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saint nom de Dieu, tu profères des exécrations | sus, « Alexandre ne put retenir ses larmes en qui font frémir toute la nature; tu es assez fu- considérant l'infortune de Darius. » ID. « Lorsrieux pour te prendre à Dieu de toutes les bizar- que les grands hommes se laissent abattre par reries d'un jeu excessif qui te ruine. Boss. la longueur de leurs infortunes,... » LAROCH.

I. MALHEUR, INFORTUNE, ADVERSITÉ, DIS- « Les noms de Troie, d'Hector, de sa veuve, GRACE, MISÈRE, DÉTRESSE. de son fils, commencent par disposer l'âme à II. ACCIDENT, REVERS, ÉCHEC, TRA-l'attendrissement : ce sont de grandes et mémoCALAMITÉ, CATASTROPHE, DÉSAS-rables infortunes dont nous avons été cccupés MESAVENTURE, MALENCONTRE, DE- dès notre enfance.» LAH.

VERSE,
TRE.
CONVENUE.

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-

Tous ces mots signifient quelque chose de funeste ou de fâcheux. C'est là l'idée commune sous laquelle ils se réunissent.

Mais ceux de la première classe s'emploient absolument avec l'article défini pour exprimer une manière d'être d'une certaine durée, un état on est ou on tombe d'ns le malheur, dans l'infortune, dans l'adversité, dans la disgrace, dans la misère et dans la détresse. Ceux de la seconde, au contraire, désignent quelque chose de passager, un événement ou un fait on éprouve un accident, un revers, un échec, une traverse, une calamité, une catastrophe. un désastre, une mésaventure, une malencontre

et une déconvenue.

I. Malheur, infortune, adversité, disgrâce, misère, détresse.

Malheur est pour male heure (mala hora, mauvaise heure). Hora a signifié, chez les Latins, le moment de la naissance, duquel les astrologues faisaient dépendre le bonheur. Donc celui qui est dans le malheur s'y trouve parce qu'il est né dans un mauvais moment, sous une mauvaise étoile; c'est son destin qui l'y a jeté. On attribue telle ou telle chose à son malheur comme à son mauvais génie. « Le malheur lui en veut. ACAD. « Il attribuait leurs pertes passées à un malheur et à un destin que nulle sagesse humaine ne peut surmonter. » ROLL.

Pylade, où sommes-nous? En quels lieux t'a conduit

Le malheur obstiné du destin qui me suit?

(Oreste). VOLT.

Du reste, malheur est, de tous les mots de cette famille, le plus communément employé, celui qu'on peut faire servir à définir les autres.

Est-ce là cette reine auguste et malheureuse,
Celle de qui la gloire et l'infortune affreuse
Retentit jusqu'à moi dans le fond des déserts?

VOLT.

Croyez, si vous servez, si vous aimez la reine, Que mon cœur, à son sort attaché comme vous De sa longue infortune a senti tous les coups. ID. Adversité, adversæ res, exprime un état dans lequel on a le sort contre soi ou pour adversaire, on est aux prises avec lui; ce qui le caractérise singulièrement, c'est l'idée d'une lutte, et de la manière dont on la soutient, de l'usage qu'on fait de ses maux, du fruit qu'on en retire. « Les épreuves de l'adversité. » LABR., MARM. « L'épreuve la moins équivoque d'une vertu solide, c'est l'adversité. » MASS. On loue la fermeté d'un homme que l'adversité ne peut abattre. ■ ID. « Dieu nous examine chacun en particulier en nous tenant dans l'adversité. » BOURD. L'adversité (à la fin du siècle de Louis XIV) pouvait seule réveiller l'ancienne vertu. VAUV. Ne pas devenir plus sage par l'adversité (ROLL.). « Les Romains ne font jamais paraitre plus de fermeté et de grandeur d'ame que dans l'adversité. » ID. « Les Romains, de leur côté, étaient fort attentifs à réparer leurs pertes. Outre leur application et leur vivacité naturelle, l'adversité les rendait actifs et vigilants. » ID.

