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ATTENDRE, S'ATTENDRE. Avoir l'idée qu'une | LABR. - Saisir fait penser à l'objet saisi, et se saisir chose arrivera et y compter.

au sujet saisissant; saisir un objet, c'est le prendre; s'en saisir, c'est s'en rendre maître.

TAIRE, SE TAIRE. Taire une chose, se taire sur une chose; n'en point parler.

L'un se rapporte plus à la chose qui doit arriver et à son arrivée, et l'autre à la personne. On attend plus ou moins longtemps; on s'attend à ce qu'on attend avec confiance. S'attendre exprime la Tous deux désignent une prétermission volonmême chose qu'attendre, mais avec cette circon- taire; mais le second ajoute à l'idée commune stance, qu'il marque en même temps comment le celle d'une circonstance particulière au sujet. II sujet attend, c'est-à-dire avec persuasion que la suppose de sa part soin, précaution, discrétion. chose ne manquera pas d'arriver; de sorte que, si force de volonté, ou bien des considérations qui la chose n'arrivait pas, il serait bien trompé. On lui sont propres. On se tait malgré l'envie qu'on a attend un héritage, une récompense; et on s'at- de parler, on se contraint, on se fait une sorte de tend à un héritage, à une récompense: dans le violence, et on est assez maître de soi pour ne premier cas, on espère la chose sans trop y comp-point révéler ce qui ne doit point être su; ou bien ter; dans le second, on l'espère et on regarde son on a par devers soi des raisons toutes particuaccomplissement comme assuré, comme infail-lières de croire que cette révélation entraînerait lible. S'il s'agit d'un malheur, la conviction qu'il des inconvénients. Il y a des choses qu'il faut arrivera fait que s'attendre représente la personne toujours taire; il y en a d'autres à l'égard descomme résignée. Ensuite, et toujours conformé- quelles chacun, suivant les circonstances, a droit ment à la règle, on attend plutôt ce qu'on ne de juger s'il lui convient de se taire. «< Il serait craint ni n'espère, comme le retour des saisons, honteux de taire des vérités importantes à l'huune réponse à laquelle on est à peu près indiffé- manité. » RAYNAL. J. J. Rousseau aurait mieux rent, tandis qu'on s'attend à ce qui importe beau- fait de taire ses fautes que de les révéler au pucoup ou excite vivement l'intérêt. Enfin, on at- blic. a Il se tait et fait le mystérieux sur ce qu'il tend les choses ordinaires, et on s'attend aux sait de plus important. » LABR. « La vérité est que choses extraordinaires. Le juste attend une ré- les plus discrets s'en taisent et n'osent en rire compense au delà de cette vie; le soldat qui vient qu'entre eux. » J. J. « Elle ne peut se taire de de faire une action d'éclat s'attend à une récom- votre beauté. » Sév. « Vous chicanez inutilement pense. On attend le retour des saisons; et des per- sur le principe lorsque vous êtes obligé de vous sonnes, à l'apparition de certaines comètes, s'at-taire sur les conséquences qui suffisent pour aneantendent à la fin du monde. C'est que les motifs de croire sont, d'une part, communs, généraux, et, de l'autre, particuliers au sujet, puisés en lui

même.

APERCEVOIR, S'APERCEVOIR. Découvrir, ar

river à voir.

D

tir le précepte de J. C.» PASC. « La princesse des Ursins se taisait sur le traitement qu'elle recevait, et le supportait avec un courage mâle et réfléchi. »S. S.-On dit dans le même sens, et il faut distinguer de la même manière, cacher une chose,

et se cacher d'une chose. « J'ai travaillé moi-même

à ce livre, et je ne m'en cache pas. » J. J. « Poltrot ne se cache pas du dessein qu'il avait conçu d'assassiner le duc de Guise à quelque prix que ce fût. » Boss.

RÉSOUDRE, SE RÉSOUDRE À. Prendre un parti, se déterminer à agir de telle ou telle nanière.

