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Avoir bon esprit est une expression purement formelle: elle annonce une capacité générale, vague et plutôt spéculative que pratique. « Votre fille se porte bien, elle est à Paris au milieu de tous les secours; j'ai eu bon esprit de la laisser

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en avoir des nouvelles, c'est en savoir telles circonstances, de manière à être capable de les décrire, d'en rendre compte. On disait au temps de Vaugelas et de Bouhours avoir nouvelles, au pluriel; c'était à tort, car le vague produit dans cette locution par l'absence de l'article s'accom-là. » SÉv. « De mon avis sera tout philosophe mode mieux du singulier, de sa nature général, compréhensif, complet, mais impropre à marquer les détails.

§ II. Article numérique un. Comme l'article défini, il donne aux substantifs qu'il précède un sens précis et déterminé. Ansi, lorsqu'il se rencontre deux expressions synonymes renfermant le même substantif, mais sans article dans l'une et avec l'article numérique dans l'autre, ce substantif a dans la première une signification indéterminée, vague, qui rappelle la primitive, mais en l'étendant et en l'affaiblissant, et dans la seconde, au contraire, il reproduit la signification primitive dans toute sa force et dans toute sa rigueur. On peut être complaisant, sans aller jusqu'à être un complaisant (MARM.).

FAIRE AFFRONT, FAIRE UN AFFRONT: FAIRE INJURE, FAIRE UNE INJURE. Offenser quelqu'un dans son honneur ou son amour-propre, ser une mortification.

lui cau

vées

sans préjugé, tout homme de bon esprit qui voudra lire avec attention ce que j'ai écrit sur ce sujet. » BUFF. « A cet extravagant discours de don Quichotte, don Alvar, qui avait bon esprit, donna dans le vrai de la chose. » LES. « Il y a des opinions très-fausses, qui ont été approuAvoir un bon esprit a plus de rapport à la réalité par des personnes de fort bon esprit. » P. R. et marque de la solidité, du bon sens, un talent qui va plus aux affaires et à la conduite. « Le bien conseiller; car il a un grand sens, un bon coadjuteur a tout ce qui est nécessaire pour vous esprit, un courage digne du nom qu'il porte. > il l'entendra: il a un bon esprit, et sait bien ce SEV. Il faut lui laisser passer ce voyage comme qu'il fait. » ID.

A-t-elle un bon esprit ? Est-elle douce, sage? DEST. « On essaya de les brouiller; mais ils avaient un si bon esprit, que jamais leur bonne intelligence ne posée d'abord par Bouhours, s'applique égaleput être troublée. » LES.-Cette distinction, proment aux expressions avoir bon cœur et avoir un bon cœur. La première se dit en général, sans qu'on insiste, sans rigueur, sans conséquence: « On sait bien que je t'aime, que j'ai bon cœur, que je désire de te voir tranquille et contente.» tive: « Elle a un très-bon cœur et une véritable MARM. La seconde exprime une bonté plus posigénérosité. » SÉV.

- Mème différence entre avoir

Les mots affront et injure dans faire affront et faire injure n'ont plus qu'une signification étendue et vague, en vertu de laquelle ils expriment une légère offense, ou quelque chose qui tient de l'offense plutôt qu'une offense réelle; mais dans faire un affront et faire une injure, ils conservent toute leur force et demeurent sy-bon jugement et avoir un bon jugement. nonymes d'outrage et d'insulte. L'action de faire affront consiste quelquefois uniquement à marquer peu d'égards ou à reprocher quelque chose en public de manière à inspirer de la honte. Quand on nous fait affront, nous rougissons, rien de plus; quand on nous fait un affront, nous frémissons, notre sang bouillonne et nous courons à la vengeance.

On m'a fait un affront, et je veux m'en venger. DEST. D'un autre côté, nous disons continuellement en conversation, et sans conséquence c'est me faire injure que de croire, vous me faites injure en me supposant de telles intentions.

S III. Article défini comparé à l'article

numérique.

