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discourir, courir çà et là en parlant, parler de | choses et d'autres; digérer, porter la nourriture dans tous les membres; discerner, voir séparément de toute autre chose.

De plus, entre l'idée de séparation et celle d'ablation, de négation, existe une certaine affinité, et l'esprit passe volontiers de l'une à l'autre. Dis devra donc aussi faire signifier à certains mots composés ce point de vue de l'esprit. C'est ce qui arrive, par exemple, pour difficile, disparaître, discontinuer, disconvenir, dissuader, dissemblable, disgrace, difforme.

SIMULER, DISSIMULER. Faire par les apparences que les autres se trompent sur nos pensées, nos sentiments, nos intentions, ou en général sur la réalité.

Simuler, c'est faire en sorte qu'une chose paraisse, quoiqu'elle ne soit pas, faire un acte qui ressemble (similis, semblable) à un acte réel, mais qui ne l'est pas. Au contraire, dissimuler, c'est faire un semblant qui diffère de ce qui est, induire à croire qu'il n'existe pas. La différence est capitale: on simule ce qui n'est pas, on dissimule ce qui est. On simule une attaque en cherchant à paraître attaquer, tandis qu'au fond il n'en est rien; on dissimule sa haine en cherchant à ne point paraître hair, tandis qu'au fond în hait effectivement. Là, on se sert de l'apparence pour faire croire ce qui n'est pas; ici, on s'en sert pour déguiser, pour empêcher de paraître ce qui est, ou pour faire croire le contraire de ce qui est. En un mot, simuler est affirmatif de ce qui n'est pas, et dissimuler, négatif de ce qui est. En latin, le même rapport existe entre simulare et dissimulare: simulamus quæ non sunt; dissimulamus quæ sunt; et, en allemand, entre sich stellen et sich verstellen.

POSITION, DISPOSITION. Ils expriment une manière particulière d'être dans un sens, ou dans une certaine posture et dans un certain rapport avec un but. Par la position d'un homme, d'une armée, d'une maison, comme par leur disposition, vous désignez comment ils se trouvent eu égard à leur destination ou à un but.

Ces mots doivent être considérés d'abord comme significatifs de la posture seule, puis comme indiquant le rapport au but.

1° Sous le premier point de vue, disposition, c'est-à-dire état ou manière d'être de ce qui est posé de côté et d'autre, ajoute au sens du simple l'idée d'un arrangement, d'un ordre de choses; si bien que la disposition marque la position combinée de différentes parties ou de divers objets. On remarque dans un animal sa position totale, au la position de sa tête ou de ses yeux (BUFF.); et la disposition des parties de son corps (MOL., COND.). Une couche de grès ou de terre a telle position, horizontale, verticale ou inclinée (BUFF.); on decrit la disposition de diverses couches de grès ou de terre (BUFF.). Un général d'armée, qui veut attaquer une ville, doit connaitre d'avance la position de la place (COND.) et la disposition des lieux (Boss.) ou du pays (RAC.). La position d'un homme, d'une armée, d'une maison, c'est simplement leur situation particulière par rapport à un but. Mais la disposition

d'un homme, c'est sa position résultant de l'harmonie ou du désaccord qui règne entre les diverses parties de son organisation, soit physique, soit intellectuelle. La disposition d'une armée, c'est sa position produite par son ordonnance: une armée choisit telle position pour attaquer, et reçoit du général telle disposition. Une maison a telle position, c'est-à-dire se trouve exposée de telle manière; elle a telle disposition, c'est-à dire telle manière d'être en raison de la distribution | des parties qui la composent.