On aperçoit ce qui se montre, on s'aperçoit de ce qu'on remarque; on apercoit facilement une chose apparente, on s'aperçoit aisément quand on a de la sagacité. Apercevoir marque le fait en luimême et plutôt relativement à l'objet qu'au sujet ; s'apercevoir suppose, de la part du dernier, effort. recherche, attention ou grande finesse du regard. On aperçoit une maison; on s'aperçoit de Résoudre, c'est simplement sortir de l'indéce qu'on a plus ou moins longtemps épié, afin de cision; se résoudre, c'est en sortir avec peine, en le voir, ou de ce qu'on surprend à force de péné-se faisant violence: il en coûte de se résoudre, tration, comme d'une intelligence, d'une ruse, on n'y parvient qu'en luttant contre soi-même. d'une intrigue, ou enfin de ce qu'on a intérêt à A la fin, par nos raisons gagnée, Elle se résolut à souffrir la saignée. découvrir, comme un vol. Celui qui est résolu de faire une action n'éprouve plus d'embarras, sait à quoi s'en tenir sur la conduite qui lui convient; celui qui s'est résolu à la faire a trouvé en lui-même une résistance qu'il a dû vaincre. « J'ai eu toutes les peines du monde à vaincre son scrupule et ce n'est que d'aujourd'hui qu'elle s'est résolue à accepter le dia

SAISIR, SE SAISIR. Prendre tout d'un coup, mettre la main sur.

mant.» MOL.

α

MOL.

SENTIR, SE SENTIR; RESSENTIR, SE RESSEN

Saisir exprime en elle-même et sans aucune circonstance l'action ordinaire d'occuper, de s'emparer. « Les enfants ne peuvent d'abord ni marcher ai saisir.» J. J. Se saisir a plus rapport au sujet qu'il représente comme plein d'ardeur et d'avidité, comme se jetant sur la chose ou la personne. comme l'envahissant, comme la garrot- TIR. Eprouver quelque chose d'agréable ou de tant et l'étreignant. «A peine un grand est-il débarqué que Théophile l'empoigne et s'en saisit. » si, après cela, il se trouve encore quelques théologiens qui se figurent qu'en décriant ces propositions j'ai en me de les décrier eux-mêmes, je déclare que cette fansse idée ne saurait venir que des mauvais artifices de l'équivoque. » BOIL.

fâcheux. On se sent de la goutte et des infirmités de la vieillesse, comme on les sent. On ressent l'in

fluence, ou l'on se ressent de l'influence de la température, d'une doctrine, d'une administration bonne ou mauvaise; on ressent la munificence d'un prince, ou l'on s'en ressent.

Se sentir et se ressentir ne présentent pas l'ac

de sa peine.

REVÊTIR un habit, SE REVÊTIR d'un habit. Le mettre ou s'en couvrir.

tion d'une manière aussi directe et aussi pleine | l'ouvrier que cette opération soulage et délivre que les verbes actifs; ils signifient éprouver quelque chose, soi aussi, pour sa part, n'y être pas étranger, ou n'en être pas exempt. Ils expriment donc la même chose, mais à un moindre degré. Celui qui se sent ou qui se ressent, sent ou ressent en partie ou de loin, à une distance plus ou moins grande de l'impression.

Revêtir se rapporte à l'habit, et se revêtir, à la personne. Tant que vous n'avez pas revêtu un habit, il est nouveau ou inaccoutumé pour vous, et on ignore s'il vous va; tant que vous ne vous êtes pas revêtu d'un habit, vous n'y êtes pas accoutumé, et on ignore si vous aurez bon air avec. Un habit est véritablement neuf quand on ne l'a jamais revêtu; un peuple est véritablement sauvage quand chez ce peuple on ne s'est jamais revêtu d'habits. Vous donnez à un pauvre des habits inutiles ou que vous ne mettez plus pour qu'il les revêtisse et afin de ne les pas laisser périr de vétusté; vous donnez des habits à un pauvre pour qu'il s'en revê – tisse et afin qu'il soit à l'abri des injures de l'air. Les formes que revêt la pensée sont telles ou telles; les formes dont se revêt la pensée la rendent telle ou telle.

RIRE, SE RIRE de quelque chose. Ne pas s'en soucier, s'en moquer.

