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nous l'avons dit à la fin de la règle générale éta-1 blie ci-dessus, qu'on les prenne pour des participes passés ou pour des substantifs sans terminaison significative, different de la même maniere des substantifs en ion.

CROISSANCE, CRUE. Augmentation de grandeur ou de hauteur.

Ance marque la durée, la continuation de ce qui a été commencé, et par suite le mot croissance se rapporte à la durée du phénomène, dont on peut mesurer les périodes. La croissance est donc une augmentation successive et uniforme; on la suit dans ses progrès. Tout au contraire, la crue indique un effet, un simple résultat; elle montre l'action faite, et non pas se faisant et se faisant progressivement. « Dans ces arbres pétrifies on remarque distinctement les veines de chaque crue annuelle.» BUFF. Ou bien la crue est un accroissement subit, passager, instantané, inattendu, et c'est pourquoi ce mot se dit surtout en parlant des rivières et des fleuves que les orages ou les fontes des neiges font grossir tout d'un coup. On l'emploie bien aussi quand il s'agit des animaux et des arbres, mais c'est dans un sens tout absolu et objectif: on ne dit pas, arrêter la crue, âge de crue, comme on dit, arrêter la croissance, prendre beaucoup de croissance, âge de croissance. « Les baleines ont longtemps roidi la taille des femmes, et gêné la croissance des enfants.» LAH. « La naissance et la croissance du ténia sont également extraordinaires.» VOLT. Dans la phrase, cet animal a pris toute sa crue, le mot crue exprime absolument et en elle-même l'augmentation de grandeur; dans cette autre, cet animal a pris toute sa croissance, le mot croissance rappelle le temps qu'il a fallu à l'animal pour croître, et les progrès successifs par lesquels il a passé pour devenir tel qu'il est. Pour parler avec une entière justesse, il faudrait toujours dire avoir toute sa crue, et prendre toute sa croissance.

SII. Substantifs à terminaison insignifiante comparés avec des substantifs primitivement participes passés et synonymes des premiers.

Les substantifs à terminaison insignifiante semblent équivaloir aux participes passés pris substantivement; car, considérés les uns et les autres, séparément, par rapport à des synonymes de même radical et à terminaisons significatives, ils en different de même. Cependant, si on les rapproche afin de déterminer précisément leur valeur respective, comme nous le faisons ici, on les trouve bien distincts les uns des autres. Le participe, absolu quand il se trouve synonyme d'un substantif dont la terminaison modifie le sens, devient, à son tour, relatif et particulier quand on le compare à un substantif dont la terminaison est insignifiante; lui qui, dans le premier cas, représente la chose en elle-même et indépendamment de tout rapport, dans le second a rapport à l'action marquée par le verbe, et à toutes les circonstances de temps, de lieu, de personnes qui accompagnent cette action. Les substantifs à terminaisons sans valeur, ou, ce qui revient au même, les participes passés qui, tcls

que rôt et arrêt, ont subi une altération si profonde, qu'ils n'ont plus rien de commun avec le verbe que le sens fondamental, sont plus absolus et plus généraux. Les participes devenus substantifs sont, au contraire, relatifs, distributifs, représentatifs, circonstanciels. Les substantifs-participes peuvent sans doute remplacer les substantifs absolus à l'égard des substantifs à terminaison significative; mais, quoiqu'ils aient le même caractère, ils ne l'ont pas au même degré, et, sitôt qu'un substantif-participe est mis en présence d'un substantif absolu, il reprend le sens relatif et rappelle l'action de son verbe.

ROT, ROTI. Mets que l'on sert après les potages et les entrées.

Ces deux participes d'un même verbe tirent leur différence de ce que le premier, s'étant beaucoup plus éloigné de sa source, a perdu toute marque de relation. Rot signifie un service de table composé de viandes rôties, l'ensemble de tout ce qui couvre la table, une partie ou une époque du repas, et non un plat parmi d'autres. « Cliton dit les entrées qui ont été servies et combien il y a eu de potages; il place ensuite le rôt et les entremets. » LABR.