Tous deux font connaître les substantifs qu'ils précèdent dans leur sens précis et rigoureux; tous deux les mettent en relief, et appellent sur eux l'attention. Mais souvent il arrive que l'un détermine le genre, tandis que l'autre détermine toujours l'individu, ou tout au plus l'espèce; le premier alors empêche de confondre la chose, dont il rappelle les caractères propres, avec toute autre, le second empêche de la confondre avec C'est moi qui vous l'assure; une autre de la mème espèce ou du même genre. Et si vous en doutez, vons me faites injure. DEST. Ainsi, la naïveté indique un genre qui diffère de Faire une injure aurait une toute autre portée. tout autre, la simplicité, le naturel, etc., qui a On fit une injure à Dion en donnant le comman- ses qualités constitutives, ses règles. Une naïdement de la flotte à Héraclide; car Dion aupa-reté signifie individuellement ou distributivement ravant avait été déclaré généralissime des troupes de terre et de mer. (COND.)

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un trait de naïveté qui diffère de tout autre. La naïveté est d'un homme naïf: une naïveté vient

AVOIR BON ESPRIT, AVOIR UN BON ESPRIT. d'un homme qui, parmi les choses naïves, en a dit une; on ne la définit pas, on n'en donne pas tandis que de ne la définit pas, ou ne la définit pas les règles; on la raconte, on n'en dit point les si bien. Pour la quantité, s'il l'indique plus vague-caractères généraux, elle n'en a pas, mais seulement que de, c'est qu'il n'est pas comme de destiné ment les qualités individuelles, les particularités. uniquement à exprimer ce rapport. La justesse de la régle n'exige pas que l'article donne de la précision, non-seulement à l'idée que représente le nom devani lequel il se place, mais encore à toutes les idées accessoires spécialement marquées par des prépositions auxquelles il se trouve mėlė.

SYN. FRANÇ.

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Cependant l'article défini ne détermine pas tou jours nécessairement le genre, mais parfois aussi l'espèce ou l'individu, tout comme l'article numérique; c'est alors que leur distinction devient difficile. Cherchons néanmoins à l'établir en pre

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compter son mobilier. » VOLT. «Je rencontrai avant-hier des chariots chargés de ses meubles (de M. de Pomponne), qu'on ramenait de SaintGermain. » SEV.

nant pour exemple les deux expressions synony- [« Il était riche de quarante-trois millions, sans mes un champ et le champ: un champ ou le champ bien cultivé paye le laboureur de ses peines. La première expression fait penser à tous les champs parmi lesquels on en choisit un. La seconde concentre l'attention sur la notion du champ en lui-même, et ne rappelle en aucune sorte les autres espèces du même genre, c'est-àdire les autres champs. On parlera donc avec une entière justesse en disant, un champ bien cultivé rapporte beaucoup plus qu'un autre, et le champ bien cultivé rapporte beaucoup. La différence est la même entre un roi sage et le roi sage, et ainsi des autres exemples.

SYNONYMIE DES NOMS COLLECTIFS AU SINGULIER
AVEC DES NOMS ORDINAIRES AU PLURIEL.

Chevelure, cheveux. Feuillage, feuilles. Plumage,
plumes. Branchage, branches. Armure, armes.
Mobilier, meubles. Crinière, crins. Bétail, bes-
tiaux. Entourage, entours. Campagne, champs.
Humanité, hommes.