ACQUITTER, S'ACQUITTER. On acquitte un devoir, un vou, une promesse, et on s'en acquitte. Mais acquitter est tout objectif, et s'acquitter subjectif: l'un fait penser à la chose sur laquelle tombe l'action, et l'autre à la personne d'où part l'action. Si vous acquittez votre promesse ou votre vou, la chose promise ou vouée sera faite, réalisée; si vous vous en acquittez, vous en serez quitte ou libre, vous n'aurez plus à y songer. L'obligation qu'on acquitte est un objet, un acte notarié; l'obligation dont on s'acquitte est quelque chose d'idéal et de propre aux personnes, à la personne qui agit: l'obligation que vous avez acquittée n'a plus de valeur, l'obligation dont vous vous êtes acquitté ne vous pèse plus. - A peine est-il besoin d'ajouter que c'est toujours de quelque chose de On rit de ce qui se montre risible, on se rit de personnel qu'on s'acquitte, et que c'est quelque-ce qu'on trouve ridicule. Quand de mauvais plaifois les autres qu'on délivre en acquittant. Le maréchal de Coigny avait toujours traité sévèrement le poëte Bernard, qui lui était attaché. « Mais en mourant il le recommanda vivement à son fils, en le priant de réparer ses torts; devoir que celui-ci se fit un plaisir d'acquitter, et qu'il acquitta pleinement. »LAH.- Enfin on acquitte quelquefois mais on ne s'acquitte jamais, involontairement. Fontenelle donnait constamment sa voix (pour entrer à l'Académie) à l'abbé Trublet, « par un sentiment de reconnaissance dont le philosophe ne s'apercevait peut-être pas lui-même, et qu'il acquittait comme sans le vouloir. » D'AL.

DÉPOUILLER une chose, S'en DÉPOUILLER. La quitter, s'en défaire. On dit également au figuré, dépouiller son orgueil, sa fierté, la haine, l'artifice, et s'en dépouiller.

sants font rire le monde en employant des termes
qui ne sont pas du bon usage, on ne rit pas de ce
qu'ils disent, mais on se rit d'eux (VAUG.). La pre-
mière expression énonce le fait simplement et le
présente comme provoqué par l'objet; la seconde
ajoute à l'idée du fait celle de la hardiesse du su-
jet et de son opinion particulière sur la valeur
de l'objet.
quelqu'un et se jouer de quelqu'un, c'est-à-dire
On distinguerait de même jouer
le tromper.

SYNONYMIE Des verbes actifS ET DE LEUR DÉFI-
NITION COMPOSÉE DU VERBE rendre ET D'UN AD-
JECTIF QUI LEUR CORRESPOND POUR LE SENS ET
POUR L'ÉTYMOLOGIE.

Engraisser, rendre gras. Chauffer, rendre chaud.
Aiguiser, rendre aigu. Populariser, rendre
populaire. Endurcir, rendre dur. Éclaircir,
rendre clair. Embellir, rendre beau. Etc.

Roubaud a très-bien établi la différence de ces deux locutions. « L'action de se dépouiller d'une chose, dit-il, porte directement sur le sujet qui se dépouille; l'action de dépouiller la chose porte directement contre l'objet dont on fondre ces expressions synonymiques. D'abord, Deux différences principales empêchent de conveut être dépouillé. La première de ces images le verbe montre à l'œuvre; sa définition montre attire principalement votre attention sur la per-l'oeuvre. En engraissant on rend gras, de même sonne: vous assistez en quelque sorte à son dépouillement. Par la seconde, votre attention est plutôt fixée sur la chose, vous verrez tomber sa dépouille. Si le prince se dépouille de sa grandeur, vous le voyez tel qu'un homme privé: s'il la dépouille, vous la voyez s'évanouir. » Il est difficile de nous dépouiller des choses auxquelles nous tenons beaucoup, de nos goûts, de nos habitudes, de nos préjugés, et de dépouiller celles qui tiennent beaucoup à nous, les sentiments de la nature, l'humanité, la pudeur.

DÉCHARGER, SE DÉCHARGER.. Un portefaix décharge un fardeau et s'en décharge, c'est-àdire qu'il le dépose.