2° Sous le second point de vue, la différence est autre et se tire d'une autre circonstance. Dans position le rapport au but paraît peu marqué, et c'est une détermination passive; dans disposition, au contraire, il se montre énergique et sous forme de tendance. Qu'un homme soit en position de faire telle ou telle chose, il ne s'ensuit pas qu'il y soit porté, qu'il y aspire; mais, être dans la disposition de faire une chose, témoigne dans le sujet une inclination active. Une armée est dans une bonne position pour combattre, c'est-à-dire qu'elle peut avec chance de succès attaquer et se défendre; mais cette heureuse manière d'être par rapport au but ne tient pas à elle, ne vient pas d'elle: au moment du combat, elle est dans une bonne disposition, c'est-à-dire, pleine d'ardeur et prête à fondre sur l'ennemi.

Si on dit plutôt la disposition que la position des esprits et des affaires, c'est pour deux rai. sons différentes: d'abord, il s'agit dans cette locution de plusieurs choses, et en l'employant on veut exprimer l'état qui résulte de leurs rapports mutuels; ensuite, les esprits et les affaires y sont considérés comme ayant une tendance, comme suivant ou voulant prendre un certain train, une certaine tournure.

PREFIXES DIS ET RE.

Dissoudre, résoudre.

DISSOUDRE, RÉSOUDRE. Racine, solvere, délier, faire cesser l'union entre les parties d'un tout. Tel est effectivement le sens commun aux deux mots; mais chacun y ajoute une nuance en raison de sa particule initiale.

Dissoudre, dis solvere, délier en jetant les parties çà et là, n'a rapport qu'à la destruction de l'union, et c'est pourquoi on ne dit pas dissoudre, comme on dit résoudre, une chose en une autre. Résoudre, rursus solvere, délier de nouveau ou de manière à réparer, marque un retour, une opération qui rétablit l'état antérieur ou naturel, ou bien simplement qui amène un second état.

En dissolvant, vous supprimez la liaison, la cohésion, rien de plus : l'eau dissout le sucre, l'eau régale, l'or; le roi dissout le parlement dans certains cas; aux yeux de l'Eglise, la mort seule peut dissoudre le mariage. « Les eaux-fortes dissolvent les métaux.» DESC. « L'eau a saisi toutes les matières qu'elle pouvait délayer et dissoudre. » BUFF. « Un chêne se dissout et tombe en un tas de cendre après que le feu l'a consumé. » J. J.

Mais en résolvant, vous faites passer d'un état à un autre simplement, ou à l'état primitif le feu résout le bois en cendre, en fumée.

L'air sur les fleurs en perles se résout. MoL. << La glace se résout en eau.» BUFF. « L'action du soleil enlève l'eau pour la résoudre ensuite en pluie. » VOLT. « La chimie n'a pu ramener les alcalis à l'acide, c'est-à-dire résoudre ce que la nature a combiné. » BUFF. « Aristote dit que la matière est le sujet dont une chose est composée, et en quoi elle se résout en dernier lieu. » FÉN. Quand on résout un bail, on brise les liens qui tenaient les deux parties attachées l'une à l'autre, et on les remet l'une et l'autre dans l'état primitif. Quand on résout un problème, on dénoue les liens qui retenaient une vérité, et on la met dans un nouvel état où elle peut librement se montrer, s'exposer aux yeux. De même, résoudre une chose ou une personne, se résoudre à quelque chose, c'est produire une nouvelle détermination, un nouvel état, en rompant les liens qui tenaient l'esprit indécis.

En médecine, dissoudre signifie l'action de faire cesser une obstruction, une concrétion, un engorgement, de séparer, de dissiper des humeurs rassemblées en un certain point de l'économie; et résoudre marque celle de ramener à l'état normal une partie du corps tuméfiée et qui a pris un volume inaccoutumé.

PREFIXES DIS ET DE.

Disjoindre, déjoindre. Discréditer, décréditer. DISJOINDRE, DÉJOINDRE. Séparer des choses qui étaient jointes, des planches par exemple.