J'allais sortir enfin quand le rôt a paru.

Sur un lièvre flanque de six poulets étiques, S'élevaient trois lapins, etc.... BOIL. Rôti particularise ce que rôt présente en général, parce qu'il rappelle l'action du verbe, parce qu'il indique expressément que l'action de cuire a été faite, accomplie, soufferte; il exprime une pièce qui a été cuite suivant un mode particulier. « On sert le rôt, dit Roubaud, et vous mangez du rôti. Le rôt est servi après les entrées; le rôti est autrement préparé que le bouilli. » Lorsqu'on en est venu au rôt, vous dites: Passez-moi le rôti. On dira bien d'une manière absolue nous aurons à dîner du rôt, et d'une manière relative, un rôti de poulet. On dira, en indiquant simplement le genre, du gros rôt, du menu rôt, le chat a fait un larcin de rôt ou de fromage. (LAF.); et en spécifiant davantage, en ayant égard à un oljet réel, qui est ou a été rôti, une pièce (SÉv.) ou un plat (LES.) de rôti, le rôti est à la broche. (VOLT.)

ARRÊT, ARRÊTÉ. Résultat des délibérations de quelques compagnies.

Arrêté rappelle expressément l'action du verbe arrêter; c'est ce qu'on arrête particulièrement, une décision spéciale, portant sur tel ou tel objet, émanant d'une autorité qu'on désigne un arrête du préfet, du maire. Il se considère aussi comme un événement, comme ayant lieu dans certaines circonstances. Mais l'arrêt se considère uniquement en lui-même, par rapport à sa teneur. L'arrét est souvent invariable et éternel: les arrêts de la Providence, les arrêts du destin; l'arrêté correspond à un besoin du moment : le maire fait un arrêté à propos d'une fète nationale. Dans tous les cas, l'arrêt renferme une force, une autorité supérieure à celle de l'arrêté. L'une est à l'autre comme la règle au règlement. « L'arrêt, dit Leroy, est la décision d'un tribunal supérieur, décisión que ce tribunal ne peut ni annuler ni corriger, lors même qu'il reconnaîtrait qu'il a mal décidé;

et l'arrêté n'est qu'un acte d'administration publique ou privée qui peut être annulé, corrigé ou amendė, d'après quelques considérations nouvelles, par ceux même qui en sont les auteurs. On rend des arrêts, on prend des arrêtés; les premiers se cassent, les seconds se rapportent quand il y a lieu.»

FOSSE, FOSSÉ. Trou fait dans la terre, exca

vation.

le sublime, ia sublimité; l'utile, l'utilité; le solide, la solidité; les extrêmes, les extrémités; le chaud, la chaleur; le sec, la sécheresse, etc. Avant de signaler les différences à établir entre ces synonymes, nous remarquerons que toutes les langues en renferment de semblables. Ainsi, en grec, à l'adjectif býs‚ég, vrai, correspondent àλúOcta, la vérité, et, tò antès, le vrai. En latin, on trouve pareillement verum et veritas, honestum Fosse offre nécessairement les mêmes nuances et honestas, pulchrum et pulchritudo. De même caractéristiques que rôt et arrêt, qui les doivent | en allemand, das Wahre, die Wahrheit, etc. à ce que nous leur avons accordé, ce que nous Cette question rentre donc dans la grammaire géne pouvons refuser à fosse, d'avoir une termi-nérale; sa solution importe à toutes les langues. naison insignifiante. Le mot fosse sera donc plus elle doit même intéresser le philosophe curieux général, plus absolu, et le mot fossé plus parti- de connaître la marche de l'esprit humain dans culier, plus relatif. L'un exprimera la chose en la formation des idées générales. elle-même, et sans rapport à l'agent: il y a dans la rivière une fosse dangereuse. L'autre se rap-ment, à l'article Chaud et chaleur. Voici ce qu'il portera à l'action, au travail de l'homme qui a creusé le fossé, à son mode d'action, et à son intention. En effet, le fosse n'est jamais, comme quelquefois la fosse, l'œuvre de la nature ou du hasard; il a une régularité qui lui est propre, et une fin particulière, celle de protéger un édifice, un fort, ou un champ.