L'esprit se porte, d'un côté, vers le fardeau que l'on voit changer de position, passer de l'épaule de l'ouvrier sur la terre; de l'autre, vers

qu'en chauffant on rend chaud, de même qu'en aiguisant on rend aigu. C'est la même chose envisagée, là, du côté du sujet et de son action, ici, du côté de l'objet et du résultat qu'il subit, c'est-à-dire qu'on insiste, d'une part, sur l'action en la présentant dans son accomplissement, et, de l'autre, sur la qualité en la dégageant du verbe auquel elle est mêlée, en la mettant en saillie, en la faisant voir séparée, en la signalant en dernier lieu à l'attention, de telle sorte que nous croyons voir l'action se passer sous nos yeux. Une fermière dira : J'engraisse de la volaille; c'est là ce dont elle s'occupe, et: Cette volaille que j'avais achetée maigre, je l'ai rendue grasse; c'est là l'espèce de modification qu'elle a fait subir à l'objet. Lorsqu'on entend dire qu'une chose a été popularisée, on demande naturelle

on est déjà vieux, et rend vieux si on ne l'est pas. Dire à une personne que ses vêtements l'embellissent, c'est lui faire un compliment, car cela signifie qu'ils ajoutent à sa beauté : la modestie

que sa parure la rend belle, elle s'en offensera justement; car vous lui faites entendre qu'elle n'est point belle sans cela.

ment par qui, quand et pourquoi; et, s'il s'agit | pâle suppose qu'on n'était point pâle et qu'on le d'une chose rendue populaire, on songe unique-devient tout à fait. Une forme d'habit vieillit, si ment à la qualité qu'elle a acquise. Il y a, dans la première expression, un caractère de subjectivité, et, dans la seconde, une nuance incontestable d'objectivité. La guerre endurcit le corps et l'âme, est une manière de s'exprimer qui pré-embellit la beauté même. Dites à une personne sente la guerre comme produisant son effet: tandis que la guerre rend durs le corps et l'âme. fixe l'esprit tout entier sur la qualité contractée au milieu des armes. Ce qui domine dans le verbe, c'est l'opération de l'agent, et dans la phrase explicative, c'est l'acquisition de la qualité par l'objet. Les commentateurs éclaircissent les textes; on les voit en action: leurs commen-indiquer précisément où l'on est arrivé, et si l'on taires les rendent clairs; ici, ce qui frappe, c'est seulement la modification subie par les textes. Le verbe a tant de rapport à l'agent, qu'il dénote quelquefois, de sa part, un autre motif que celui de donner à l'objet la qualité qu'il lui donne effectivement. On embellit souvent une chose, non pour la rendre belle en elle-même, mais pour se faire honneur; on engraisse des esclaves, afin de les retenir plus facilement sous le joug.

Le verbe ne signifie donc pas toujours simplement rendre un objet tel ou tel, comme le disent les dictionnaires, mais parfois aussi commencer, ou travailler, ou tendre à produire cet effet, sans

ne fait qu'ajouter à ce qu'était l'objet, à la qua-
lité qu'il avait déjà. La phrase explicative est une
forme nette, analytique, abstraite, qui exclut les
à peu près, dont l'usage ne commence qu'à une
époque assez avancée de la civilisation pour
qu'on y sente vivement le besoin de la précision
et de la clarté. D'ailleurs, elle ne se prête pas et ne
doit pas se prêter, comme le verbe, aux signifi-
cations étendues et figurées. On ne dit pas au fi-
guré rendre gros, comme on dit grossir, pour
exagérer; non plus que, se rendre gras, comme
on dit s'engraisser des misères publiques; non
plus que, la prospérité rend ivre, comme on dit
qu'elle enivre, et ainsi des autres.

SYNONYMIE DES VERBES NEUTRES ET DE LEUR DÉ-
FINITION COMPOSÉE DU VERBE devenir ET D'UN
ADJECTIF QUI LEUR CORRESPOND.

Vieillir, devenir vieux. Pâlir, devenir pâle. Noir-
cir, devenir noir. Mûrir, devenir mûr. Etc.