Dis indique une séparation moins considérable, moins complète. D'après l'étymologie, il représente l'idée de dualité, d'une chose et d'une autre, de distinction, tandis que de rappelle une chute, et doit exprimer une séparation définitive et bien décidée. Entre les choses disjointes, il y a commencement d'écartement; on voit seulement qu'elles sont deux ou plusieurs : entre les choses déjointes, il y a écartement tel qu'elles ne tiennent plus l'une à l'autre. C'est pourquoi disjoindre se prend seul dans un sens figuré, affaibli, peu rigoureux. « Assembler ou disjoindre les termes, c'est en assurer un de l'autre, ou en nier un de l'autre, en disant, Dieu est éternel, l'homme n'est pas éternel.» Boss. « Par cette force qu'il a de réfléchir l'homme a assemblé les sensations d'une infinité d'images, il les a disjointes. » ID.

D

Deux choses disjointes forment encore un continu, font encore partie d'un même tout une même proposition contient des termes disjoints; les nuages de poussière qu'on voit voltiger en l'air vis-à-vis la fente d'une fenêtre exposée au soleil sont composés de parties disjointes (DESC.). Deux choses déjointes ne vont plus ensemble, cessent d'être réunies, de toute manière. « Quand on casse un os avec un marteau, les parties du corps frappées requièrent plus ou moins de temps pour se déjoindre. » DESC.

DISCRÉDITER, DÉCRÉDITER. Oter aux choses ou aux personnes leur crédit, la considération dont elles jouissent.

« Discréditer, faire tomber en discrédit; discrédit, diminution de crédit : décréditer, ôter le crédit, le faire perdre. » ACAD. Ainsi, discréditer,

c'est rendre le crédit difficile, et décréditer, c'est en priver. Pris dans le sens négatif, de enchérit donc sur dis.

Un auteur ne doit pas chercher à complaire à la piété de ses lecteurs jusqu'à dire des choses contraires au bon sens; « parce que, pour s'accréditer auprès de ceux qui ont plus de piété que de lumières, il se discrédite auprès de ceux qui ont plus de lumières que de piété. » MONTESQ. « Depuis que Rousseau eut écrit, l'opinion s'éloigna un peu de Montesquieu; et, en révérant toujours son nom, on s'efforça de discréditer sa politique.» LAH. On le voit par ces exemples, discréditer ne marque qu'un affaiblissement du crédit; décréditer en exprime plutôt la destruction. « Celui qui n'observerait pas les bienséances se décréditerait au point qu'il deviendrait incapable de faire aucun bien.» MONTESQ. « Décréditer un ennemi et supplanter un concurrent. » MASS. « Le libertin décrédite la sainteté et la rend odieuse.» BOURD.

Discréditer se dit particulièrement bien en parlant des marchandises et des effets du commerce, parce qu'on a souvent besoin d'indiquer que leur valeur est dépréciée, mais non pas réduite à néant.

On distinguerait de même difformer et déformer; mais l'un étant un terme spécial et l'autre appartenant au langage commun, cela seul suffit pour empêcher qu'on ne les confonde.

PRÉFIXE AB.

En latin ab, quelquefois a, est d'abord une préposition servant à marquer le point de départ; dans les composés où elle entre, elle modifie le sens général par l'idée accessoire d'éloignement.

PREFIXES AB ET DÉ.

Abrogation, dérogation.

ABROGATION, DÉROGATION. Ils expriment deux actions législatives opposées à l'autorité d'une loi, mais chacune à sa manière, suivant la valeur de leurs préfixes.

L'abrogation annule absolument la loi antérieure; la dérogation la laisse subsister, tout en la suspendant ou en la modifiant. La loi qui abroge est faite pour annuler l'ancienne, et l'anéantit dans tous ses points; la loi dérogeante ne porte atteinte à l'ancienne, ne la contrarie que dans quelques points où il y aurait incompatibilité entre elles deux. Cette différence s'explique et se justifie aisément.

