eu égard à la nature de la phrase adverbiale, la nécessité par conséquent de partager en

« PreviousContinue »