SYNONYMIE DES SUBSTANTIFS ORDINAIRES ABS-
TRAITS AVEC DES ADJECTIFS PRIS SUBSTANTI-
VEMENT.

Le beau, la beauté. Le vrai, la vérité. Le bon, le juste, l'honnête; la bonté, la justice, l'honnêteté. L'infini, l'infinité. Le sublime, la sublimité. L'utile, l'agréable; l'utilité, l'agrément. Le solide, la solidité. Etc.

Roubaud a déjà traité cette question incidem

en dit « Le vrai, le faux, le beau, le bon, ne sont pas précisément la vérité, la fausseté, la beauté, la bonté : ils représentent ces qualités comme subsistantes dans des êtres idéaux ou abstraits, ou bien dans quelque sujet vague ou indéterminé. Le vrai est un objet caractérisé ou distingué par la vérité, ou bien une chose conforme à la vérité, ce qu'il y a de conforme à la vérité dans une chose.

« Cette différence distingue généralement les adjectifs érigés en substantifs des noms qui expriment la qualité caractéristique ou distinctive. L'agrément et l'utilité constituent l'agréable et l'utile: l'utile et l'agréable ont en partage et en propre l'utilité et l'agrément.

« L'ancienne philosophie a dit : le chaud, le froid, le sec, l'humide, pour distinguer les éléments ou les principes des choses. Le chaud est alors l'élément dont la chaleur est la qualité propre. »

La distinction est à peu près juste, mais elle demande à être généralisée, développée et appliquée.

Indépendamment des noms propres, qui sont toujours en petit nombre, les langues ne renferment que deux sortes de substantifs les uns génériques, c'est-à-dire signifiant des genres ou des réunions de qualités, comme animal, rivière, arbre, maison; les autres abstraits, c'est-à-dire signifiant une seule qualité trouvée dans divers individus comparés, puis généralisée, tels que beauté, solidité, chaleur, justice. Les derniers, les substantifs abstraits, ont le plus grand rapport avec les adjectifs qui leur correspondent. Outre qu'ils paraissent en dériver quant à la forme, par exemple, beauté de beau, solidité de solide, ils expriment la même qualité; seulement elle est considérée dans l'adjectif comme attribu ou prédicat, c'est-à-dire en relation nécessaire avec un objet, et dans le substantif, elle est plus abstraite, plus générale, plus indépendante, elle est présentée comme se suffisant à elle-même. Mais le langage ne se borne pas à former ainsi des substantifs en donnant aux adjectifs une terminaison substantive. Quelquefois il en forme d'autres, comme le beau, le solide, le juste, l'honnête, qui sont l'adjectif lui-même devant lequel on met l'article. De là, la source de nombreux substantifs synonymes, ayant, les uns la terminaison mème des adjectifs, les autres la terminaison ordinaire des substantifs. Nous pren-pliquer de nouveau aux objets. En d'autres termes, drons pour exemple, dans la langue française, le beau, la beauté; le vrai, la vérité; le juste, la justice; l'honnête, l'honnêteté; l'infini, l'infinité;