Ab indique un rejet, un éloignement complet, absolu de la loi, et dé seulement un dommage, un déchet qu'on lui fait éprouver. C'est ainsi que dans les mots abdiquer, abjurer, abnégation, abolir, absoudre, la prépositive ab emporte le sens d'un acte qui s'achève d'un seul coup; tandis que de fait naître l'idée d'un dommage successif et partiel à chaque instant dans dépérir, déchoir, décliner, défaillir, décroître, détériorer, dégrader, dégénérer. En général, ab se trouve employé au commencement des mots qui désignent un mouvement brusque, violent, comme

abjicere, abstrahere, ablegare, etc.; dé, au con- | presque tous en allemand par des termes analotraire, est propre à signifier un mouvement doux, gues qui ont pour syllabe initiale la particule progressif, et par suite, non pas un anéantisse- miss, visiblement équivalente à mé: tels sont ment, une suppression, mais un simple retran- méprise et Missgriff, méfiance et Misstrauen, méchement qui altère l'intégrité de l'objet, et rien suser et missbrauchen, méconnaître et misskende plus. nen, mécontentement et Missvergnügen, mésalEt, pour en revenir à la dérogation, quelque-liance et Missheirath, mésintelligence et Missverfois elle consiste, non pas même à faire un léger changement à la loi, mais à ne point l'appliquer à l'égard d'une personne ou dans une circonstance particulière. « Je me déterminai à me faire protestant. Je désirai seulement de n'être pas obligé de paraître en consistoire. L'édit ecclésiastique cependant y était formel: on voulut bien y déroger en ma faveur. » J. J.

α

PRÉFIXES AB ET DIS.

Abstrait, distrait.

ABSTRAIT, DISTRAIT. Ces deux mots emportent dans leur signification l'idée d'un défaut d'attention.

ständniss, mésaventure et Missgeschick. Il y a pour rapporter son origine à l'ancienne langue vulgaire une autre raison: plusieurs mots en mé sont tombés ou tombent chaque jour en désuétude, comme mécroire, méfaire, mésoffrir, mévendre, mésaise, méchef.

Du reste, il importe assez peu de savoir à quel primitif l'étymologie peut en définitive faire remonter la prépositive miss, mes ou mé; l'essentiel est d'en connaître la signification, et pour cela, il suffit de comparer avec leurs simples les mots composés français ou allemands qui commencent par elle. Or, dans tous elle représente à peu près l'idée du latin male, mal. C'est ce qu'on pourrait conclure, à défaut d'autre preuve, de ce que plusieurs se trouvent avoir des synonymes de même radical, dont la syllabe initiale est mal, au lieu d'être mé: mécontent, malcontent; messéant, malséant; et, en allemand de même, missbrauchen, übelbrauchen; missdeuten, übeldeuten.

Abstrait, abstractus, tiré loin de; distrait, distractus, tiré de côté et d'autre, de divers côtés. L'esprit de l'abstrait est loin de ce que vous lui dites, de ce dont il s'agit; l'esprit du distrait est instable, dissipé, évaporé, incapable de s'appliquer à quoi que ce soit; il laisse vaguer ses pen-En s'ajoutant aux mots simples, mé leur fait signisées, suivant l'expression de Bossuet; il est à la merci de toutes les impressions. La cause des abstractions est plutôt intérieure, et celle de la distraction extérieure.

« Les personnes qui font de profondes études, et celles qui ont de grandes affaires ou de fortes passions, sont plus sujettes que les autres à avoir des abstractions; leurs idées ou leurs desseins les frappent si vivement, qu'ils leur sont toujours présents. Les distractions sont le partage ordinaire des jeunes gens; un rien les détourne et les amuse.» GIR.

fier des choses, des actions mauvaises, ou prises en mauvaise part, en sens contraire, ou tout autres qu'elles ne seraient, exprimées par le radical pur; elle est péjorative, perversive, vitupérative. Tel est son caractère général. On ne saurait le présenter sous une forme plus précise, sans lui faire perdre de sa justesse, ou sans anticiper sur les détails.