Disgrace rappelle un état heureux d'où on est déchu: on était le favori de la fortune, on ne l'est plus; on était dans ses bonnes grâces, on les a perdues. « On se persuade dans la disgrâce que si l'on jouissait encore d'une fortune riante, on soulagerait les malheureux. MASS. « Perfides adorateurs de la fortune qui vous encensent dans la prospérité et vous accablent dans la disgrâce.» MOL.

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Infortune, latin infortunium, non fortune, état Misère, latin miseria, d'où misereri, avoir où on n'a pas la fortune pour soi, se dit surtout pitié, est relatif au sentiment de commisération dans le style soutenu ou en parlant d'un mal- qu'on inspire aux autres et qui suppose un malheur extraordinaire, d'un malheur remarquable heur bien sensible, un grand dénûment ou une sous quelque rapport, par sa longueur, par grande souffrance. Quel est pour les réprouvés exemple, ou par le rang du personnage dont i le comble de la misère ? c'est que jamais Dieu ne est question. C'est apparemment parce que nous sera satisfait de leurs souffrances. a BOURD. ne faisons intervenir la fortune, la déesse qui « Qu'il arrive que votre fortune soit renversée distribue les biens et les max, que pour les par quelque digráce...; le monde se déclare congrandes situations. « Nous ne voyons les infor-tre vous, le ciel vous est fermé: ainsi, ne troutunes des rois qu'en perspective; il nous semble vant nulle consistance, quelle misère sera égale à que ces infortunes sont le prix de la grandeur la vôtre?» Boss. suprême. Mais les malheurs de la vie privée n'ont Détresse, de districtus, tiré de côté et d'autre, point cette ressource à nous offrir. » D'AL. « Je indique une rosition embarrassante, où on est à vous dois l'histoire des malheurs de Henriette. l'étroit et comme dans un détroit ou dans un déMais quand j'envisa e de pres les infort nes filé, c'est-à-dire réduit aux dernières extrémités inouïes d'une si grande reine, je ne trouve plus et m nacé d'une ruine prochaine à moins d'un de paroles. » Boss. Après la bataille de Par- prompt secours. Elysse et ses compagnons, arrisale, César « ne voulut point insulter à l'infor-vés dans l'île de Circé, qu'ils ne co. naissent pas, tune de Pompée. » ROLL. Après la bataille d'Is- et sans vivres, se trouvent dans la détress

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une position heureuse déjà fa te, mais qui nous contrarient tandis que nous nous y acheminons.

(FEN.). « Dans le jardin des Olives, Jésus n'ap-vers et par des disgrâces. » MASS. « Les revers et pelle plus Dieu son père; pressé d'une détresse les disgrâces, dont les caprices des grands incroyable, il ne l'appelle plus que son Dieu.» payent ceux qui les servent. ID. « Domitius Foss. Retombé dans sa première détresse, sans avait éprouve bien des revers et des disgrâces. pain, sans asile, prêt à mourir de faim, il se ROLL. Revers est opposé à succès, et disgrâce à ressouvient de son bienfaiteur. » S. S. « Lorsque pros érité. Jugurtha eut été ainsi dépouillé d'argent, d'homÉchec et traverse ont cela de commun entre eux mes et d'armes, il commença à craindre que les et de distinctif par rapport aux autres, qu'ils Romains ne voulussent lui faire souffrir les sup- expriment quelque chose qu'on prouve, non pas plices qu'il méritait. Nulle issue pour sortir de la après qu'on est arrivé au bonheur, mais pendant détresse où il se voyait réduit. Reprendre les arqu'on y tend, des coups qui ne détruisent pas mes après tous les échecs qu'il avait essuyės, et dans le dénûment général où il se trouvait, lui paraissait, de tous les partis, le moins soutenable.» ROLL. Marius et ses compagnons ne savaient quel parti prendre, ni de quel côté tourner leurs pas. Tout leur était contraire : la terre, où ils apprétendaient d'être surpris par leurs ennemis; la mer, parce qu'elle était toujours orageuse. Rencontrer des hommes était pour eux un sujet de crainte; n'en point rencontrer, c'était manquer d'un secours absolument nécessaire, car ils n'avaient plus de vivres, et ils commençaient à sentir la faim. Dans cette détresse, ils aperçurent des bergers. » ID.