Il y a entre les synonymes de cette classe et ceux de la précédente une resserablance visible; aussi admettent-ils à peu près les mêmes principes de distinction, quoique le verbe de la phrase explicative ne soit pas le mème.

La seconde différence se déduit de la première. Le verbe montre à l'œuvre, indique l'action se faisant et tendant à produire le résultat, à faire naître la qualité: il comporte tous les degrés, depuis le plus faible commencement, jusqu'à l'entier achèvement de l'opération. La phrase explicative, au contraire, ayant pour office d'exprimer la qualité survenue dans l'objet, le fait d'une manière absolue, rigoureuse, complète, précise. La signification du verbe est plus vague, plus large, plus flottante. On grossit, on éclaireit, etc.. peu à peu, insensiblement, en partie, jusqu'à un certain point, pour un instant, même quand on essaye simplement ou qu'on commence à rendre gros ou clair. Rendre gros ou clair ne comporte pas ces déterminations ou plutôt ces indéterminations; il marque positivement l'effet comme produit. Pour rendre de la toile blanche, il faut la blanchir longtemps et à plusieurs reprises; pour rendre gras, il faut bien engraisser; pour rendre léger, alléger beaucoup, et ainsi des autres. Populariser, c'est se mettre à rendre populaire, essayer, commencer ou être en train. Au verbe s'attache plutôt l'idée de la sorte de but qu'on se propose et qu'on poursuit, et à la phrase explicative l'idée de ce but comme effectivement et entièrement atteint. Celui qui emplit un tonneau, aiguise ou polit un instrument, ne rend pas nécessairement et toujours, l'un plein, l'au-vous représenterez le vin comme se bonifiant à tre aigu ou poli. Il y travaille. Rendre grand, c'est donner une qualité, la grandeur; grandir indique le même effet, mais d'une manière vague ou peu précise. Le mariage, dit Nicole, règle la concupiscence, mais il ne la rend pas réglée : elle retient toujours quelque chose du déréglement qui lui est propre. »

Non-seulement le verbe peut vouloir dire donner une qualité peu à peu, à peu près, en partie, jusqu'à un certain point, mais quelquefois il signifie la faire augmenter dans ce qui l'a déjà; tant il est vrai qu'il désigne l'effet relativement. Pálir peut signifier ajouter à la pâleur; rendre

SYN. FRANC.

Le verbe neutre a pour caractère principal de désigner le fait du changement, et sa définition en désigne plutôt l'espèce ou la nature. D'une année à une autre on trouve qu'un ami a vieilli; d'ordinaire un accusé pálit en entendant prononcer sa condamnation; il arrive à ceux qui séjournent quelque temps en Afrique de noircir. De jeune on devient vieux; de coloré, pale; de blanc, noir. Vous direz d'un vin qu'il acquiert de la qualité en vieillissant, et alors vous montrerez le changement qui s'opère graduellement en lui,

mesure qu'il subit l'influence du temps. Si vous dites qu'il acquiert de la qualité, quand il devient ou qu'on le laisse devenir vieux, en ce cas vous n'aurez égard qu'à la sorte de changement produit par l'âge dans cette liqueur. Mûrir peint le travail de la maturation et le temps où elle a lieu les cerises mûrissent au mois de juin; devenir mûr montre la maturité comme la qualité qui survient dans l'objet : il faut attendre que les cerises deviennent ou soient devenues mûres pour les cueillir. Le verbe neutre constitue une expression synthétique et composée, dans laquelle l'adjectif est si bien fondu, si bien déguisé, que

sa signification s'efface en quelque sorte pour ne | et de timidité, mais une grande colère et une laisser apparaître que l'action du verbe. Dans l'expression analytique commençant par devenir, c'est au contraire l'adjectif qui prédomine, et devenir n'est qu'un auxiliaire qui n'attire en aucune sorte l'attention.