PREFIXES MÉ ET DÉ.

Mépriser, dépriser. Méfiance, défiance. Les abstractions touchent à la rêverie, et la MÉPRISER, DÉPRISER. N'avoir pas d'estime, curiosité produit la distraction. « Phédon est regarder ou traiter comme ayant peu de mérite. abstrait, rêveur, et il a, avec de l'esprit, l'air Le radical priser vient de prix,pretium, et signid'un stupide,» LABR. «L'esprit abstrait nous je- fie mettre un prix, assigner la valeur. Celui qui tant loin du sujet de la conversation, nous fait méprise attribue une valeur mauvaise; celui qui faire ou de mauvaises demandes ou de sottes ré-déprise retranche ou rabat de la valeur, déprécie. ponses. » ID. «Théocrine est abstrait, dédaigneux, et il semble toujours rire en lui-même de ceux qu'il croit ne le valoir pas. Le hasard fait que je lui lis mon ouvrage; il l'écoute. Est-il lu? Il me parle du sien. Et du vôtre, me direz-vous, qu'en pense-t-il? Je vous l'ai déjà dit, il me parle du sien. » ID.

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Dans le premier verbe se trouve l'expression d'un sentiment affirmatif, positif, qui fait considérer en mal et détester comme mauvais, comme vicieux, pernicieux ou funeste ce qui en est l'objet. Mais dépriser est simplement restrictif, atténuatif; son action ne va qu'à mettre la chose ou la personne audessous de sa valeur, à lui ôter plus ou moins de son prix réel ou d'opinion portée au plus haut point, elle n'est toujours que négative. On se mécompte en faisant un calcul faux, erroné; idée positive, quoiqu'en mauvaise part on décompte c'est-à-dire qu'on retranche d'un compte; idée restrictive ou partiellement négative. Il en est de même de médire à l'égard de dédire (se)'.

Cette particule initiale ne tire point son origine du latin, comme les précédentes, mais bien de 4. Roubaud essaya, mais en vain, de donner cours au mot désallier dans le sens affaibli de mésallier. l'ancien germanique ou du celtique. Ce qui le Désallier ferait équivoque, parce que dé est priprouve, c'est que le petit nombre de mots fran-vatif on pourrait croire qu'il signifie défaire l'alçais où elle se trouve, sans correspondants dans liance, désunir, détacher, faire tomber le lien qui les langues de l'antiquité savante, se traduisent enchaîne les époux l'un à l'autre, Mais on disait au

Ainsi, mépriser dit beaucoup plus que dépri- | sonnes relativement à ce qu'on se propose. Comme ser: mépriser, c'est non-seulement ne faire point le mépris, la méfiance exclut l'estime, elle est d'estime, ne pas se soucier, mais c'est estimer absolument improbative; au contraire, on peut mauvais, et par suite avoir en aversion; dépriser, encore faire cas de ce dont on se défie, comme de ce n'est pas même ne point estimer du tout, mais ce qu'on déprise, seulement on ne fait sur lui seulement estimer peu, faire peu de cas, mettre aucun fond. une chose au-dessous de ce qu'elle vaut. On déprise souvent les choses les plus estimables; on ne saurait les mépriser. Le mépris est un sentiment réel, positif, qui a des degrés dans l'âme, et qui se témoigne par la conduite comme par les paroles à l'action de dépriser ne correspond pas ainsi une disposition subjective; ce verbe marque un fait extérieur, libre, et quelquefois en contradiction avec ce qu'on éprouve ou ce qu'on pense. On méprise intérieurement, le mépris est un sentiment de l'âme; on déprise en paroles ou par ses discours, on tâche de dépriser (MARM.). On se déprise soi-même (Boss.) en parlant de soi avec modestie. L'homme d'honneur méprise tout ce qui sent la bassesse ou la lâcheté; l'envie s'efforce de dépriser les belles actions, ce qui ne prouve pas qu'elle les méprise. On s'attache d'ordinaire à dépriser les personnes pour faire accroire qu'on les méprise.

