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générale, serait chargée exclusivement de l'examen et du jugement des motifs d'arrestation des citoyens incarcérés par les comités de surveillance. Le rapporteur traça les caractères auxquels l'on avait dû et l'on devait encore reconnaître les gens suspects. Nous allons rapprocher ce morceau des catégories dressées par Chaumette et adoptées par le conseil-général de la Commune dans sa séance du 10 octobre. Selon Chaumette, et selon le conseil-général, étaient suspects:

« 1° Ceux qui, dans les assemblées du peuple, arrêtent son énergie par des discours astucieux, des cris turbulens et des

menaces;

2o Ceux qui, plus prudens, parlent mystérieusement des malheurs de la République, s'apitoient sur le sort du peuple, et sont toujours prêts à répandre de mauvaises nouvelles avec une douleur affectée;

3o Ceux qui ont changé de conduite et de langage selon les événemens; qui, muets sur les crimes des royalistes, des fédéralistes, déclament avec emphase contre les fautes légères des patriotes, et affectent, pour paraître républicains, une austérité, une sévérité étudiées, et qui cèdent aussitôt qu'il s'agit d'un modéré ou d'un aristocrate;

4o Ceux qui plaignent les fermiers et marchands avides contre lesquels la loi est obligée de prendre des mesures;

> 5° Ceux qui ayant toujours les mots de liberté, République et patrie sur les lèvres, fréquentent les ci-devant nobles, les prêtres contre-révolutionnaires, les aristocrates, les feuillans, les modérés, et s'intéressent à leur sort;

> 6° Ceux qui n'ont pris aucune part active dans tout ce qui intéresse la révolution, et qui pour s'en disculper font valoir le paiement des contributions, leurs dons patriotiques, leur service dans la garde nationale par remplacement ou autrement, etc.

7° Ceux qui ont reçu avec indifférence la constitution républicaine, et ont fait part de fausses craintes sur son établissement et sa durée ;

› 8° Ceux qui, n'ayant rien fait contre la liberté, n'ont aussi rien fait pour elle;

» 9o Ceux qui ne fréquentent pas leurs sections, et qui donnent pour excuse qu'ils ne savent pas parler ou que leurs affaires les en empêchent ;

› 10° Ceux qui parlent avec mépris des autorités constituées, des signes de la loi, des sociétés populaires et des défenseurs de la liberté ;

> 11' Ceux qui ont signé des pétitions contre-révolutionnaires, ou fréquenté des sociétés ou clubs anti-civiques;

› 12o Les partisans de La Fayette et les assassins qui se sont transportés au Champ-de-Mars. »

Barrère s'exprima ainsi sur le même sujet.

« Une institution terrible, mais nécessaire, une institution qui a sauvé la France, malgré quelques abus (Quelle institution en a jamais été exempte?) a été disséminée dans toutes les sections, dans toutes les communes.

La loi qui fait arrêter les personnes suspectes a été et a dû être portée. L'aristocratie a frémi en voyant perdre ses soutiens et incarcérer ses émissaires. L'œil perçant et scrutateur de la liberté jalouse s'est reposé sur chaque citoyen, a pénétré dans chaque famille, a percé chaque domicile.

› L'opinion publique, qui se compose de faits de tout genre passés à diverses époques de la révolution; l'opinion a désigné la majeure partie des suspects; la loi a dû les frapper.

› La naissance, des préjugés orgueilleux, des habitudes aristocratiques ont désigné les uns.

> Des professions inutiles, dangereuses, ou accoutumées à des gains illicites, à des manipulations criminelles de capitaux étrangers, ont dû faire arrêter les autres.

› Les spéculateurs barbares sur les subsistances du peuple, les avilisseurs de la monnaie républicaine, les marchands, par leur sordide intérêt, étrangers à leurs concitoyens, ont dû former une autre classe de personnes suspectes.

Les parens des émigrés, les fauteurs de leur fuite, les com

plices naturels de leur haine contre la patrie, sont dans une hypothèse aussi suspecte.

Les prêtres insermentés qui croient tout perdu, parce que leur métier est devenu inutile; les anciens magistrats ou robins, qui ne croient pas à une République stable dans laquelle il n'y a ni parlemens ni bailliages; les hommes de loi, qui ne voient dans les codes que les bénéfices de la chicane, et dans la justice que le droit de ruiner les familles avec des feuilles noircies de sophismes et d'injures, devaient peupler les maisons d'arrêt.