Ils expriment, les uns et les autres, une réunion de choses. Mais d'abord les noms collectifs sont plus généraux; ils comprennent absolument et complétement toute une classe de choses; au lieu que les noms au pluriel s'entendent souvent dans un sens partitif et incomplet. Les cheveux et les feuilles ne sont souvent qu'une portion de la chevelure et du feuillage, au lieu d'en être la totalité. Des harengères qui se battent s'arrachent les cheveux et non la chevelure; mais c'est | en secouant sa chevelure (FEN.), et non ses cheveux, que Jupiter fait trembler l'Olympe. « Je ne veux point me parer des plumes du paon; je suis un pauvre geai qui s'est toujours contenté de son plumage. » VOLT. Et nonseulement le nom collectif s'étend à la totalité des choses, mais encore il faut que les choses qu'il exprime soient nombreuses. Une rose a des feuilles et non un feuillage. Une chevelure est une réunion de cheveux longs et bien fournis; on n'appelle de ce nom ni les cheveux courts du nègre, ni les cheveux du vieillard à demi chauve. D'un autre côté, une conséquence de ce premier caractère distinctif, c'est qu'il faut se servir seulement du nom au pluriel toutes les fois qu'on veut exprimer une réunion de choses sur lesquelles une action est produite par parties et successivement. Un arbre perd ses feuilles, ou ses feuilles tombent plutôt que son feuillage. On coupe les cheveux ou les branches plutôt que la chevelure ou le branchage. « L'homme vain consacre à Apollon la chevelure d'un fils qui lui vient de naître, et dès qu'il est parvenu à l'âge de puberté, il lui coupe les cheveux et les dépose dans le temple.» LABR. « Don Quichotte voulut voir les armes pièce à pièce. L'armure était complète : cuirasse, brassarts, etc. Pendant qu'on remettait les armes dans le coffre, Sancho entra. » LES. L'expression, vendre le mobilier, désigne comme unique et indivisible l'effet marqué par le verbe, et vendre les meubles le représente comme appliqué en détail à telles et telles choses particulières.

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Une différence plus considérable consiste en ce que le nom collectif n'a rapport qu'à l'ensemble, et le nom pluriel aux individus qui font partie de l'ensemble. La chevelure, le feuillage, etc., deviennent un être simple, un nouvel individu dans | lequel les éléments se dérobent à la vue. L'un fait considérer le tout et les qualités qui en résultent d'une manière synthétique et complète ; l'autre les présente d'un point de vue analytique et dans le tout fait songer aux individus pris un à un. « Il faut qu'il y ait peu de chair auprès de la crinière, qui doit être mediocrement garnie de crins longs et déliés.» BUFF. « Tous les ornements du plumage des oiseaux ne sont que des prolongements des mêmes plumes plus petites dans le commun des oiseaux. » ID. La beauté de la chevelure, de la crinière, du feuillage, du plumage, de l'armure, etc., est la beauté qui résulte de l'assemblage des cheveux, des crins, des feuilles, etc., objets qui individuellement peuvent bien n'être pas beaux ou avoir une autre sorte de beauté; tandis que la beauté des cheveux, des crins, des feuilles, etc., est la beauté même qui se retrouve dans chaque cheveu, dans chaque crin, dans chaque feuille, etc.

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Un beau rouge éclatant est la seule couleur qui paraisse sur le soui-manga: chacune de ses plumes est cependant de trois couleurs différentes: preuve décisive, entre mille autres, qu'il ne suffit pas d'indiquer les couleurs des plumes pour donner une idée juste des couleurs du plumage. » BUFF. De là vient que le nom collectif est plutôt poétique et pittoresque, et le nom pluriel plutôt scientifique et abstrait. Les épithètes qu'on joint au premier sont générales, vagues, et n'expriment que des qualites apparentes qu'on aperçoit à la première vue; celles qu'on ajoute au second déterminent les propriétés précises, la nature de chacun des individus de la classe. Le mot feuillage, par exemple, ne rappelle pas les idées de la forme, de la couleur, de la grandeur des feuilles. Le feuillage du saule est clair, et non touffu; ses feuilles sont amères. « Une plante n'est pas plus sûrement reconnaissable à son feuillage qu'un homme à son habit. » J.J. Elle est beaucoup plus sûrement reconnaissable à ses feuilles.

On dit le murmure du feuillage, et non des feuilles, parce que les feuilles ne murmurent qu'ensemble. On se met à l'ombre sous le feuillage, et non sous les feuilles : c'est l'ombre de l'ensemble que l'on recherche plutôt que celle de chaque feuille en particulier.