Le verbe, destiné à désigner le fait de la réalisation de la qualité, le représente dans tous ses degrés, avec ses différentes variations et phases, mais d'une manière générale et vague. La définition, la phrase explicative, ayant surtout rapport, non pas au fait, mais à la qualité, exprime celle-ci dans toute sa plénitude; c'est une forme absolue, abstraite, simplement énonciative, qui ne comporte ni le plus et le moins, ni les à peu près d'aucune espèce. De sorte que le verbe neutre ne signifie pas toujours simplement devenir tel ou tel, mais le plus souvent commencer ou continuer à le devenir, ou le devenir un peu, ou le devenir un moment: c'est une expression de détail et de circonstance essentiellement relative. Un corps très-chaud peut refroidir, sans pourtant encore devenir froid. Une petite fille très-laide embellit en passant à l'adolescence, sans pour cela devenir belle. De même, une belle femme enlaidit par le seul effet du temps, bien avant de devenir laide. On vieillit à tout âge, même au sortir du berceau tout vieillit et dépérit en ce monde; la rose vieillit en naissant. On ne devient vieux qu'à force de vieillir; des jeunes gens diront par forme de plaisanterie, nous devenons vieux. Quand Jacob fut devenu vieux, et non pas, eut vieilli, il appela à lui tous ses enfants et leur donna sa bénédiction. C'est en épaississant, en noircissant, en grandissant qu'on devient épais, noir, grand. Pour devenir mûr, un fruit a besoin de múrir, ou ce fruit a besoin de mûrir encore.

vive indignation. Une honnête femme rougira d'une offre de mariage qui lui est faite par un homme digne de son amour, et deviendra rouge, si cette même offre part d'un homme vil et abject'.

SYNONYMIE DES VERBES ACTIFS ET DE LEUR DÉFI-
NITION COMPOSÉE DU VERBE faire ET D'UN SUB-

STANTIF CORRESPONDANT.

Caresser, faire des caresses. Complimenter, faire des compliments. Sauter, faire des sauts. Dessiner, faire des dessins. Broder, faire des broderies. Crier, faire des cris. Réver, faire des réves. Réfléchir, faire des réflexions. Questionner, faire des questions. Etc. Choisir, faire choix. Courtiser, faire la cour. Écarter, mettre à l'écart. Envier, avoir envie. Mentir, dire des mensonges. Injurier, dire des injures. Chasser, donner la chasse. Etc.

Les dictionnaires définissent plusieurs verbes actifs par, faire telles ou telles choses, dont l'idée se trouve contenue dans le radical. Ainsi, ils expliquent caresser par, faire des caresses, complimenter par, faire des compliments, et de même de beaucoup d'autres. Mais, quoique ce soit, à tout prendre, la manière la plus juste et la plus convenable de déterminer le sens de ces sortes de verbes, il n'y a point d'identité entre la définition et le défini, l'une n'équivaut point à l'autre, et ce serait souvent une faute de substituer l'une à l'autre.

Quelquefois la définition ne rend pas exactement l'étendue de l'idée; ou elle l'augmente, ou elle la diminue. Faire des choses marquées par le radical signifie en faire quelques-unes. Or, le même verbe veut dire, tantôt en faire une seule, tantôt en faire beaucoup. Ainsi, caresser répondrait plutôt à faire une caresse dans certains cas et dans d'autres à faire beaucoup de caresses. Parmi les verbes ainsi définis, il y en a même