1° Grammaticalement considérés, le beau, le vrai, le juste, etc., ne sont pas des substantifs abstraits, mais des substantifs génériques; car ils sont tous du masculin, tandis que les noms abstraits sont tous du féminin. Ils représentent donc, en effet, non des réalités ou des fragments de réalités observables, mais des conceptions, des êtres idéaux, indépendants des réalités, et en qui se trouvent réalisées les qualités exprimées par les substantifs abstraits. Ils ne sont pas, comme ceuxci, quelque chose de simplement caractésistique ou qualificatif, mais quelque chose de substantiel et d'essentiel; ce sont des types, pour parler le langage de Platon. Leur caractère distinctif unique, c'est qu'ils sont absolus, c'est-à-dire qu'ils expriment la qualité, abstraction faite des êtres auxquels elle appartient. Au contraire, les noms abstraits la désignent, quand elle n'est point encore arrivée au nec plus ultra de l'abstraction, ou bien, quand elle est reparticularisée et qu'on la fait descendre de la hauteur de l'absolu pour l'ap

les noms abstraits s'emploient en parlant d'une chose ou d'une personne en particulier; ils expriment une qualité appréciable, portée à un certain

degré, ou, dans tous les cas, cette qualité par rapport à certaines circonstances particulières. Les noms-adjectifs se disent dans le sens le plus vaste, le plus général, sans égard ni aux choses, ni aux personnes, ni aux circonstances, quelles qu'elles soient. C'est là la différence essentielle. Les suivantes n'en sont que les développements ou les conséquences.

2° Les substantifs abstraits s'emploient rarement sans un complément indirect commençant par de; c'est tout le contraire pour les substantifs-adjectifs. La beauté d'une femme, la vérité d'un récit, la justice et l'honnêteté d'un procédé, la solidité d'un édifice, les extrémités d'un bâton, etc.

3. C'est à cause de leur caractère d'absolu et d'indétermination que les substantifs-adjectifs, à la différence des autres, s'emploient bien sans l'article dans les expressions telles que celles-ci: Il fait, ou j'ai chaud ou froid.

4. Les substantifs-adjectifs ne s'emploient pas avec les adjectifs qui marquent plus ou moins. On reconnaît à un objet une grande beauté, à un magistrat une grande justice, mais non un grand beau, un grand juste.

5° Les substantifs-adjectifs ne se prennent pas non plus comme les autres dans le sens partitif. On dit qu'un homme a quelque bonté, quelque honnétete dans le caractère, et non pas quelque bon, quelque honnête.

6 Dans les langues, le grec, le latin et l'allemand, qui, outre des substantifs masculins et feminins, en possèdent qui ne sont ni l'un ni l'autre, et que, pour cela, on appelle neutres (neutrum, ni l'un ni l'autre), les substantifs-adjectifs rentrent toujours dans cette dernière classe; ce qui contribue encore à leur faire perdre tout ca

ractère de relation.

7° Comme les substantifs-adjectifs n'ont rapport à aucune réalité, ils expriment quelque chose d'invariable, de permanent, d'éternel, de non contingent. La beauté, la justice, la vérité, peuvent varier, et varient en effet d'un pays à l'autre; mais le beau, le juste, le vrai demeurent.

pour que l'imagination ait pu songer à s'en emparer, afin de les revêtir de formes.

Entrons dans les détails. Deux systèmes ont régné en philosophie depuis Platon et Aristote sur les idées que représentent les substantifsadjectifs, savoir: celui qui les considère comme des types dont les substantifs abstraits marqueraient les manifestations, et celui qui ne voit, dans les substantifs-adjectifs, que la qualité abstraite au suprême degré. Tout en constatant dans les synonymes que nous allons examiner les distinctions établies plus haut, nous remarquerons que certains substantifs-adjectifs paraissent plus favorables au système platonicien et d'autres au système d'Aristote.

Le BEAU, la BEAUTÉ.

Le beau est absolu, la beauté relative. Le beau c'est le beau en soi, le beau véritable, le beau type, c'est un idéal que les artistes s'efforcent de réaliser, et, loin que le beau soit beau par sa conformité à la beauté, comme dit Roubaud, il semble plutôt que la beauté est dans les objets une modification qu'on doit considérer comme une manifestation ou une application du beau. Du reste, le beau, c'est quelque chose de vague ou plutôt d'étendu qui s'applique à tout ce qui est beau sans exception; ce n'est point une idée acquise, mais plutôt une conception par laquelle nous nous représentons une qualité, telle qu'elle doit être, et non telle qu'elle est. La beauté est relative elle se dit de ce qui a la grâce, la forme, les proportions requises par la mode, les mœurs, les usages, pour qu'un objet soit beau. Il y en a de bien des sortes : « Comme on dit beauté poétique, on devrait dire aussi beauté géométrique, beauté médicinale. » PASc.