Nous croyons que les distinctions précédentes s'appliquent exactement à tous les synonymes de cette classe. Il en est toutefois auxquels la règle parat ne pas convenir aussi immédiatement.

BÉTAIL, BESTIAUX. Bétail se dit du genre= gros bétail, memu bétail. Bestiaux se dit des individus dans le genre: les bestiaux mangent plus l'été que l'hiver. Toutes les fois qu'il est question de l'espèce ou d'une collection, bétail est le mot

propre. Nourrir du bétail (Boss.). « Le duc de Russie payait un tribut aux Tartares en argent, en pelleteries et en bétail. » VOLT. « Le cinquième ordre de Linnæus, pecora, ou le bétail, comprend le chameau, le cerf, etc. » BUFF. « Au moyen äge le plus grand nombre des hommes était une espèce de bétail. » VOLT. « C'est un bétail servile et sot que les imitateurs. « LAF. « Les filles sont un maudit bétail à gouverner. » REGN. Mais s'il s'agit d'animaux considérés distributivement ou successivement, et non plus ensemble. le terme convenable sera celui de bestiaur. « Joseph en vendant du blé aux Egyptiens durant la famine acquit pour le prince tous leurs bestiaur. » Boss. Toutes les fois que les bestiaur venaient lécher la statue de sel, en laquelle avait été changée la femme de Lot, elle repreDait sur-le-champ sa grosseur ordinaire. » VOLT. « Cette inondation fit périr une infinité de bestiaur. » BUFF. « Les sorciers avaient, diton, le pouvoir de faire mourir des bestiaur; et il fallait opposer sortilège à sortilège pour garantir son bétail.» VOLT.

ENTOURAGE, ENTOURS. L'entourage est plus compréhensif; il s'entend de toutes les personnes avec qui l'on est en relation, de près ou de loin; les entours sont plus intimes, et le mot ne se dit guère que des parents ou des amis avec qui l'on vit familièrement. « Le père Tellier me courtisait par rapport au duc de Bourgogne et à ses plus intimes entours. » S. S. « Philipeaux voulait pour rien cette fille à marier, à cause des alliances et des entours.» ID. Entourage, d'ailleurs, signifie plutôt l'ensemble des entours, et les entours s'emploie plutôt quand il faut qualifier les individas qui entourent. Vous avez un bel entourage! ne vous laissez pas influencer par vos entours. « Le caractère et les entours influent beaucoup en bien ou en mal sur le talent de l'écrivain. » LAH. CAMPAGNE, CHAMPS. Bouhours et Beauzée ont déjà marqué la différence qui existe entre ces deux mots dans les expressions, maison de campagne et maison des champs.

Bouhours dit simplement que la première expression est plus noble que la seconde. Cela doit être, puisque, suivant la règle, le nom collectif est plus pittoresque et plus poétique. Beauzée ajoute qu'une maison de campagne est une habitation avec les accessoires nécessaires aux vues de liberté, d'indépendance et de plaisir qui en ont suggéré l'acquisition, comme, avenues, remise, jardins, parterre, bosquets, parc même, etc.; au lieu qu'une maison des champs est une habitation avec les accessoires nécessaires aux Vues économiques qui l'ont fait construire ou acheter, comme un verger, un potager, une basse-cour, des écuries pour toute sorte de bétail, un vivier, etc. Il n'y a là rien que de conforme aux distinctions ci-dessus établies.