MÉFIANCE, DÉFIANCE. Disposition contraire à la confiance et en vertu de laquelle on craint d'être trompé et on se tient sur ses gardes.

On se méfie plutôt du caractère et de la probité, et la défiance tombe d'ordinaire sur toute autre qualité, l'esprit, les talents, ou même sur les choses. On écrivit à Alexandre de se méfier de son médecin, Philippe, qu'on soupçonnait de vouloir l'empoisonner (COND.); on lui aurait écrit simplement de s'en défier, si on avait eu l'idée seulement de lui inspirer des doutes sur son savoir et ses talents. Comme le mépris, la méfiance est un sentiment positif qui fait prendre en aversion et fuir l'objet; mais quand on se défie ou qu'on déprise, on n'en veut pas, on ne hait pas pour cela, et la preuve en est qu'on se défie de soimême. Se méfier de soi-même formerait un contre-sens.

Dans vos distractions, défiez-vous de voas. REGN. Prudes, vous vous devez défier de vos forces. Laf. En un mot, la méfiance dit plus que la désager l'objet sous de sombres couleurs; elle est fiance: c'est un sentiment positif qui fait envisubjective; elle tient au cœur; elle donne l'idée d'un retour sur soi-même, d'un éloignement. Le mot défiance est moins l'expression d'un sentiment que d'un fait, et il se rapporte davantage aux précautions qu'on prend. « Psyché, ayant entendu ce soupir, y répondit, bien qu'avec quelque sorte de défiance. » LAF.

Le premier de ces mots désigne une idée positivement mauvaise, et le second une idée négative; l'un, une fiance (PASc.) mauvaise, défavorable, qui fait considérer sous un mauvais jour, comme capable de mal, et l'autre, un manque de fiance. On croit en mauvaise part à la personne ou à la chose pour qui on éprouve de la méfiance, la défiance, et quant à sa cause et quant à son Ensuite, la méfiance est moins déterminée que on en a une mauvaise idée; on ne croit que peu objet. L'une est dans le caractère, c'est un instinct ou point à celle dont on se défie. Se méfier exprime comme l'antipathie; l'autre vient de la réflexion une affection positive, mais désavantageuse, dé- et de l'expérience comme l'aversion. On naît favorable; se défier contient une simple négation. méfiant; Tibère était naturellement méfiant La méfiance est essentiellement soupçonneuse (COND.). Pour être défiant, il suffit de penser, et inquiète; elle fait tout prendre en mauvaise d'observer et d'avoir vécu. « L'âge et l'expérience part; elle touche à la misanthropie. Un con- rendaient Cicéron plus défiant. » LAH. « L'âge m'a temporain de J. J. Rousseau lui reproche d'être rendu un peu défiant. » VOLT. On est (CORN.), on inquiet et méfiant comme un lâche criminel. entre ou on prend (PASc.) en défiance, et non en << Persuader le roi de l'empoisonnement du dau- méfiance. On dit bien une sage défiance : « J'avais phin, c'était lui faire mener la vie la plus dou-ure juste défiance de moi-même. » LABR. Mais loureuse, la plus méfiante, la plus remplie des plus fâcheux soupçons, les plus noirs et les plus inutiles. » S. S. Louis XI, Tibère et Denys de Syracuse ont été des princes méfiants (COND.). Mais la défiance n'est que réservée; elle fait qu'on se tient sur ses gardes; elle caractérise la prudence. On doute quelquefois par prudence et par défiance, par sagesse et par pénétration d'esprit.» MAL. « La réserve annonce de la défiance. » VOLT. << Est requise au souverain la défiance et se tenir

Couvert. CHARR.