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II. Accident, revers, échec, traverse, lamité, catastrophe, désastre, malencontre, déconvenue.

Leur différence est bien simple. L'échec est une petite perte, et la traverse, une petite difficulté; l'échec affaiblit un peu et fait qu'on se tient sur ses gardes; la traverse arrête un moment et tracasse. L'échec est une entreprise partielle qui échoue, on la répare aisément; la traverse est un léger obstacle, placé en travers, on l'éloigne ou on le surmonte aisément. Un échec essuyé n'em. pêche pas toujours qu'on ne tromphe ou qu'on ne réussisse en dernier résultat; les traverses qu'on rencontre dans ses entreprises retardent, mais n'empêchent pas toujours d'en venir à bout.

Calamité, catastrophe, désastre. - L'analogie est frappante entre ces trois mots. Ils s'gnifient, non pas précisément comme infortune, quelque chose de grand, c'est-à-dire d'illustre, mais quelque chose de grand, c'est-à-dire de grave, de tragique, de terrible quant aux suites. Les accidents qu'ils expriment sont d'ailleurs d'une grande importance en cet autre sens qu'ils tombent d'ordinaire ou peuvent tomber, non sur un seul homme, mais sur plusieurs, sur un royaume, une ville ou une famille.

Par la même raison que malheur figure le premier dans la classe des mots qui précèdent, accident, quod accidit, ce qui arrive, est mis ici à la tête de cette nouvelle série : il est plus général qu'aucun de ses synonymes, en même temps que propre à les définir tous et presque toujours à les remplacer, quand on ne tient pas à une grande précision. Toutefois il se distingue aussi par une nuance particulière : il marque un coup de la fortune soudain, inattendu, fortuit, passager, et généralement peu grave, ce qui fait qu'on le prend quelquefois en bonne part: acci-orage qui brise les épis. Il signifie aujourd'hui dent heureux, favorable.

D

Calamité, de calamus, chaume, tuyau de blė, s'est dit proprement en latin de la grêle, d'un

tout grand malheur public, la peste, la famine, Revers marque un retour de la fortune, un la guerre, une inondation. La calamité arrive changement en pis, qui fait voir le revers de la selon l'ordre de la nature ou de la Providence, et médaille. On était sur la voie du bonheur, un elle est souvent un châtiment dans la main de accident oblige à retourner en arrière (retro ver- Dieu. Job déplore les diverses calamités qui sus); c'est un revers. « Tous les revers ont suc-affligent la vie humaine. » Boss. S'il y avait cédé à vos succès. » VCLT. — Il y a donc quelque quelque bataille perdue, s'il arrivait quelque resemblance entre un revers et une disgrace. inondation ou quelque sécheresse, on chargeait Mais le revers est plus borné, plus partiel, plus les chrétiens de la haine de toutes les calamités accidentel; c'est un commencement de disgráce. | publiques. » ID. « Le Seigneur nous envoie au◄ Mener une vie très-fatigante, être exposé à des jourd'hui comme autrefois il envoyait ses procontre-temps très-désagréab es, à des revers très-phètes, non vous annoncer des calamités fufâcheux. » BOURD. La disgrâce est un renverse-nestes, mais vous mettre devant les yeux les ment ou une ruine: elle détruit toute une situa-fléaux publics dont il nous frappe, et la juste pution et une situation brillante. « Combien d'hom-nition de vos crimes. » MASS. « On avait à crainmes, après avoir vécu un certain nombre dre quelque surprise de la part des Éques, des d'années dans la splendeur et y avoir eu tout l'agrément qu'ils pouvaient attendre, ont été renversés par une disgrace !» BOURD. « Il a manqué à la gloire de Cyrus un trait qui l'aura t beaucoup relevé ç'aurait été d'être livré pe dant quelque temps à quelque grande disgrace, et d'avoir quelque revers subit de fortune à essuyer. » ROLL. Disgrace enchérit sur revers. Nous venons de voir le règne le plus long et le plus glorieux de la monarchie finir par des re

Volsques et des Sabins. Mais la contagion s'était répandue parmi eux avec la mème fureur : une calamité commune et générale tint lieu de forces et de défense à la république. » VERT.