Cette différence est trop profonde pour avoir échappé oux synonymistes. « On pálit de colère, de crainte, à la vue d'un danger, dit Condillac; on devient pâle par maladie, parce que le tempérament s'affaiblit, parce qu'on a perdu une partie de son sang. » C'est-à-dire que le verbe 4. Comme le verbe désigne avec toutes ses circonexprime un changement de couleur faible et pas- stances la réalisation ou l'acquisition de la qualité dans sager, au prix de celui qui est marqué par la le temps, il doit être concret et faire assister en quelphrase explicative. Pareillement, quand on dira que sorte à l'opération d'où provient le changement, de quelqu'un, il est devenu vieux, on voudra montrer la chose se faisant telle ou telle, l'action en train de s'accomplir: c'est là en effet un de ses caracfaire entendre que sa vieillesse a pour cause l'ac- teres essentiels. Cependant, s'il marque comme incumulation des années plutôt que le chagrin, le stantané un changement que son synonyme représente malheur ou quelque grande catastrophe. Eberhard comme progressif, comme produit en vertu d'une distingue de même rougir et devenir rouge, dont cause lente, ce sera ce dernier qui paraîtra faire image le premier convient bien quand il s'agit des comet montrer l'action en progrès. Ainsi, il a páli, il a mencements de la rougeur, et l'autre quand il rougi, désignent un fait si subit qu'on a eu à peine le est question de la rougeur la plus foncée. Dites temps de le remarquer. Il est devenu pale ou rouge annonce au contraire un événement assez long pour que les cerises rougissent, si vous parlez des pre- qu'on en ait suivi graduellement toutes les phases. La mières teintes que commence à leur donner de phrase explicative serait donc expressive en même fait la maturation; si vous dites qu'elles devien-temps qu'indicative; elle peindrait le changement au nent rouges, outre que vous indiquerez par là le caractère, la propriété qu'ont ces fruits de prendre cette manière d'être, plutôt que le fait de la prendre, vous pourrez faire penser qu'ils la prennent au plus haut degré. Il en est de même au moral, quand les deux expressions servent à rendre l'effet de la pudeur: la seconde est plus forte et suppose, non des sentiments de crainte

lieu de l'énoncer seulement d'une manière abstraite. Ce serait pourtant une erreur de le croire. Il ne résulte de ces exemples particuliers autre chose, sinon que les définitions expriment des changements plus complir; mais ils n'en peignent point du tout la grada, plets, qui demandent plus de temps pour s'accomlion, tandis que les verbes neutres peignent et représentent le fait qu'ils signifient, quelque instantané qu'il soit.

qui indiquent essentiellement, les uns qu'il s'agit plutôt d'une seule chose, les autres qu'il s'agit plutôt de beaucoup: sauter, complimenter, dessiner, broder, donnent souvent l'idée d'un seul saut, d'un seul compliment, d'un seul dessin, d'une seule broderie; tandis que caresser, crier et réter, c'est plutôt faire une suite de caresses, de cris et de rêves. D'ailleurs, quand on emploie le verbe, on a rarement l'intention d'exprimer que le sujet fait une ou plusieurs des choses marquées par son radical, on ne se décide point, comme le ferait croire la définition, entre l'unité et la pluralité.

Mais supposons que la définition ne changeât rien à l'idée du verbe quant à son étendue, elle la modifierait encore sous deux autres points de vue assez importants.

caresser, ce n'est que dans un cas particulier, quand on raconte un certain fait. « Ayant bu beaucoup de vin. ce Lapon et cette Laponne commencèrent à se faire des caresses à la laponne. » REGN.

Le verbe renferme plutôt une plénitude de sens, en raison de laquelle il est propre à être employé d'une manière absolue, et non distributivement, à certains égards. L'homme est un animal qui réfléchit; vous ne direz point, qui fait des réflexions. « L'éléphant semble réfléchir, délibérer, penser. » BUFF. De même, dans une acception moins générale, un homme qui réfléchit n'est pas seulement un homme qui fait des réflexions, car qui n'en fait pas, au moins quelquefois? C'est un homme qui en fait beaucoup, souvent, qui a l'habitude d'en faire; en un mot, c'est un homme réfléchi, qui est réfléchi. Pas cette désignation on le caractérise absolument '. Dans un examen, c'est ordinairement le président qui questionne, et non pas, qui fait des

En analysant et en étendant cette idée, qui est comme compacte et comme concentrée dans le verbe. la phrase explicative lui ôte beaucoup de sa rigueur: elle la rend susceptible d'applications qui l'éloignent plus ou moins de sa valeur pro-questions le premier. Il vaut mieux laisser crier pre. Ainsi, suivant une remarque de Bouhours, approuvée par Roubaud et Condillac, caresser, conformément au sens primitif du radical, se dit plutôt en badinant et à l'égard des enfants à qui l'on fait de petites amitiés. « Les femmes menaient par la main leurs petits enfants qu'elles caressaient. FÉN.