› Ainsi je dirai avec plus de raison et de politique que les écrivains périodiques, qui, sans le savoir et sans le vouloir peut-être, ravivent les contre-révolutionnaires, et réchauffent les cendres de l'aristocratie; je dirai: Noble, suspect; prêtre, homme de cour, homme de lei, suspects; banquier, étranger, agioteur connu, citoyen déguisé d'état et de forme extérieure, suspects; homme plaintif de tout ce qui se fait en révolution, suspect; homme affligé de nos succès à Maubeuge, à Dunkerque et dans la Vendée, suspect. Oh! la belle loi que celle qui eût déclaré suspects tous ceux qui, à la nouvelle de la prise de Toulon, n'ont pas senti battre leur cœur pour la patrie, et n'ont pas eu une joie prononcée! Que n'a-t-on pu pénétrer ce jour-là dans les sallons dorés, dans ce que la vanité appelle des hôtels, dans les clubs aristocratiques, dans les cafes inciviques, dans les groupes salariés, dans les confidences des complices du despotisme! c'est là que les comités de surveillance eussent frappé sans erreur, et incarcéré sans remords. »

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Barrère dit ensuite que de telles arrestations n'eussent pas mo ́tivé une nouvelle traduction de Tacite, et il désigne ainsi clairement le troisième numéro du Vieux Cordelier, journal auquel il fait seulement allusion dans le passage que nous venons de transcrire. Le projet de décret qu'il présentait était un moyen d'écarter celui qui avait été adopté le 20 décembre (30 frimaire) sar la proposition de Robespierre, En prenant dans le comité de salut public et dans celui de sûreté générale, la commission chargée de juger les motifs d'arrestation à l'égard des citoyens in

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carcérés, on tombait dans des inconvéniens tellement évidens que la mesure ne pouvait être défendue. D'abord le nombre des membres dont les deux comités étaient composés se trouvait à peine suffisant pour remplir les attributions actuelles: comment ajouter une nouvelle fonction, et espérer qu'on y vaquerait? N'était-ce pas, en outre, donner à ce comité de révision une importance disproportionnée, que de le placer au centre même du gouvernement? Ne témoignerait-on pas par-là que l'intérêt de la France et celui des citoyens suspects seraient désormais sur la même ligne ? Vouloir d'ailleurs que les mêmes hommes chargés d'exercer le pouvoir révolutionnaire fussent appelés à mettre en question les résultats de la police révolutionnaire, c'était séparer le gouvernement de cette administration; c'était placer sur le terrain de là discussion tous les pointe de contact entre le principe d'action et son instrumentalité. Il n'y avait donc autre chose à faire pour prouver que l'on n'attentait pas sans quelque sollicitude à la liberté des individus, que de faire vérifier par une commission d'enquête les dossiers d'après lesquels les comités révolutionnaires décernaient leurs mandats. Or, c'était là la proposition de Robespierre. Il combattit le projet de Barrère, et demanda qu'on s'en tînt au premier décret. Barrère insista en disant que les mesures qu'il venait de soumettre étaient le vœu des deux comités réunis. Alors Billaud-Varennes prit la parole:

Billaud-Varennes. Si dans ce décret il y a des inconvéniens, ils viennent du premier qui a été rendu. Si la Convention eût conservé son énergie et sa fermeté, elle aurait passé à l'ordre du jour sur les réclamations des contre-révolutionnaires qu'on vous présenta à la barre. Il est certain que le comité de sûreté générale ne peut répondre à toutes les sollicitations de l'aristocratie, qui ne mérite que notre animadversion. Je demande donc le rapport du premier décret. ›

A

Goupilleau. La matière que nous discutons est assez impor tante, je demande l'ajournement de la discussion.

Billaud-Varennes. Ce serait abuser la France entière que de

maintenir un décret inexécutable; j'insiste sur le rapport du premier décret..

La Convention rapporta son premier décret, et passa à l'ordre du jour sur le second. Billaud-Varennes, que nous trouvons ici en opposition contre Robespierre, donnait par cette démarche un gage aux hébertistes. Il suivait Collot-d'Herbois comme nous le lui verrons suivre en thermidor; ou pour mieux dire il manifestait le caractère qu'il avait montré dans les journées de septembre, cette dureté froide et sans pitié pour personne, cet égoïsme bilieux et implacable qui marqua jusqu'au bout de sa carrière les actes de ce conventionnel, toutes les fois que les circonstances le firent sortir de la taciturnité qui lui était habituelle. Il est cependant une explication de la conduite politique qu'il a tenue que nous ne devons pas omettre. On l'accuse d'avoir été du nombre de ceux qui poussaient à la contre-révolution par les excès révolutionnaires. On nous a communiqué à cet égard une note provenant de la diplomatie étrangère. Nous avons toute confiance dans la personne qui nous a fourni ce renseignement; elle le doit elle-même à feu M. Gravenreuth, président de la régence d'Augsbourg, sous l'Empire. Nous transcrivons cette note, sans commentaires.

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Billaud-Varennes trahissait. Ses lettres passaient par Venise et Toulon pour aller en Espagne avec laquelle il s'entendait. A la prise de Toulon on saisit, sur des officiers espagnols chargés de porter ses messages, une correspondance non signée, contenant des renseignemens qu'un membre du comité pouvait seul fournir. Elle fut remise à Robespierre, qui se rendit au milieu de ses collègues et leur dit qu'il se doutait bien qu'il y avait un traître parmi eux, etc., qu'il en avait des preuves. Là-dessus il les leur montra. Alors Billaud, pour détourner le coup qui le menaçait, s'écria qu'il n'y avait que Hérault de Séchelles capable d'une pareille conduite. Cela donna lieu au procès de ce dernier, dont l'issue est connue. »

Le 28 décembre ( 8 nivôse ), la Convention reçut une adresse de la Société populaire d'Amiens, entièrement livrée à l'in

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