La catastrophe est un événement effroyable, dont la nouvelle fait trembler, anéantit; mais ce qui la caractérise par-dessus tout, c'est que, comme l'indique l'étymologie (xacorpé patv, renverser, bouleverser, terminer), elle cause dans tout un ordre de choses ou dans

l'existence des individus un bouleversement complet ou une fin violente. La chute de Troie fut une catastrophe (FÉN.). La révolution d'Angleterre fut considérée en France comme une catastrophe (VOLT.). Tout le monde connaît la catastrophe de Fouquet sous Louis XIV (VOLT., S. S.). << Cela semble devoir produire quelques grands mouvements, quelque changement surprenant de fortune, quelque catastrophe. » VOLT. « L'invasion des barbares fut une catastrophe qui détruisit les progrès de l'esprit humain. » J. J. « L'histoire n'est intéressante que par les révolutions, les catastrophes. » ID.

un

Désastre, ce qui arrive par la funeste influence des astres, désigne un grand dommage, grand dégât, ou bien une ruine totale, irréparable. «Sainte Marcelle, voyant Rome prise et saccagée par les Goths, dit que le désastre de la ville l'avait trouvée et non rendue pauvre. » ROLL. « Si Rhodes est condamnée au pillage et au feu, du moins le spectacle de son désastre nous sera épargné. » ID. « Il était arrivé à Rhodes un grand tremblement de terre qui y causa des dommages considérables.... La perte montait à des sommes immenses. Dans ce désastre commun.... ID. Le tremblement de terre de Lisbonne fut un désastre (J. J.). « Les Cimbres, qui ignoraient le désastre des Teutons (défaite complète), franchirent les Alpes. » COND. « Quatorze grands vaisseaux échouérent sur la côte : le roi Jacques, du rivage, avait vu ce désastre. » VOLT. Il m'est arrivé encore de nouveaux désastres. J'ai fait des pertes dans le chemin. » ID.

Mésaventure, malencontre et déconvenue appartiennent au style familier et badin: ils expriment des accidents de peu de conséquence et presque toujours risibles ou comiques.

La mésaventure est une mauvaise et plaisante aventure; c'est, comme l'aventure, quelque chose de prolongé, toute une histoire. Le chien à qui on avait coupé les oreilles vit, avec le temps,

Qu'il y gagnait beaucoup, car étant de nature
A piller ses pareils, mainte mésaventure
L'aurait fait retourner chez lui

Avec cette partie en cent lieux altérée. LAF. Une banqueroute essuyée (VOLT.), une perte d'argent par escroquerie (MARM.) ou par procès (S. S.), sont des mésaventures, quand on les tourne en ridicule.

La malencontre est une mauvaise rencontre, une rencontre qui vient mal à propos, soit pour le temps, soit pour le lieu. C'est une malencontre de rencontrer un homme à une heure ou dans un lieu où il eût été à désirer qu'on ne l'eût point rencontré. C'est en tout temps une malencontre de trouver des voleurs sur son chemin. « Le roi de Léon sera sans doute retourné dans son royaume. Puisse-t-il y arriver sans malencontre!»

LES.

La déconvenue, accident qui déconvient, qui ne convient pas ou déplaît, est un désagrément provenant d'une surprise, d'un désappointement, d'une espérance trompée. Lafontaine dit à une femme :

Si quelque ingrat rend ton âme bourrue,

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Ne t'en prends point à l'enfant de Cypris; Cause il n'est point de ta deconvenue, Quand la dame est d'attraits assez pourvue, On aime encor comme on aimait jadis. Dans une comédie, un personnage se flatte d'obtenir la main d'une jeune fille; à la fin, il se trouve déçu, c'est une déconvenue (LAH.). Une femme épouse un homme qui la bat, au lieu de faire son bonheur, comme elle l'espérait; c'est encore une déconvenue (S. S.), au moins dans le langage familier et quand on parle en plaisanINFORTUNE.

tant'.

