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la seconde sans date, et la troisième en date du 24 juin : dans la seconde on lit : « Les nouvelles de mes amis sont le seul bien » qui me touche; vous avez contribué à me le faire goûter; di>> tes-leur que la connaissance de leur courage, et de tout ce » qu'ils sont capables de faire pour la liberté, me tient lieu et me >> console de tout; dites-leur que mon estime, mon attache› ment et mes vœux les suivront partout. L'affiche de B.... m'a » fait grand plaisir, etc. ›

› D'après le contenu desdites lettres, on ne peut douter que ladite femme Roland ne fût un des principaux agens et complices de la conspiration.

» Ce considéré, l'accusateur public a dressé la présente accusation contre Marie-Jeanne Phelippon, femme Roland, cidevant ministre de l'intérieur, pour avoir, méchamment et à dessein, participé à la conspiration qui a existé contre l'unité et l'indivisibilité de la République, contre la liberté et la sûreté du peuple français, en réunissant chez elle, en conciliabules, les principaux chefs de cette conspiration, et entretenant avec eux des correspondances tendantes à faciliter leurs projets liberticides.

» Pourquoi l'accusateur public requiert qu'il lui soit donné acte, etc., etc.

» Pendant le cours des débats, il a été entendu plusieurs témoins, lesquels ont déposé avoir vu à la table de l'accusée, Brissot et consorts, ridiculiser les opinions des membres les plus éclairés de la Montagne ; qu'elle entretenait sur le pavé de Paris des affidés, qui rendaient compte à Roland de ce qui se passait dans les groupes et autres lieux; qu'elle entretenait des correspondances et intelligences avec les principaux chefs des conjurés dont elle était l'ame.

› L'accusateur public a donné successivement lecture de plusieurs lettres écrites par l'accusée à Duperret, et de Barbaroux à Duperret, lesquelles pièces annonçaient formellement le projet d'appeler sur Paris une force départementale, et transférer ensuite le siége de la Convention à Bourges.

› L'accusée a dit, pour sa défense, qu'elle n'avait jamais entretenu de correspondances avec Buzot, Pétion, Gorsas; qu'elle avait à la vérité écrit à Duperret, le 26 juin dernier; qu'au reste elle avait toujours estimé Brissot et ses dignes amis, parce qu'elle connaissait en eux des talens et de la bonne foi; elle a de plus fait lecture d'un aperçu sommaire de sa conduite politique depuis le commencement de la Révolution : comme cet écrit respirait le fédéralisme d'un bout à l'autre, le président en a interrompu la lecture, en observant à l'accusée qu'elle ne pouvait abuser de la parole pour faire l'éloge du crime, c'est-àdire, de Brissot et consorts.

› L'accusée s'est emportée en invectives contre les membres du tribunal; se tournant vers l'auditoire, elle a dit : Je vous demande acte de la violence que l'on me fait, à quoi le peuple a répondu Vive la République, à bas les traîtres!

» Voici le jugement rendu contre elle :

› Le tribunal, d'après la déclaration unanime du jury, portant: 1° qu'il est constant qu'il a existé une conspiration horrible contre l'unité et l'indivisibilité de la République, la liberté et la sûreté du peuple français;

» 2o Que Marie-Jeanne Phelippon, femme de Jean-Marie Roland, est convaincue d'être l'un des auteurs ou complices de cette conspiration:

» Faisant droit sur le réquisitoire de l'accusateur public condamne ladite Phelippon à la peine de mort, conformément à la loi du 16 décembre 1792, dont il a été donné lecture; déclare ses biens acquis et confisqués au profit de la République ; ordonne que le présent jugement sera exécuté, dans les vingtquatre heures, sur la place de la Révolution, imprimé et affiché dans toute l'étendue de la république.

» Après le prononcé, l'accusée a remercié le tribunal du jugement qu'il venait de rendre contre elle.

» L'exécution a eu lieu le lendemain vers trois heures de relevée. Le long de la route elle s'entretenait et semblait plaisanter

avec Lamarche, son camarade de voyage, qui paraissait beaucoup plus défait qu'elle. »

Voici le passage que Riouffe a consacré à madame Roland dans ses Mémoires d'un Détenu :

Le sang des vingt-trois fumait encore lorsque la citoyenne Roland arriva (à la Conciergerie); bien éclairée sur le sort qui l'attendait, sa fermeté n'en était point altérée; sans être dans la fleur de l'âge, elle était encore pleine d'agrémens; elle était grande et d'une taille élégante. Sa physionomie était très-spirituelle; mais ses malheurs et une longue détention avaient laissé sur son visage des traces de mélancolie qui tempéraient sa vivacité naturelle. Elle avait l'ame d'une républicaine dans un corps pétri de graces, et façonné par une certaine politesse de cour. Quelque chose de plus que ce qui se trouve ordinairement dans les yeux des femmes se peignait dans ses grands yeux noirs, pleins d'expression et de douceur ; elle parlait souvent à la grille avec la liberté et le courage d'un grand homme. Ce langage républicain, sortant de la bouche d'une jolie femme française dont on préparait l'échafaud, était un des miracles de la révolution auquel on n'était pas accoutumé. Nous étions très-attentifs autour d'elle dans une espèce d'admiration et de stupeur. Sa conversation était sérieuse sans être froide; elle s'exprimait avec une pureté, un nombre et une prosodie qui faisaient de son langage une espèce de musique dont l'oreille n'était jamais rassasiée: elle ne parlait jamais des députés qui venaient de périr qu'avec respect, mais sans pitié efféminée, et leur reprochant même de n'avoir pas pris des mesures assez fortes. Elle les désignait le plus ordinairement sous le nom de nos amis; elle faisait souvent appeler Clavières pour s'entretenir avec lui. Quelquefois aussi son sexe reprenait le dessus, et on voyait qu'elle avait pleuré au souvenir de sa fille et de son époux. Ce mélange d'amollissement naturel et de force la rendait plus intéressante. La femme qui la servait me dit un jour : « Devant vous elle rassemble toutes ses forces, mais dans la chambre elle reste quelquefois trois heures appuyée sur sa fenêtre à pleurer, Le

