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On doit concevoir par-là que ce qui généralife la volonté eft moins le nombre des voix que l'intérêt commun qui les unit; car dans cette inftitution chacun fe foumet néceffairement aux conditions qu'il impofe aux autres: accord admirable de l'intérêt & de la juftice, qui donne aux délibérations communes un caractere d'équité qu'on voit évanouir dans la difcuffion de toute affaire particuliere, faute d'un intérêt commun qui uniffe & identifie la regle de juge avec celle de la partie.

Par quelque côté qu'on remonte au principe, on arrive toujours à la même conclufion; favoir, que le pacte focial établit entre les citoyens une telle égalité, qu'ils s'engagent tous fous les mêmes conditions, & doivent jouir tous des mêmes droits. Ainfi, par la nature du pacte, tout acte de fouveraineté, c'est-à-dire, tout acte authentique de la volonté générale oblige ou favorise également tous les Citoyens; en forte que le Souverain connoît feulement le Corps de la nation, & ne diftingue aucun de ceux qui la compofent. Qu'est-ce donc proprement qu'un

acte de fouveraineté ? Ce n'eft pas une convention du fupérieur avec l'inférieur, mais une convention du Corps avec chacun de fes membres: convention légitime, parce qu'elle a pour bafe le contrat focial; équitable, parce qu'elle eft commune à tous; utile, parce qu'elle ne peut avoir d'autre objet que le bien général ; & folide, parce qu'elle a pour garant la force publique & le pouvoir faprême. Tant que les fujets ne font foumis qu'à de telles conventions, ils n'obéiffent à perfonne, mais feulement à leur propre volonté; & demander jufqu'où s'étendent les droits refpectifs du Souverain & des Citoyens, c'eft demander jufqu'à quel point ceux-ci peuvent s'engager avec eux-mêmes, chacun envers tous & tous envers chacun d'eux.

On voit par-là que le pouvoir fouverain, tout abfolu, tout facré, tout inviolable qu'il eft, ne paffe ni ne peut paffer les bornes des conventions générales, & que tout homme peut difpofer pleinement de ce qui lui a été laiffé de fes biens & de fa liberté par fes conventions; de forte que le Souverain n'est ja◄

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mais en droit de charger un fujet plus qu'ure autre, parce qu'alors l'affaire devenant particuliere, fon pouvoir n'est plus compétent.

Ces diftinctions une fois admifes, il eft fi faux que dans le contrat focial il y ait de la part des particuliers aucune renonciation véritable, que leur fituation, par l'effet de ce contrat, fe trouve réellement préférable à ce qu'elle étoit auparavant, & qu'au lieu d'une aliénation ils n'ont fait qu'un échange avantageux d'une maniere d'être incertaine & précaire contre une autre meilleure & plus sûre, de l'indépendance naturelle contre la liberté, du pouvoir de nuire à autrui contre leur propre sûreté, & de leur force que d'autres pouvoient furmonter contre un droit que l'union fociale rend invincible. Leur vie même qu'ils ont dévouée à l'Etat en eft continuellement protégée; & lorfqu'ils l'expofent pour fa défense, que font-ils alors, que lui rendre ce qu'ils ont reçu de lui? Que font-ils qu'ils ne fiffent plus fréquemment & avec plus de danger dans l'état de nature, lorfque livrant des combats inévitables, ils défendroient, au péril de leur vie, ce qui

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