MALHEUREUX, MISÉRABLE;

Qui est en proie au mal, ou dans une situation

fâcheuse.

D'abord on est malheureux par accident, parce qu'on éprouve des malheurs, des revers, qui ruinent une fortune naissante ou établie; on peut être misérable dès le principe, par sa condition ou sa naissance. « On trouvait Persée si malheureux de n'être plus roi, qu'on trouvait étrange qu'il pût supporter la vie.... L'homme est si grand, que sa grandeur paraît même en ce qu'il se connaît misérable. » PASC.

Le malheureux est dans le malheur, le miserable dans la misère, c'est-à-dire dans un grand malheur, dans le dénûment, dans un état, non pas accidentel, partiel, passager, relatif, mais complet, constant, absolu, dans un état déplorable, où on est à plaindre, digne de pitié. « Vous ne connaissez pas, monseigneur, le malheur, je dirais presque la misère, de votre condition. >> COND. Il n'y a guère de gens si malheureux, qu'ils ne le soient moins par la comparaison de quelqu'un plus misérable qu'eux. » Bussy. Haï, craint, envié, souvent plus misérable Que tous les malheureux que mon pouvoir accable. (Aman dans Esther). RAC.

« César lui-même, dans tout le cours de sa vie, qu'a-t-il vu, qu'a-t-il fait? Des malheureux.... Les animaux sont encore plus misérables que nous.» VOLT. Etre malheureux et misérable (Boss., MAL.). — On est malheureux au jeu, on y éprouve de petits coups du sort; on est misérable, quand on est destitué de tout secours. « On refusa l'entrée de Hambourg à plusieurs Altenois, à des vieillards, à des femmes grosses, et quelques-uns de ces misérables expirèrent sous les murs de cette ville, au milieu de la neige et de la glace, consumés de froid et de misère, tandis que leur patrie était en cendres. » VOLT. << Les maladies, la faim, la fatigue excessive accablent nos jeunes soldats. Miserables! On les voit étendus sur la neige, inhumainement délaissés. > VAUV.

classe ne signifient pas seulement des étais, mais 4. Il est à remarquer que les mots de la première aussi des faits comme ceux de la seconde on dit, par exemple, éprouver un malheur ou une disgráce. ainsi qu'on dit, être ou tomber dans le malheur ou la disgrace. Mais, par cela seul qu'ils désignent proprement et primitivement des états, ils ont cela de particulier, dans le cas où ils marquent des faits, qu'ils les représentent comme quelque chose de constant. C'est un caractère distinctif de grande valeur, comme on peut le voir par la comparaison cidessus établie entre digráce et revers.

Malheureux est subjectif, se rapporte entière-vais succès de ses armes infortunées, si on a pu ment au sujet, qu'il représente comme souffrant; le vaincre, on n'a pu le forcer. » Boss. « Darius, au lieu que misérable fait penser aux sentiments qui s'était vu, peu d'heures auparavant, une si de commisération, et quelquefois de pitié, de nombreuse et si florissante armée, et qui était mépris, que l'état du sujet inspire ou peut inspi- venu à la bataille élevé sur un char, plutôt en rer. L'unau et l'ai (deux pauvres animaux que appareil de triomphe qu'en équipage de guerre, la nature semble avoir traités en marâtre) parais- s'enfuyait à travers les campagnes. Cet infortuné sent très-mal ou très-peu sentir.... Ils sont misé-prince courut toute la nuit avec peu de suite. »> rables sans être malheureux. » BUFF. ROLL.

Si l'on peut pardonner l'essor d'un mauvais livre, Ce n'est qu'aux malheureux qui composent pour vivre....