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jour où elle monta à l'interrogatoire, nous la vîmes passer avec son assurance ordinaire ; quand elle revint ses yeux étaient humides; on l'avait traitée avec une telle dureté, jusqu'à lui faire des questions outrageantes pour son honneur, qu'elle n'avait pu retenir ses larmes, tout en exprimant son indignation. Elle resta huit jours à la Conciergerie, et.sa douceur l'avait déjà rendue chère à tout ce qu'il y avait de prisonniers, qui la pleurèrent sin-` cèrement.

Le jour où elle fut condamnée, elle s'était habillée en blanc et avec soin; ses longs cheveux noirs tombaient épars jusqu'à sa ceinture; elle eût attendri les coeurs les plus féroces; mais ces monstres en avaient-ils un? D'ailleurs elle n'y prétendait pas; elle avait choisi cet habit comme symbole de la pureté de son ame. Après sa condamnation, elle repassa dans le guichet avec une vitesse qui tenait de la joie. Elle indiqua par un signe démonstratif qu'elle était condamnée à mort. Associée à un homme que le même sort attendait, mais dont le courage n'égalait pas le sien, elle parvint à lui en donner, avec une gaîté si douce et si vraie, qu'elle fit naître le rire sur ses lèvres à plusieurs reprises. Parvenue sur la place de l'exécution, elle s'inclina devant la statue de là Liberté, et prononça ces paroles mémorables: O liberté ! que de crimes on commet en ton nom! » (Histoire des prisons, t. I, p. 216 et suivantes.)

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M. Thiers abrège Riouffe tout en en conservant les traits principaux. Il termine son récit de la même manière. Toulongeon ne mentionne pas l'apostrophe de madame Roland à la Liberté; il lui prête ces dernières paroles, adressées à son compagnon Lamarche, ex-directeur-général de la fabrication des assignats, condamné à mort pour s'être porté en armés aux Tuileries le 9 août 1792: Passez le premier; vous n'auriez pas le courage de me voir mourir. »

Les Mémoires de madame Roland parurent un peu après ceux de Riouffe (avril 1794). Neuf mois s'étaient écoulés depuis la réaction thermidorienne, et chacun avait eu le temps de préparer les œuvres posthumes des siens. Celles de madame Roland

furent éditées par un de ses amis. Nous lisons dans le Moniteur, numéro du 27 avril (8 floréal) 1795, un article de Trouvé qui commence ainsi : « Nous avons annoncé, il y a quelques jours, un ouvrage intitulé: Appel à l'impartiale postérité, par la citoyenne Roland, femme du ministre de l'intérieur. L'éditeur, le citoyen Bose, annonce, dans un avertissement, que ce recueil formera quatre parties, et que c'est la seule propriété d'Eudora, fille de Roland, fille unique et chérie, dont la figure touchante possède déjà toutes les graces de sa mère, et dont le cœur en promet toutes les vertus. »

L'authenticité fort douteuse de cette première partie n'a d'autre fondement que la mention faite par le Bulletin du tribunal révolutionnaire, d'un mémoire justificatif dont madame Roland entreprit la lecture devant ses juges. Il est possible que ce manuscrit ait été conservé, et c'est sur cette possibilité fort précaire que repose en ce cas toute la créance que l'on devrait à l'éditeur. Quant aux trois autres parties, les deux dernières surtout, où madame Roland raconte son enfance, sa puberté, etc., elles sont plus que suspectes d'être apocryphes; ce livre est trop bien calculé pour les goûts connus de la société thermidorienne, ou, si l'on veut, écrit par quelqu'un trop naïvement inspiré par les sentimens de cette société, pour que l'on en puisse douter un instant. Tous les ouvrages de la même époque présentent une telle uniformité, qu'on les croirait sortis de la même plume. Le cachet qui les distingue, et qui était, en effet, la condition de la vogue au sein d'une dépravation aussi effrénée que celle dont le directoire donna l'exemple, c'est l'obscénité. Les hommes qui prennent la plume pour réhabiliter ou pour venger les victimes de la terreur, cherchent presque toujours à rendre leurs héros intéressans, en les montrant avides de plaisirs et de jouissances, et enclins à tous les vices aimables; et comment ne pas exécrer les hommes féroces qui, sous le chimérique et vain prétexte du salut public, ont troublé, ou torturé, ou brisé des existences vouées au bonheur et à la volupté? Les Mémoires de madame Roland sont un livre de cette espèce; ils sont un mauvais livre dans toute la

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