On se méfie quand on soupçonne et qu'on craint quelque chose de mauvais; la défiance ne fait souvent qu'inspirer des doutes sur la suffisance, la capacité, la convenance des choses ou des pertrefois, et on devrait continuer à dire, desestimer dans le sens de mésestimer un peu. «Valerius dit que, sur sa vieillesse, il commença à désestimer les lettres.» MONTAIGN. Un galant homme en est plaint (d'être trahi par sa femme), non pas désestimé. » ID. |

on dit d'aveugles méfiances (J. J.), celles-ci n'étant jamais raisonnées et ne s'appuyant que sur de vagues présomptions. On se méfie d'une personne sous tous les rapports, et quand on craint de sa part quelque chose de mauvais, sans savoir précisément ni quoi ni pourquoi.

α

On se défie d'une personne dont l'expérience a
Que de tout inconnu le sage se méfie. LAF.
appris d'une manière plus ou moins directe qu'elle
peut tromper ou manquer relativement à un but
qui concerne la persévérance dans le bien); ce
particulier. « Je me défie un peu de vous (pour ce
n'est pas sans fondement. » FÉN.
remment pour opposer ce caractère de la méfiance,
C'est appa-
d'être vague et non éclairée, au caractère con-
traire de la défiance, que Fénelon a dit : « Il y
a quelque chose en nous qui arrête l'effet de la
grâce: nous n'avons qu'à bien chercher : l'endroit
dont nous nous méfions le moins est précisément
celui dont il faut se défier le plus. »

PRÉFIXES MÉ ET AB.
Mésuser, abuser.

MÉSUSER, ABUSER. Mal user. Mésuser, user en mauvaise part, d'une manière mauvaise, faire un mauvais usage; abuser, user de manière à s'éloigner brusquement, violemment, du bon usage ou des règles. En mésusant, on pèche contre la raison, contre la sagesse; on agit sans rime ni raison, à tort et à travers. En abusant, on s'écarte de ce qui est établi, on sort des bornes, on est excessif, déréglé, on viole des droits, on pèche contre la justice, contre la probité, contre la politesse ou les bienséances. Mésuser arrête l'esprit sur le sujet seul; abuser fait songer en même temps aux désordres qu'il commet, aux lois dont il s'écarte. « On mésuse de la chose qu'on emploie mal, on abuse de la chose qu'on emploie à faire du mal. » ROUB. On est blamable dans le premier cas, et punissable dans le second. Sans le pouvoir de mésuser et d'abuser, corrélatif à celui d'user, on ne concevrait ni la liberté morale, ni la liberté civile'.

justice. On dit, des pensées et des paroles déshonnêtes, c'est-à-dire essentiellement et de leur nature contraires à la pureté : c'est un défaut attribué à des choses qu'on considère en ellesmêmes, et sans rapport à la manière de se conduire.

Ce qui est malhonnête n'est possible que là où il y a lieu de se comporter bien ou mal à l'égard des autres hommes, c'est-à-dire en société : Robinson, dans son île, ne pouvait être malhonnête ni commettre d'actions malhonnêtes. Mais comme la déshonnêteté n'est pas une qualité de manière, de forme, de procédé, elle peut se produire dans toutes les positions, dans la solitude, comme au milieu du monde. Un livre déshonnête est tel parce qu'il réveille de lui-même des idées sales ou obscènes, et non parce qu'il est le produit d'une mauvaise façon d'agir, ou qu'il enseigne de mauvaises façons d'agir.