Et n'allez point quitter, de quoi que l'on vous somme,

Le nom que, dans la cour, vous avez d'honnête

homme,

Pour prendre de la main d'un avide imprimeur Celui de ridicule et misérable auteur. MOL. « Un philosophe dit à un financier, qui se plaignait que les pauvres riches ne fussent pas heureux malgré leur opulence: Bon! qui est-ce qui est heureux? Des misérables. » D'AL.

Quelquefois malheureux et misérable signifient, non pas qui est, mais qui mérite d'être en proie au mal ou dans une situation fàcheuse. Dans ce sens ils se disent, par exemple, d'un homme qui a fait de mauvaises actions.

MALINTENTIONNÉS, MÉCONTENTS. Les malintentionnés et les mécontents, sont dans un Etat, des ennemis du pouvoir.

Les malintentionnés ont de mauvaises intentions; les mécontents ne sont pas contents. L'un de ces mots regarde l'avenir, l'autre le passé. Il faut prendre garde à ce que les malintentionnés veulent faire, à leurs desseins; il faut, s'il est possible, faire droit aux griefs des mécontents.

α

Ensuite, comme les intentions sont quelque chose de caché et de vague, les malintentionnés agissent dans l'ombre, cabalent, et sont seulement disposés à mal. « Quel est le motif de la révocation des conseils? On s'effraye de l'ennemi, des malintentionnés, des cabales. » J. J. « Le frein du saint office retenait encore les malintentionnés, et les obligeait à se cacher. » S. S. « Le duc d'Orléans dit qu'il avait estimé devoir tenir le lit de justice fort secret pour ne pas donner lieu aux cabales et aux malintentionnés d'y essayer à continuer la désobéissance. » ID. « Mairan dit à Mme du Châtelet qu'elle n'a commencé sa rébel

Le malheureux a eu le malheur de se rendre coupable, sa faute est légère, ce n'est qu'un accident auquel il a été entraîné. « S'il arrive qu'un maître livre son serviteur à la justice pour un vol léger, et qu'on ôte la vie à ce malheureux.... » VOLT. Mais le nom de misé-lion qu'après avoir hanté les malintentionnés rables ne se donne qu'à de grands criminels, à des gens qui commettent le crime habituellement, par état, par penchant. « Pourquoi appeler un maréchal de France et sa femme, dame d'atour de la reine, ces deux misérables? Le maréchal d'Ancre qui avait levé une armée à ses frais contre les rebelles, mérite-t-il une épithète, qui n'est convenable qu'à Ravaillac, à Cartouche, aux voleurs publics, aux calomniateurs publics?»ques mécontents secrets qui pouvaient éclater un VOLT.

Des écrivains et des écrits, dont on fait peu de cas, sont traités de misérables; on ne les qualifie point de malheureux, parce que ce n'est point par malheur, fortuitement, qu'on écrit mal, et que d'ailleurs il s'agit d'exprimer, non l'état de peine d'un sujet, mais le sentiment de pitié qu'il inspire aux autres.

Infortuné, non fortuné, non favorisé de la fortune, ne s'emploie que dans le style soutenu, et presque toujours en parlant d'un malheur ou d'un malheureux illustre. Beaumarchais appelle heureux infortuné un paysan qui, ayant été blessé par un cerf d'un parc royal, fut comblé par la cour de présents et de soins. Priam, le plus infortuné de tous les pères (FÉN.), l'infortuné vieillard (LAH.); Fouquet, l'infortuné surintendant (D'AL). « Infortuné chevalier de la Manche, que la fortune seconde mal vos grandes entreprises! » LES. «< Alcyone, plaintive et solitaire, semblait encore redemander aux flots son infortuné Céyx que Neptune avait fait périr. » BUFF. « Poursuivi à toute outrance par l'implacable malignité de la fortune, trahi de tous les siens, Charles Ier ne s'est pas manqué à lui-même. Malgré les mau