Le VRAI, la VÉRITÉ. Ces deux mots sont plus synonymes que tous les autres, et ce qui fait qu'on hésite davantage dans l'emploi de l'un ou de l'autre, c'est que tous deux sont très-abstraits, très-éloignés des réalités. Cependant il n'y a point à s'y tromper.

La vérité est le vrai relatif, le vrai qui se démontre et s'acquiert par tel ou tel moyen. Le vrai est un type de vérité, un idéal, une conception à laquelle sont conformes toutes les vérités. 8 Les substantifs-adjectifs appartiennent essen- Quand Boileau dit, rien n'est beau que le vrai, il tiellement aux sciences spéculatives, et les autres exprime d'une manière absolue, nette, précise, aux sciences empiriques, ou même aux beaux- tranchante, tout ce qui a été, est, ou sera vrai, arts. Aristote et la philosophie scolastique pré- tout ce qui est susceptible de posséder la qualité tendaient expliquer toutes les choses naturelles marquée par cet adjectif; il ne reste plus rien à avec le chaud, le froid, le sec et l'humide; la phy- désirer, on n'attend plus que l'auteur détermine sique moderne étudie la chaleur et l'humidité. de quelle vérité il entend parler. Pascal appelle L'esthetique traite du beau; la critique étudie la l'homme « juge de toutes choses, imbécile ver beauté dans les œuvres de l'imagination. La mo- de terre, dépositaire du vrai.» — « Dieu et le rale s'occupe du bon, la logique du vrai; les mo- vrai, dit-il encore, sont inséparables; et, si l'un ralistes observateurs, tels que Labruyère et Laro- est ou n'est pas, s'il est certain ou incertain, chefoucauid. recherchent la bonté des actions, et l'autre est nécessairement de même. » Mais quand les sciences recherchent chacune un certain genre il parle du vrai relatif, c'est-à-dire de celui qui il se sert de rérité. Longin a fait un traité du sublime, qui s'acquiert, et par tels ou tels moyens, ne roule en particulier et exclusivement ni sur la du mot vérité. « Nous connaissons la vérité, disublimité du style, ni sur la sublimité des pensent les dogmatistes, non-seulement par raisonsees, ni sur aucune autre sublimité que ce soit. On a personnifié la beauté, la vérité, la justice, et partout on en a fait des êtres du sexe féminin. Le beau, le trai, le juste sont trop loin des réalités

nement, mais aussi par sentiment et par une intelligence vive et lumineuse. »>

Le BON, la BONTÉ; le JUSTE, la JUSTICE; 'HONNÊTE, l'HONNÊTETÉ.

Le SOLIDE, la SOLIDITÉ.

Le juste, l'honnête, le bon sont dans la con- que des manifestations; ils n'expriment que l'uti science de chacun fixes, invariables, immuables. lité et l'agrément portés au plus haut degré L'homme de bien cherche à réaliser ces idées d'abstraction; l'utile et l'agréable, comme dit dans sa conduite, comme l'artiste cherche à réa- | Roubaud avec raison, ont en partage et en propre liser celle du beau. La justice se lit dans les l'utilité et l'agrément. codes, et varie comme eux; l'honnêteté et la bonté ne sont pas moins relatives. C'est par la méditation qu'on arrive à connaître tout ce qu'implique le bon, l'honnéte et le juste; c'est par l'observation ou l'étude des mœurs et des lois seulement qu'on peut connaitre la bonté, l'honnêteté et la justice.

L'INFINI, l'INFINITÉ.

