Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]
[ocr errors]

considérable de la classe dont l'Allemand était encore la seule langue. A cause de cela, malgré les plaintes de la municipalité, et malgré l'urgence, les représentans du peuple qui avaient pré cédé Saint-Just et Lebas n'avaient pas osé arracher Schneider à ses fonctions. Lorsque les patriotes se décidèrent à demander sa destitution, au lieu de s'adresser directement aux commissaires extraordinaires, ils allèrent trouver d'abord les représentans J.-B. Lacoste et Baudot, afin de tenter par ce préliminaire l'issue d'une démarche définitive. Ceux-ci partagèrent leur opinion sur Schneider, mais ils ne voulurent pas se charger de parler de cette affaire à Saint-Just et à Lebas, et ils leur conseillèrent d'attendre. Un Jacobin dont quelques lettres ont été imprimées dans les papiers de Robespierre, Gatteau, employé aux subsistances près l'armée du Rhin, était présent à cette entrevue. Il garda le silence, mais il se rendit sur-le-champ auprès de SaintJust et Lebas pour les informer de ce qui se passait. Schneider, alors en expédition dans le département, était attendu à Stras bourg dans la journée. Les commissaires extraordinaires donnèrent immédiatement des ordres pour qu'il fût saisi à son retour, attaché pendant une heure à l'un des poteaux de la guillotine, et envoyé le lendemain à Paris. Ces ordres furent exécutés. Quelques jours après on renouvela le tribunal révolutionnaire, qui cette fois ne fut composé que d'honnêtes gens. Il ne condamnait guère qu'à des amendes, et le plus souvent il acquitta. Il n'y eut qu'une seule exposition, Le cas le plus grave sur lequel le nouveau tribunal eut à prononcer fut une correspondance entretenue par Brulebaut, fils du directeur des postes, avec une émigrée. Les juges ne virent en cela qu'une correspondance amoureuse, et ils renvoyèrent le prévenu absous.

L'une des mesures les plus graves prises par Lebas et SaintJust fut l'arrestation et l'envoi à Paris des administrateurs du département du Bas-Rhin. D'après certains rapports qu'on leur avait faits, la plupart des membres du département étaient en correspondance avec les émigrés, et conspiraient pour livrer la ville à Wurmser. Plusieurs lettres venant de l'armée ennemie,

[ocr errors]

et où plusieurs administrateurs, entre autres Edelmann, étaient fortement compromis, furent saisies aux avant-postes. Ce sont là toutes les preuves de la trahison machinée à Strasbourg, laquelle cependant est demeurée un fait à peu près avéré, parce qu'elle n'a jamais été ni expliquée, ni contredite autrement que par des négations.

Voici les éclaircissemens que M. Monet nous a fournis à ce sujet. Édelmann était un musicien-compositeur, chaud patriote, mais d'un esprit chagrin et d'une humeur difficile. Il était rarement content des hommes et des choses. A l'époque de la constitution civile du clergé, il exprima hautement le vœu que les ministres protestans fussent soumis à l'élection aussi bien que les prêtres catholiques. Cette motion fit du bruit en Alsace, et les pasteurs de ce pays la combattirent vivement. Celui de Gries se fit remarquer dans cette querelle; il devint l'ennemi juré d'Édelmann. Il ne tarda pas à se venger, ce qui arriva de la manière suivante. Ayant pris un emploi d'espion dans l'armée, ce ministre, fortement soupçonné d'espionner en même temps pour le compte des deux rives du Rhin, répandit dans nos avant-postes des lettres fabriquées par lui, et arrangées de façon à ce que l'on ne pût douter qu'elles ne vinssent des quartiers autrichiens. D'après ces lettres, il était manifeste que l'étranger avait pratiqué des intelligences parmi les administrateurs de Strasbourg; on y parlait d'Édelmann comme du chef de cette intrigue. Ces lettres furent envoyées à Milhau et à Soubrany, alors seuls dé putés en mission dans le département. Ils mandèrent aussitôt le maire de Strasbourg et Édelmann, et ils entrèrent en explication en accusant ce dernier de trahir. Édelmann qui était bègue, et dont la surprise acheva de nouer la langue, ne put répondre que par des exclamations. Alors le maire qui le connaissait pour un très-honnête homme prit sa défense, demanda les motifs de l'accusation, et lorsque les lettres furent produites, la fraude fut démontrée; les représentans se contentèrent de faire remarquer à Edelmann, dont le défaut était de soupçonner tout le monde, combien il était dangereux de juger sur les apparences. L'affaire en resta là.

[ocr errors]