La campagne doit donner l'idée de quelque chose de très-grand, de très-étendu, où l'on se meut librement, et aussi de quelque chose de gracieux et de poétique, où l'on goûte surtout les plaisirs de la vue.« Nous apercevions sur les deux rivages du Nil des villes opul ntes et des maisons de campagne agréablement situées. »

FÉN. « Le logement de l'évêque d'Évreux est très-beau, l'église des plus belles, la maison de campagne est des plus agréables qu'il y ait en France. » SÉv. Mais les champs doivent réveiller les idées des qualités physiques propres à chaque champ, lesquelles sont d'être cultivé et de porter des fruits d'une certaine espèce et en plus ou moins grande abondance. Esope, acheté comme esclave, fut envoyé par son maître à sa maison des champs pour labourer la terre (LAF.). « L'enfant prodigue se mit au service d'un des habitants du pays, qui l'envoya à sa maison des champs pour y garder des pourceaux. » MASS. « Ces hommes appelés au festin regardaient comme un inconvénient; l'un, d'abandonner sa maison des champs; l'autre, son commerce. » ID. - « On exige que vous qui profitez des travaux de tant d'infortunés qui habitent vos terres et vos campagnes, connaissiez ceux qui traînent au fond des champs les restes de leur caducité et de leur indigence. » MASS.

HUMANITÉ, HOMMES. L'humanité ne se prend jamais, comme les hommes, dans un sens partitif, relatif, successif ou incomplet. L'humanite ne meurt pas, quoique les hommes meurent. L'humanité comprend tous les individus du genre mâles et femelles; les hommes se prennent quel quefois par opposition aux femmes. Ce qu'on dit de l'humanité s'applique à l'ensemble des hommes, mais non pas toujours à chaque homme en particulier; ce qu'on dit des hommes s'entend des individus de l'espèce. Le seul moyen de concilier la providence divine avec la liberté humaine, c'est d'admettre que Dieu règle d'avance les événements de l'humanité, sans prédéterminer pourtant les actions des hommes. Les hommes passent par trois âges, l'enfance, la virilité et la vieillesse.

SYNONYMIE DES SUBSTANTIFS ORDINAIRES AVEC DES INFINITIFS PRIS SUBSTANTIVEMENT.

Sortie, sortir. Volonté, vouloir. Sensation, sentir. Usage, user. Couchée, coucher. Pensée, penser. Ris, rire. Etc.

L'infinitif est une forme abstraite du verbe, ou une formule du verbe dépouillée de toute modification de temps, de modes, de personnes, de nombre. Pris substantivement, l'infinitif signifiera donc l'abstrait, l'indéterminé, l'absolu. Il ne particularisera rien, il n'aura rien de concret, il présentera la chose en elle-même, sans détermination accessoire, et ne recevant de qualifications que celles qui la font connaitre dans sa nature ou son essence. Les synonymes des noms infinitifs se distingueront par des caractères opposés au lieu d'ètre abstraits, ils seront concrets, ils exprimeront la chose avec des circonstances et des déterminations particulières, et leurs qualifications beaucoup plus nombreuses marqueront, non pas seulement ce qu'est la chose en elle-même, mais ce qu'elle est dans ses rapports de temps, de lieu, de personnes, de contenu, d'étendue ou autres, suivant que leurs terminaisons leur imprimeront l'un ou l'autre de ces sens. L'usage de transformer ainsi les in

finitifs en substantifs, qui sont en quelque sorte des radicaux nus, nous vient du grec, langue essentiellement philosophique et propre à l'abstraction.

Lorsque les synonymes des noms infinitifs sont objectifs et passifs, comme pensée, ris, parole, marche, les noms infinitifs ayant seuls rapport à l'action, indiquent la manière dont elle se fait, non point dans un cas particulier, comme leurs synonymes, mais habituellement, car ils ne cessent jamais d'être abstraits et généraux.

SORTIE, SORTIR. Ces deux mots ne sont sy nonymes que dans les locutions prépositives, à la sortie de et au sortir de, qui signifient toutes deux, au moment où l'on sort de.

USAGE, USER. Ces mots sont synonymes quand ils se prennent pour exprimer le parti qu'on tire des choses. On dit indifféremment de certaines choses dont on vante la bonté, qu'elles sont d'un bon usage et d'un bon user.