leibnitziens. » VOLT. Voltaire a écrit, au sujet de la prétendue conspiration d'Alexis Pétrowitch contre son père et de ceux qu'on supposait y avoir adhéré sous main: « Il était important de connaître les malintentionnés; et le czar menaça son fils de mort, s'il lui cachait quelque chose. » Ailleurs, il assure que le czarowitch & ne fut cou pable que d'une espérance chimérique dans quel

jour.» Mais en général les mécontents ne sont
pas secrets, ne se cachent pas; il se peut même
qu'ils témoignent leur peu de satisfaction par la
révolte, en se ralliant sous des chefs et en faisant
actuellement une guerre ouverte. « On apprit les
mouvements des mécontents de Hongrie.
» S. S.
« Le gouvernement (d'Espagne) étant si faible,
les mécontents devinrent très-forts en Castille. >>

VOLT. Richard II d'Angleterre fit enlever et exé-
cuter le duc de Glocester, son oncle, qui ralliait
tous les mécontents contre son souverain (FÉN.).

Les soldats que Démétrius avait cassés, et un grand nombre d'autres mécontents, se rangèrent en foule auprès du prétendant, et le proclamèrent roi. » ROLL.

MANIE, TIC. Habitude bizarre et ridicule.

Manie, grec pavía, signifie une maladie de l'esprit. Tic, onomatopée, comme tac et toc, représente le bruit que font en touchant ou en frappant leur mangeoire les animaux qui ont quelque tic; car ce mot se dit primitivement des chevaux et des bêtes à cornes. Ainsi la manie regarde les travers de l'esprit, et le tic les mauvaises habitudes du corps; la manie est déraisonnable, le tic désagréable. On a la manie de juger de tout,

nière de le donner, dans un discours les choses dites et la manière dont on les dit; le prix d'un objet d'art dépend de sa matière et de sa façon. Il y a plusieurs manières ou méthodes pour cultiver un champ, et un champ reçoit plusieurs facons; ce sont des modifications qu'on lui fait subir. Un homme a une manière d'écrire lente ou rapide, et il est facile ou difficile de reconnaître sur le papier sa façon d'écrire. Dans les Ménechmes de Regnard, le chevalier dit en parlant d'une valise :

et le tic de ronger ses ongles. Une passion singu- | fait il faut distinguer l'objet donné et la malière, un goût immodéré, reçoivent le nom de manie; celui de tic convient pour représenter des mouvements convulsifs et fréquents, de mauvais gestes habituels, ou des grimaces qu'on fait et qu'on s'est accoutumé à faire sans s'en apercevoir ni le vouloir. « La duchesse de Châtillon avait acquis, en contrefaisant une religieuse, un tic tel que, à toutes minutes, son visage se démontait à effrayer, sans qu'elle-même s'en aperçût le plus souvent par la continuelle habitude. S. S. « Mme de Nemours avait une figure fort singulière, et un tic qui lui faisait toujours aller une épaule.» ID. (Voy. des exemples de manie à l'article Délire, égarement, etc.)

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Toutefois tic se dit bien aussi familièrement au figuré; auquel cas il exprime proprement une coutume, et non une habitude comme manie, la fréquente répétition d'un même acte, et non un penchant. « Les avares ont le tic de dépenser pour l'ostentation. » J. J. Ils n'en ont pas la manie, car ils répugnent à toute dépense: Vous vous portez par besoin, par attachement, avec attrait, à ce que votre manie vous fait faire. Tic n'annonce autre chose qu'un pli pris. « Cette manière sèche d'interroger les gens pour les connaître est un tic assez commun chez les femmes qui se piquent d'esprit. » J. J. On contracte des manies par engouement, et des tics par routine ou par imitation.

MANIÈRE, FAÇON. La synonymie est trèsétroite entre ces deux mots, mais difficile à exprimer. De cette manière ou de cette façon, c'est-à-dire ainsi; de quelle manière ou de quelle façon, c'est-à-dire comment et comme. Ils désignent le mode ou le comment.

De la mienne elle n'a ni l'air ni la façon.
Puis, regardant l'adresse :

Je ne reconnais point cette façon d'écrire.