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Girard prétend que le solide a plus de rapport à l'utilité, et la solidité à la durée; mais il ne prend le mot solidité que dans un sens physique, ou, tout au moins, peu abstrait. Il est bien vrai qu'effectivement la solidité est un mot moins abstrait que le solide, et cela doit être d'après la règle générale. Mais il eût fallu considérer les deux mots dans le cas où ils sont le plus synonymes, c'est-à-dire tous deux abstraits, quand, par exemple, on parle de la solidité d'une preuve (P. R.) ou d'une réponse (Boss.), auquel cas on n'a évidemment aucun égard à la durée de ces choses. La solidité est quelque chose de moins abstrait, c'est la qualité de ce qui n'est pas facile à ébranler ou à détruire, au physique et au moral. Le solide, c'est, d'une manière très-étendue et très-abstraite, ce qui fait qu'il y a dans les objets de la réalité, du fond, quelque chose qui n'est ni vain ni frivole, comme par exemple dans les objets qui ont de la solidité. Le solide est donc ce qui constitue la solidité, ce qui en est l'es

L'infini est absolu, sans aucune relation à quoi que ce soit; c'est, par exemple, dans la sphère des nombres, ce qui n'est ni pair ni impair, ce qui n'augmente pas par l'addition et ne diminue pas par la soustraction, d'une unité. Si l'infinité ne s'emploie pas toujours avec désignation expresse des objets auxquels on la rapporte, elle est au moins très-propre à recevoir ce déterminatif, et partant à sortir du vague où s'enveloppe l'infini. Toutes les grandeurs tiennent le milieu entre l'infini et le néant.... Nous sommes placés entre une infinité et un néant d'étendue, de' nombre, de mouvement, de temps. » PASC. L'infinité, d'ailleurs, se prend seule, dans un sens hyperbolique et relatif, pour signifier une grande multi-sence, ce sans quoi il n'y aurait point de solidité; tude: l'infini ne descend point ainsi de sa hauteur et ne se prète point ainsi aux à peu près du relatif; il échappe à toute comparaison.

Le SUBLIME, la SUBLIMITÉ.

c'est l'être abstrait dont la solidité est la qualité propre. Aussi dit-on d'une manière tout absolue le solide, et d'une manière relative la solidité d'une chose, quelque solidité. « Le Diable boiteux est un roman agréable et utile, c'est-à-dire utile par l'agréable et le solide: c'est ce qu'on veut aujourd'hui dans les écrits, c'est-à-dire, outre l'utilité de plaisir, quelque solidité, de l'in

vous de cette pensée pour chercher le solide et la consistance. » Boss. « Notre piété n'a point encore cette solidité et cette consistance qui est le fruit de la prière. » FÉN.

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Les EXTREMES, les EXTRÉMITÉS.

Le sublime est tout ce qu'il y a de plus élevé, ce au delà de quoi on ne conçoit plus rien. La sublimité est la qualité communiquée par le sublime, et presque toujours elle est présentée en relation avec les choses auxquelles elle appar-struction, des mœurs, du vrai. » LɛS. « Serveztient. Le sublime est plutôt pour la conception, pour la théorie, on l'admire; la sublimité, plus accessible, tombe dans le domaine de la pratique, on y atteint difficilement. C'est de cette façon que Condillac distingue ces deux mots. Voici ses propres termes : « On dit le sublime dans le style, dans le discours, et la sublimité d'une science, d'un art, d'une pensée, du génie. Le premier élève l'âme par le nombre des grandes idées qu'il lui offre en peu de mots et d'une manière simple; le second lui représente ce qu'il y a de plus élevé dans une science, un art, etc., comme une chose à laquelle il n'est pas aisé d'atteindre. » « Aristote En cherchant le sublime, je ne suis point tombé dans le galimatias. - Platon Vous avez parlé d'une manière sèche et incapable de faire sentir la sublimité des vérités divines. » FEN. Bien sentir le sublime des auteurs sacrés; être agité, à la représentation d'une tragédie, des mouvements que la sublimité ou la violence des sentiments peut exciter dans le cœur (D'AG.). L'UTILE, l'UTILITÉ; l'AGRÉABLE, l'AGRÉMENT.