Usage emporte l'idée d'une détermination étrangère à user, celle d'une fin, d'une application à quelque chose. Un instrument est d'un bon usage, quand il est bon pour ce à quoi on le fait servir. Une étoffe est d'un bon user, quand on peut en user longtemps. Il y a des étoffes qui deviennent plus belles à l'user, c'est-à-dire, pendant qu'on en use, qu'on s'en sert. On reconnaît par l'usage (BUFF.), c'est-à-dire en s'en servant pour une fin particulière, la qualité bonne ou mauvaise d'une pierre à rasoir ou d'un remède; on reconnaît un domestique à l'user (DEST.), c'est

Au sortir de est visiblement plus abstrait: on dira bien, au sortir de là, au sortir de l'enfance, au sortir du berceau, et dans aucun de ces exem-à-dire en s'en servant comme d'ordinaire on se ples à la sortie de ne conviendrait, parce que cette sert d'un domestique; ici la destination s'entend locution retient quelque chose de concret et n'ex- de soi-même. prime pas l'époque simplement, d'une manière toute figurée, tout idéale. A la sortie de rappelle | l'action de sortir, la représente à l'esprit, ce que ne fait nullement au sortir de : ainsi, on dit bien, à la sortie et non au sortir des juges.

VOLONTÉ, VOULOIR. Faculté ou action de celui qui veut.

Dans les deux sens, la volonté est relative et le vouloir absolu. On trouve, chez les uns, une volonté ferme et inébranlable, chez les autres une volonté faible et vacillante. Le vouloir ne reçoit point de qualifications semblables, parce qu'il n'est ni relatif, ni concret, ni individuel. L'essence du plaisir indélibéré est de produire le vouloir.» FEN. Considérés comme actes, la volonté se rapporte à la chose qu'on veut, et elle est durable, au lieu qu'au vouloir ne correspond pas un objet qui le rende tel ou tel, il exprime l'acte sans plus telle est ma volonté; c'est Dieu qui nous donne le vouloir et le faire.

Les chrétiens n'ont qu'un Dieu, maître absolu de tout,
De qui le seul vouloir fait tout ce qu'il résout.

CORN.

Il faut réprimer les volontés de l'enfant, car il ne doit point avoir de vouloir. La volonté est effective, elle se manifeste au dehors par le moyen des organes, le vouloir consiste uniquement dans l'acte intérieur; c'est pourquoi l'on peut bien arrêter l'une, mais non pas l'autre.

SENSATION, SENTIR. Ces deux mots expriment l'état passif de l'âme en présence des objets.

D

COUCHÉE, COUCHER. Un voyageur paye tant à l'hôtellerie pour sa couchée ou pour son coucher. Couchée est descriptif. Il détaille plusieurs circonstances ou impliquées dans coucher ou qui lui sont étrangères. La couchée comprend le souper, le nettoiement de la chaussure, des habits, l'arrangement de la chambre. Le coucher indique purement et simplement l'usage du lit, il ne marque aucune détermination accessoire, pas plus que le manger, le dormir, etc.

PENSÉE, PENSER. Action de celui qui pense et ce qu'il pense.

L'un est relatif et particulier, l'autre absolu et général : « Le mot pensée, dit Roubaud, ne désigne que l'action de penser, tandis que penser en marque la manière d'être propre et distinctive. » Ces deux mots ont donc entre eux le même rapport que ris et rire. Autrefois on disait penser en poésie, parce que les vers s'en trouvaient bien (LABR.), et c'est en lé considérant comme terme poétique que Roubaud le caractérise. On l'emploierait plutôt aujourd'hui en métaphysique pour exprimer d'une manière tout abstraite et tout absolue la pensée : « Qui peut assurer, dit Voltaire, qu'il est impossible à Dieu de donner à la matière le sentiment et le penser? »

Le raisonner tristement s'accrédite. VOLT.