On dit bien un homme malhonnête, et non pas un homme déshonnête le premier adjectif regardant la manière d'agir se transporte sans peine à l'homme qui la pratique; mais la déshonnêteté est tellement inhérente aux choses mêmes qu'elle ne se dit que des choses mêmes. Suivant les stoïciens, il n'y aurait pas de mots déshonnêtes : dans la logique de Port-Royal se trouve la réfutation de cette doctrine, I partie, chap. xiv; le terme déshonnête y est souvent remplacé par ceux de honteux, infâme, impudent, effronté, contraire à l'honnêteté, à la modestie. Il est aussi presque synonyme de sale et d'obscène. Un lieu déshon

< Un ami indiscret mésusera du secret que vous lui confiez; un ami perfide en abusera contre vous-même. A proprement parler, on ne mésuse pas de l'autorité, on en abuse; car tout acte d'autorité, s'il n'est tutélaire et juste, est injuste et oppressif. ROUB. Au contraire, on mésuse plutôt qu'on n'abuse de ses richesses. Tartufe prétend accepter les biens d'Orgon, uniquement afin qu'ils ne tombent pas en de méchantes mains qui pourraient bien en faire un criminel usage. Cléantenête est un lieu de prostitution, lupanar (Boss.); lui répond:

Et songez qu'il vaut mieux encor qu'il (le légitime héritier) en mésuse,

Que si de l'en frustrer il faut qu'on vous accuse.

PRÉFIXE MAL.

Cette particule, originairement adverbe et d'ordinaire employée comme telle, sert à marquer dans les mots composés où elle entre la manière d'agir ou dont les choses sont faites, une manière mauvaise, vilaine, défectueuse, imparfaite.

PREFIXES MAL ET DE.

une femme de mauvaise vie mène une vie déshonnête (MOL.); des amours déshonnêtes (Boss., FÉN.) sont des débauches. D'autre part, c'est uniquement des procédés qu'on dit qu'ils sont malhonnêtes: il est malhonnête de retenir un dépôt (MONTESQ.), de se haïr pour des syllogismes (VOLT.); un joueur fripon profite de certaines observations malhonnêtes pour ruiner ses adversaires (BUFF.).

Au reste, déshonnête exprimant un défaut essentiel, et non un défaut relatif à la forme comme malhonnête, est plus propre à être employé d'une manière absolue et substantivement : « Se servir de sa raison pour discerner les nuances de l'hondéplai-nête et du déshonnête. » VOLT.

Malhonnête, déshonnête. Malplaisant,
sant. Mal placé, déplacé. Etc.
MALHONNÊTE, DÉSHONNÈTE. Contraire à
l'honnêteté.

Mais malhonnête signifie une opposition à l'honnêteté des manières, et déshonnête un manque d'honnêteté dans les mœurs. On dit, des actions, des manières, des procédés malhonnêtes, parce que ce sont choses qu'on peut considérer relativement à la façon dont on s'y conduit, et cette qualification les représente comme choquant les bienséances, les usages du monde, les lois de la politesse, et quelquefois de l'honneur et de la

4. Mme du Deffand écrit à Voltaire : « Envoyez-moi tout ce que vous faites, tout ce que vous avez fait que je ne connais pas, et tout ce que vous ferez; soyez sûr que je n'en mésuserai pas; ma société est fort circonscrite, et ce n'est qu'à elle que je fais part de vos lettres, et de ce qui me vient de vous. »

MALPLAISANT, DÉPLAISANT. Incapable de causer du plaisir.

Malplaisant, qui plaît mal; déplaisant, qui ne plaît pas, qui est privé de la qualité ou du don de plaire. Le premier dit donc moins que le second. Et comme le second exprime déjà une idée faible, celle du simple déplaisir, le premier tombe en désuétude. Lafontaine s'en sert quelquefois.

Notre vieillard flétri, chagrin et malplaisant. << Au lieu des vapeurs et de la toux, hôtesses si malplaisantes, elle a retenu la gaieté et les grâces. » De même Voltaire, dans le style badin:

Un bourbier noir, d'infecte profondeur, Y fait sentir très-malplaisante odeur. De même Scarron : Repris par les jésuites, « je ne voulus plus obéir à de si malplaisants maîtres. » Céléno, l'une des harpies, « la malplai

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