Je voudrais qu'à l'utile on joignît l'agréable, VOLT. Toutes les distinctions établies en commençant s'appliquent très-bien ici. La seule chose à remarquer, c'est que l'utile et l'agréable ne sont point, comme le beau, le juste, etc., des types, des idéaux dont l'utilité et l'agrément ne seraient

Les extrêmes sont, comme le solide, l'utile, l'agréable; ils se prennent dans un sens trèsabstrait. Ainsi, en arithmétique, on dit, les extrêmes d'une proportion, en parlant du premier et du dernier terme, au lieu que dans la géométrie, science moins abstraite, on considère les extrémités de la ligne. En général, les extrêmes signifient des oppositions vagues, indéfinies, qui ne sont de mise que dans des phrases absolues peu précises, et dans les mêmes circonstances les extrémités offrent un sens plus déterminé. On dit, par exemple, porter les choses à l'extrême ou à l'extrémité: les porter à l'extrême, c'est les porter jusqu'au dela de toute limite; les porter à l'extrémité, c'est les porter jusqu'à la dernière limite. La première locution emporte un excès auquel il n'y a pas de bornes; la seconde, un excès concevable, aussi grand qu'il peut être par la nature de la chose; c'est seulement porter les choses jusqu'à la rigueur, et c'est pourquoi on dit bien la dernière et les dernières extrémités. Toutes les fois, du reste, que l'excès est déterminé par ce qui précède ou ce qui suit, le mot extrémité est le seul propre. Dans les Provin

ciales, le père jésuite ayant dit qu'il est permis expériences d'un physicien (VOLT.); mais on ne de tuer pour un vol, l'interlocuteur demande : ¦ dit point le faux, comme on dit la fausseté d'un Combien faut-il que la chose vaille pour nous homme, de son caractère, de son visage. Et porter à cette extrémité? Enfin, comme le su- encore même alors le faux n'est qu'incompléteblime, les extrémes se disent plutôt quand il s'agit ment relatif; car on ne dira point le grand faux, de theorie, de spéculations, d'opinions, et les mais la grande fausseté d'un système ou d'un extrémités quand il s'agit de pratique, de con- raisonnement. A quoi on peut ajouter que le duite. faux se sent et que la fausseté se démontre. Le faux est plus vague et l'objet d'une aperception presque instinctive : « A la lecture, le faux de cette conception saute aux yeux. » LAH. La fausseté est mieux délimitée, mieux circonscrite, plus définissable et quelquefois moins essentielle que dépendante de la forme.

Le ROUGE, la ROUGEUR.

Le rouge est abstrait et absolu; la rougeur est concrète et relative. Le rouge se prend, comme le blanc et le noir, dans le sens le plus général et le plus vaste pour marquer le type d'une sorte de couleur, type invariable, subsistant seulement dans l'esprit et qui n'est considéré par rapport | à aucun objet particulier; la rougeur, comme la blancheur et la noirceur, exprime dans divers objets une qualité qui tombe sous les sens, qui se manifeste à tel degré et de telle manière; c'est une réalisation du rouge: aussi dit-on la rougeur, et non le rouge, de quelque chose, des joues, des lèvres, par exemple. On dit bien, en parlant d'une personne, que le rouge lui monte au visage, et que la rougeur lui monte au visage; mais l'une de ces deux expressions s'entend toujours comme marquant une coloration du visage produite par un sentiment de l'âme, tel que la pudeur ou la colère, au lieu que l'autre peut n'indiquer que le fait physique du sang qui monte au visage. Que si parfois on emploie aussi rougeur pour signifier qu'on rougit par l'effet d'un sentiment qu'on éprouve, ce mot se distingue toujours par sa relativité: on dira donc la rongeur, et non le rouge, de la honte ou de la modestie, une aimable rougeur, une rougeur subite, et non un aimable rouge, un rouge subit; et, au sujet d'une personne, sa rougeur et non son rouge. Enfin on se sert de rougeur pour les cas particuliers: à ces mots, dans telle occasion, on vit la rougeur lui monter au visage; remarquez la rougeur qui lui monte au visage. Rouge, au contraire, est réservé pour les phrases générales: on ne peut entendre de pareilles choses sans que le rouge monte au visage. « Le rouge au visage et le feu aux yeux sont un signe de la colère. Boss.