Il peut signifier encore la manière de penser de toute une classe ou espèce d'hommes, comme on le voit dans cette phrase de J. J. Rousseau: « Le penser måle des âmes fortes leur donne un idiome particulier.» La pensée est relative aux circonstances,

-

une action ou une manière de penser accidentelle et propre à un seul homme. On disait autrefois le mentir pour le mensonge, mais ce n'était que dans les propositions d'une généralité absolue. << En vérité le mentir est un maudit vice. » MONTAIGN.

Le sentir, comme le penser, comme le vouloir, comme le connaître, n'est d'usage qu'en métaphy-à l'objet sur lequel elle porte, ou elle exprime sique, science où l'on considère les actes de l'esprit d'une manière tout abstraite et indépendamment de toutes circonstances. « Le sentir ne dépend pas de nous, mais le vouloir en dépend. » FEN. « Dieu n'entend et ne veut que ce qu'il faut entendre et vouloir; son entendre et son vouloir sont sa nature, qui est toujours excellente. » Boss. Mais la sensation et le sentiment sont variables en force et en intensité, en même temps que relatifs à l'in-mer cette action dans les cas particuliers; rire est dividu qui les éprouve; le sentir reste toujours plus abstrait et plus propre à caractériser la chose identique et n'indique pas même, comme les deux en elle-même. Que le premier soit concret, le seautres mots, si le phénomène qu'il exprime a pour cond abstrait et représentatif de la chose en soi, cause quelque chose d'extérieur ou d'intérieur. c'est ce que Condillac a bien saisi: Leris, dit-il,

RIS, RIRE. Ces mots signifient la même chose suivant l'Académie, l'action de rire. Cependant ris est plus concret et sert à expri

est proprement le bruit que fait celui qui rit, le | ou du sourire. Le sourire est la manière d'expririre est la manière dont il rit: on entend des ris; le mer une joie douce, modeste, délicate de l'âme; rire est agréable ou désagréable.» Mais nous de- le souris en est l'expression actuelle et passagère. vons à Roubaud une distinction plus complète et Ensuite, vous ne concevez pas le souris sans une plus détaillée : « Ris, dit-il, n'est qu'un acte, unintention, un motif, un sentiment, une pensée effet individuel. Nous disons le rire, comme nous disons le boire, le manger, le lever, le coucher; or, cette manière de parler désigne le genre, la manière, l'habitude de la chose. L'on a le rire agréable et l'on fait des ris. Vous qualifiez le rire d'une personne selon sa manière habituelle de rire; et vous qualifiez ses ris selon la manière dont elle rit actuellement. Chacun a son rire, comme son maintien habituel la forme du ris varie comme la contenance, suivant les occasions. »

qui l'anime; vous concevez le sourire comme un jeu naturel de la figure. » On dit cependant, un sourire de pitié, d'indignation, d'approbation; mais alors on désigne, non pas un fait ou un cas particulier, mais toute une espèce d'actions. « Les arguments de l'amour sont de tendres pleurs et un gracieux sourire. » LAF. « Jupiter regarda Vénus avec complaisance: il lui fit un doux souris. » FEN. On a le sourire ou un sourire tel ou tel; on fait dans l'occasion un souris tel ou tel. Il y a le sourire de l'amitié (VOLT.), le sourire du dédain (BEAUM.); on reçoit quelqu'un dans un cas particulier avec un souris amical ou dédaigneux.

Le ris est donc le rire se produisant et se montrant dans un cas particulier.. Le rire est l'expression du contentement; et le ris d'un homme VIE, VIVRE. Existence d'une chose animée. exprime la joie qu'il éprouve en un moment La vie est effective: cette expression convient donné. On dit proprement le rire c'est un en langage historique, quand il s'agit de réalité : genre d'action. « L'enfant a comme nous le rire, le vivre est idéal; c'est un terme de spéculation les cris, les plaintes. » J. J. « Le rire est ami de qui a sa place dans le raisonnement où on traite l'homme, lui appartient privativement au reste des choses en soi, non comme étant ou ayant été, des animaux...; il est le partage des dieux...; ilmais abstractivement ou comme ayant tels caraca quelque chose de vif et de sensible. » LAF. « Dis-tères. « Le même passage que vous fites de la mort courir de la comédie et du rire en philosophe pla-à la vie, refaites-le de la vie à la mort. » MONTAIGN. tonicien. ID. « Etablir un impôt sur les chansons et sur le rire.» VOLT.