α

les enfants, et non pas, leur laisser faire des cris, que de courir au-devant de leurs moindres caprices. Vous direz à une personne d'une manière toute générale et absolue : rêvez-vous la nuit? et d'une manière particulière et relative: avez-vous fait des rêves cette nuit, après avoir entendu le récit de cette sombre histoire? « Je lui Sans cesse, nuit et jour, je te caresserai, dis avez-vous fait aussi des rêves cette nuit? Je te bouchonnerai, baiserai, mangerai. Elle rougit et répondit qu'elle rêvait bien rare(Arnolphe à Agnès. École des Femmes.) MOL. ment. » MARM. Pour s'élever aux idées généraMais faire des caresses ne se dit guère que les, l'esprit est obligé d'abstraire, et pour raisérieusement, et c'est traiter les gens d'un air sonner juste en parlant des opinions d'une perqui marque de l'amitié. « Il persuada l'empereur sonne, nous devons faire abstraction de nos send'écrire de sa main au cardinal de Fleury de lui timents pour elle. Quand vous avez taché un faire des caresses, de l'accabler de louanges et de linge, il est tout taché; quand vous y avez fait confiance.» S. S. « Ces expressions de Corneille des taches, il est taché en certains endroits, par(dans Polyeucte) ne portent-elles pas dans l'es-ci par-là. Pareillement, le verbe raturer exprit l'idée que Pauline doit faire des caresses à prime une action unique, continue, complète, Sévère pour l'apaiser?» VOLT. Phocas dit à Pul- qui s'étend à toute la chose: si on rature une cherie dans Heraclius en parlant de l'empire:

Dis que je te le rends, et te fais des caresses
Pour apaiser des tiens les ombres vengeresses.
CORN.

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1. C'est le même rapport qui existe entre être faible et avoir des faiblesses. Dans cette dernière locution, le mot des étant partitif, distributif, ôle au sens de sa plénitude et l'affaiblit. On est faible par caractère; A quoi Roubaud ajoute: « Le verbe caresser ex- on a des faiblesses par accident, par un entrainement prime proprement une action unique, toute en de circonstance. On ne peut dire de chacun qu'il caresses; tandis que faire des caresses comporte est faible; mais personne n'est exempt d'avoir des a Tous les hommes célèbres ont eu des diverses actions du même genre ou de genres diffe faiblesses, nul d'entre eux n'a été un homme faible. » faiblesses. rents, distinctes, entrecoupées, variées, entremê-J. J.-Une différence semblable a été remarquée par lées. Il est bien évident que faire des caresses n'a Voltaire entre être fantasque et avoir des fantaisies. pas le sens absolu, plein et entier qu'emporte le « Il y a des nuances, dit-il, entre étre fantasque et verbe caresser, qui exclut de l'action tout ce qui avoir des fantaisies: le fantasque approche beaucoup n'est pas caresses et la remplit tout entière par plus du bizarre. Ce mot désigne un caractère inégal des démonstrations affectueuses, même jusqu'à en et brusque. L'idée d'agrément est exclue du mot fancombler. C'est pourquoi si caresser s'emploie tasque, au lieu qu'il y a des fantaisies agréables. » — Au reste, que le substantif employé avec avoir soit aussi quelquefois dans le sens étendu et figuré de au pluriel ou au singulier, l'expression totale garde faire des caresses, il en diffère toujours en ce tor jours le caractère que lui donne le de, qui est esqu'il exprime, non une action particulière, mais sentiellement partitif et distributif, et par conséquent quelque chose de constant et d'habituel, un sys- propre à diminuer. C'est pourquoi étre ami et étre tème de conduite. « Richelieu a aimé les gens de reconnaissant, par exemple, disent plus qu'avoir de lettres, il les a caressés, favorisés. » LABR. «N'ai- l'amitié et avoir de la reconnaissance. « Cher Deleyre, je pas à peindre ceux qui caressent également suis alarmé de l'état où vous êtes. » J. J. sans être votre ami, j'ai de l'amitié pour vous, et je " Tous ceux tout le monde, qui promènent leurs civilités à qui s'acquittent des devoirs de la reconnaissance ne droite et à gauche?» MOL. Et si, d'autre part, peuvent pas pour cela se flatter d'étre reconnaisfaire des caresses peut se dire au propre, comme

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sants. » LAROCH.

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