On profita de l'arrivée de Saint-Just et de L'ebas pour renouveler les mêmes manoeuvres. Au nom seul de trahison, dans des circonstances surtout où celle de Toulon et celle qu'on avait tentée à Rochefort invitaient à une extrême prudence, les commissaires extraordinaires se déterminèrent brusquement. Ils transmirent au maire l'ordre de faire arrêter à l'heure même tous les administrateurs, et de les mettre en route pour Paris le lendemain à sept heures du matin. Leur arrêté fut apporté à la Commune fort avant dans la soirée. Cette mesure parut trèsfâcheuse au conseil municipal. Dix jours plus tôt elle aurait été bonne, car elle aurait frappé un corps dont les membres étaient en général, sinon des traîtres, au moins de mauvais patriotes. Maintenant que le directoire avait été renouvelé et qu'il ne comptait guère que de bons citoyens, leur arrestation en masse était une énigme vraiment inexplicable; néanmoins la municipalité s'empressa d'obéir. C'était la loi qu'elle s'était faite dès les premiers arrêtés de Saint-Just et Lebas; elle exécutait d'abord leurs décisions, puis elle allait faire ses observations, s'il y avait lieu. Cette fois le maire, suivi de quelques conseillers municipaux, se rendit auprès des deux représentans pour leur annoncer que tout était prêt, et que les prisonniers pourraient partir à quatre heures du matin. Ensuite il discuta la mesure; mais comme il en ignorait les motifs, parcé que Saint-Just et Lebas gardèrent là-dessus ún silence absolu, il se contenta de leur répéter les réflexions qui avaient été faites en conseil. Saint-Just était couché ; il se tourna vers le maire et lui répondit : « Vous pouvez avoir raison sur quelques individus; mais il existe un grand danger, et nous ne savons où frapper. Eh hien! un aveugle qui cherche une épingle dans un tas de poussière, saisit le tas de poussière. Toutefois, sur les instances réitérées de M. Monet, douze administrateurs, sur quarante, furent rendus à la liberté ; l'arrêté fut exécuté à l'égard des autres. Si le maire eût pu se douter que des lettres saisies aux avant-postes étaient la cause de cette mesure, il est très-probable qu'il en eût obtenu le rapport; mais il n'en fut instruit que plus tard.

[ocr errors]
[ocr errors]

M. Lebas fils nous a confié une collection à peu près complète des arrêtés pris par son père et par Saint-Just pendant leur mission à Strasbourg. Nous tenons de la même source la correspondance inédite de Lebas avec son père et avec sa femme. Ce conventionnel n'est guère connu que par l'acte de dévouemert qu'il fit le 9 thermidor, et qui suffirait sans doute à immortaliser sa mémoire. Mais l'homme qui déposa alors sa vie pour les principes jacobins, et dont le sacrifice fut si pur et si complet, mérite qu'on soulève le voile de modestie dont il enveloppa sa carrière politique. Il est bon que l'on sache d'ailleurs quelle était sa probité, et quel droit il avait à flétrir les thermidoriens par ces paroles célèbres : « Je ne veux point partager l'opprobre de ce décret! je demande aussi l'arrestation. › Lebas n'avait jamais parlé dans la Convention; ce cri d'une conscience indignée est la seule phrase qu'il y ait fait entende. Ce n'est pas qu'il n'eût pu occuper avec distinction la tribune nationale et se faire une réputation d'orateur, car il avait obtenu de brillans succès dans le barreau d'Arras, et il y avait été porté en triomphe à la suite d'une plaidoirie politique, à laquelle il dut en partie d'être envoyé à la Convention. Lui-même explique dans sa correspondance pourquoi il avait préféré servir sa patrie dans les travaux obscurs des comités, et dans ceux plus pénibles encore des missions près des armées, aux gloires parlementaires. Comme nous nous proposons de faire une notice sur Lebas à l'époque de sa mort, et d'imprimér les manuscrits que son fils nous a communiqués, nous n'anticiperons pas. Indépendamment de ses lettres, sa famille conserve encore plusieurs feuilles arrachées par lui dans le registre de la Commune d'Arras, où étaient recueillies les dénonciations. Par cet acte, il sauva la vie à plusieurs prêtres insermentés; il n'y a guère, en effet, que des noms de prêtres sur les feuilles arrachées; nous les possédons et nous en ferons usage plus tard. Ce sont là les seules reliques qui furent rendues à la veuve du conventionnel Lebas par la commission qui s'empara des papiers de son mari. Membre du comité de sûreté gé nérale, Lebas avait chez lui des dossiers du plus haut intérêt

T. XXXI.

[ocr errors]

*、 》

entre autres toute la correspondance où étaient établies les concussions de Danton et de Lacroix en Belgique. Ces documens ont été retenus par Courtois, et sans doute anéantis; malheureusement ils ne sont pas les seuls que les thermidoriens aient voles à l'histoire.

Voici la collection des arrêtés de Saint-Just et Lebas, qui nous a été confiée par M. Lebas fils.

Arrétés des représentans du peuple Saint-Just et Lebas, envoyés près l'armée du Rhin.

Les représentans du peuple, envoyés près l'armée du Rhin, après s'être assurés du civisme des citoyens Prost, procureur, syndic du district d'Haguenau; Vilvot, capitaine surnuméraire du sixième bataillon du Bas-Rhin; les ont adjoints aux membres composans le comité de surveillance de Strasbourg.

» A Strasbourg, 7 du deuxième mois de l'an 2.

>> SAINT-JUST. LEBAS.>

[ocr errors]

Les représentans, etc., informés qu'il s'est introduit des étrangers et des personnes suspectes dans Strasbourg, arrêtent ce qui suit: Le comité de surveillance de Strasbourg est autorisé à requérir le nombre d'hommes armés nécessaire, pour faire faire cette nuit des visites domiciliaires dans toute la ville de Strasbourg; il se concertéra avec le commandant de la place, et prendra toutes les mesures nécessaires pour arrêter les personnes suspectes, sans troubler la tranquillité publique.

» A Strasbourg, le 9 du deuxième mois de l'àn 2.

> SAINT-JUST. LEBAS.>

• Depuis plusieurs jours, citoyens, nous vous avons recommandé de rechercher et de faire arrêter les gens suspects dans le district de Strasbourg. Nous savons que dans cette seule ville il en existe des milliers, et cependant vous êtes encore à nous fournir le premier nom de cette liste des ennemis de la République. Il devient plus instant de jour en jour de les arrêter.

nous

« PreviousContinue »