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<< La nature apprit à Thalès que le vivre et le mourir étaient indifférents. » ID. On lit dans le même écrivain : « Je sais avoir retiré de l'aumône des enfants, pour m'en servir, qui bientôt après m'ont quitté et ma cuisine et leur livrée, seulement pour se rendre à leur première vie. » Il ve

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La joie est passagère, et le rire est trompeur. ID Mais on dit proprement des ris: ce sont les manifestations, les réalisations du rire. « Les ris et les éclats qu'excitent les bons mots. » BOURD. < Troubler les sacrés mystères par des ris immo-nait de dire: « Regardez la difference du vivre destes et par des éclats. » ID. « A cette vue tous de mes valets à bras, à la mienne.» On disles voleurs éclatèrent en ris immodérés. » LES. tinguera à peu près de même ces deux mots, Je renouvelai mes ris à cette saillie. » ID. quand ils signifient la nourriture. Le vivre se dit Vos ris complaisants d'une manière tout abstraite, sans rien particuTirent de son esprit tous ces traits médisants. lariser. «J. C. défend à ses disciples de se mettre MOL. en peine du vivre et du vêtement. » Nic. La vie, au contraire, est le vivre effectif, dans telles circonstances. «Solon voulut que chaque citoyen rendit compte de la manière dont il gagnait sa vie. » MONTESQ. Ou bien le vivre, comme le penser, comme le vouloir, est un terme de la poésie familière et naïve.

- On dit bien également un rire et un ris; mais
un rire est une espèce du rire, qu'on caractérise,
et un ris est un fait qu'on décrit. Avoir un rire
fin et malicieux (LES.): rire d'un rire de méchan-
ceté (J. J.), d'un rire de mépris (VOLT.).

On peut avoir un rire et des pleurs de commande.
DEST.

Mais un ris a lieu ou a eu lieu, on le rapporte.

Mon faquin, qui se voyait priser, Avec un ris moqueur les priait d'excuser. BOIL. Pourquoi ce rís dédaigneux, quand on vous raconte ce que la main de Dieu a fait?» FÉN.

Enfin, rire est tellement abstrait et si peu pro

Mon vivre n'est qu'un peu de gland. SCARR.
Le vieillard, tout cassé, ne pouvait plus qu'à peine
Aller querir son vivre.

LAF.

Le même Lafontaine a dit dans ses Contes le jeu-
ner pour le jeûne :

La sainteté n'est chose si commune
Que le jeuner suffise pour l'avoir.

pre à indiquer les circonstances accessoires, qu'il Et dans la fable le Savetier et le Financier,

ne suppose pas même, comme ris, que l'action de rire ait lieu avec intention ou sous l'influence de certains sentiments ou mouvements de l'âme particuliers. « Charles XII avait le bas du visage défiguré par un rire fréquent qui ne partait que des lèvres.» VOLT. « Le rire, qui est par le chatouillement des aisselles, n'est point naturel ni doux. CHARR.

SOURIS, SOURIRE, action de rire légèrement. Même différence entre ces deux mots qu'entre les deux qui précèdent. « Le souris, dit Roubaud, est proprement un acte, l'effet particulier de sourire

Et le financier se plaignait
Que les soins de la Providence
N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.

PAROLE, PARLER. Langage.

Le mot parole est objectif, et, comme tel, il a un sens très-étendu : Dieu a donné la parole à l'homme; un orateur a ou demande la parole. Cela n'empêche pas ce mot de se prendre dans un sens plus restreint pour signifier le langage par rapport à la manière dont quelqu'un l'emploie, auquel cas il est synonyme de parler. On

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