Le FAUX, la FAUSSETÉ.

α

Le jour est absolu, et la fausseté relative. Le faur.comme le vrai, est un idéal, quelque chose de vague et d'étendu qui s'applique sans exception à tout ce qui est faux, et à l'aide de quoi on distingue la fausseté partout où elle se trouve. La faussee, au contraire, est le faux qui se fait voir, qui se manifeste effectivemen dans les êtres particuliers. On dit le faux d'une manière toute générale, sans penser à rien de réel: discerner le vrai d'avec le faux (ACAD.); « le faux est toujours fade. » BOIL. On dit bien la fausseté avec détermination des personnes ou des choses: la fausseté d'un homme ou d'une nouvelle. Toutefois le faux se prend aussi relativement, mais c'est seulement dans la sphère de l'idéal, dans les matières abstraites, à l'égard des choses pensées et non à l'égard des choses existantes: on dit bien le faux d'un système (COND.), le faux d'une conséquence (BUFF.), le faux des

Le FRIVOLE, la FRIVOLITÉ.

Le frivole est abstrait et absolu; la frivolité est concrète et relative. On peut en théorie recommander de fuir le frivole, sans penser aux choses frivoles qui existent; mais en voyant les choses de ce monde on dira: laissez là ces frivolités. Le frivole est la qualité en soi, considérée intellectuellement, et la frivolité cette même qualité montrée par l'expérience, se manifestant, faisant impression sur nous le frivole est insignifiant, la frivolité est insupportable; le frivole des choses de ce monde les rend indignes de notre ambition, et nous sommes continuellement frappés de la frivolité des choses de ce monde. Le GRAND, la GRANDEUR.

Le grand est abstrait et absolu : c'est une abstraction, un idéal, un type, qui n'admet ni degrés ni variations, et dont les diverses grandeurs sont des images ou des imitations plus ou moins approchantes. Ce mot exprime d'une manière p.écise, abstraction faite des objets et des personnes, ce qui s'élevant au-dessus de l'ordinaire est digne de notre admiration. La grandeur est quelque chose de réel et de relatif qui tombe sous les sens et qui est plus ou moins conforme au grand. Le grand est une chose conçue; la grandeur, une chose percue. On vise au grand; on admire la grandeur d'un héros. - D'ailleurs le grand se dit surtout dans l'ordre des idées, dans les matières de spéculation ou de littéra ture. « Le grand, le solide de la religion prend la place dans un bon esprit de tout le frivole qui l'avait amusé. » MASS.

Le FORT, la FORCE.

Le fort est une qualité abstraite, intrinsèque; la force, une qualité effective et se faisant présentement sentir le fort d'un argument le rend solide, la force d'un argument le rend victorieux; vous êtes incapable d'apercevoir le fort de cet argument, et de résister à la force de cet argument. L'homme qui est au fort de l'âge, c'està-dire au milieu de l'âge ou de la vie, dans l'âge viril, peut être très-faible par lui-même: car le mot fort est pris ici dans un sens vague, absolu, et il n'exprime ni une force propre au sujet, ní une force qui se développe actuellement. L'homme qui est dans la force de l'âge est vigoureux. ÉPAIS, ÉPAISSEUR.

Épais est abstrait, et épaisseur concret. On dit qu'une chose, un mur, par exemple, a tant d'épais: c'est une détermination toute mathématique. Épaisseur exprime une qualité physique,

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