Selon Labruyère, l'usage a préféré façons de faire à manières de faire, et monières d'agir à façons d'agir. Rien de plus raisonnable que ce choix. On dit plutôt façons de faire, parce qu'on ne fait pas sans faire quelque chose qui reste après l'action, qui peut être dit avoir une façon, une forme, une empreinte qu'il a reçue par le travail de faire. Mais manière d'agir convient mieux que façon d'agir par la raison contraire, c'est qu'en employant agir on songe seulement à la conduite, au procédé, et non point du tout aux modifications qui en résultent pour tel ou tel objet. On dira donc aussi de préférence la manière de traiter quelqu'un, et les manières d'un peuple pour ses mœurs. On dira également façon de penser, c'est-à-dire de produire telles ou telles pensées, des pensées qui présentent tels ou tels caractères, et manière de sentir ou de vivre. « A la cour, l'honneur, se mêlant partout, entre dans toutes les façons de penser et toutes les manières Mais, à la rigueur, manière répond à comment, MONTESQ. « On prendrait nécessairement d'autres façons de penser en prenant des et façon à comme (voy. I partie, p. 291, 292). manières de vivre absolument différentes. » J. J. Manière convient pour marquer comment on fait << Périclès changea toutes ses façons de faire et une chose, et façon pour dire comme elle est sa manière de vivre. faite. Le premier de ces mots signifie un mode rement formelle, comme celle de vivre ou de se » ROLL. Toute action pud'agir, et le second un mode d'être. Manière, de mouvoir, ou bien qui produit une destruction, manus, main, indique une opération, une mé-un anéantissement, se fait d'une certaine mathode; c'est un mot actif qui se rapporte à une action et à l'agent je n'aime pas sa manière. | Façon, de facere, faire, forme d'une chose faite, annonce un effet, un résultat; c'est un mot passif et tout relatif à l'état : la façon d'un habit, la façon d'une terre. « La Molinière trouva quelque chose d'extraordinaire à la manière dont cette lettre lui était venue; elle trouva de la différence dans la façon dont elle était pliée. » DELAF.

Toutes les fois qu'on veut définir un adverbe, c'est-à-dire un mode d'agir, on se sert de manière, et non pas de façon : sagement, d'une manière sage. C'est, au contraire, le mot façon qu'on emploie quand il s'agit de signaler une personne ou une chose par son mode d'être, et non d'agir, c'est-à-dire en la qualifiant, en disant ce qu'elle est, et non ce qu'elle fait un homme de sa façon, c'est-à-dire ainsi fait; un tra't de sa façon. On se défend de toutes les manières en employant des moyens de toutes les façons. La manière caractérise la main, l'industrie, l'esprit de l'ouvrier, et la façon l'ouvrage : chaque ouvrier a sa manière et chaque ouvrage sa façon. Dans un bien

de sentir. >>

nière : « On avait mis de la discipline dans la
manière de piller. » MONTESQ. Mais toute action
d'où résulte quelque chose qui a certains carac-
tères, qui est d'une certaine sorte, se fait d'une
certaine façon. Ainsi, on doit toujours dire, en-
tendre une chose de telle ou telle façon. « Mots
que l'un entend d'une façon, l'autre d'une autre. »
P. R. « Qui m'a dit que cet endroit obscur doit
BOURD.
être entendu d'une façon et non pas d'une autre?»

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Manière de parler a rapport à la forme ou à l'énonciation, au style. Chilon était fort court et fort serré dans tous ses discours ; sa manière de parler passa en proverbe. » FÉN. « Ces légères attaques regardent plutôt la manière de parler que le fond des choses. Boss. Façon de parler se rapporte au fond même des choses, au sens. «Il semble, de la façon que vous parlez, que la vérité dépende de notre volonté. » Pase.— Manière de parler et façon de parler désignent aussi l'un et l'autre des locutions ou des phrases. Mais manière de parler convient mieux pour une locution particulière, en rapport avec quelqu'un

D

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