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reur par des motions exagérées, que des gens affidés proposaient dans les sections, et par des affiches rédigées par des libellistes contre-révolutionnaires.

» On était enfin parvenu à persuader à une foule d'hommes faibles que leurs ennemis étaient dans la Commune de Paris, dans le corps électoral, dans les sections, en un mot, dans tous les républicains de Paris. Voilà le système qui est encore suivi actuellement. »

(Fabre-d'Églantine se lève et descend de sa place. — Robespierre invite la société à prier Fabre de rester à la séance. — Fabre monte à la tribune et veut parler.)

Robespierre. « Si Fabre-d'Églantine a son thème tout prêt, le mien n'est pas encore fini. Je le prie d'attendre.

› Il y a deux complots, dont l'un a pour objet d'effrayer la Convention, et l'autre d'inquiéter le peuple. Les conspirateurs qui sont attachés à ces trames odieuses semblent se combattre mutuellement, et cependant ils concourent à défendre la cause des tyrans. C'est la seule source de nos malheurs passés : ce serait celle de nos malheurs à venir, si le peuple entier ne se ralliait autour de la Convention, et n'imposait silence aux intrigans de toute espèce.

> › Si les tyrans paraissent si opiniâtres à la dissolution de la Convention actuelle, c'est parce qu'ils savent parfaitement qu'ils seraient alors les maîtres de créer une Convention scélérate et traîtresse, qui leur vendrait le bonheur et la liberté du peuple. A cet effet, ils croient que le plus sûr moyen de réussir est de détacher peu à peu beaucoup de patriotes de la Montagne, de tromper et d'égarer le peuple par la bouche des imposteurs.

› Notre devoir, amis de la vérité, est de faire voir au peuple le jeu de toutes les intrigues, et de lui montrer au doigt les fourbes qui veulent l'égarer.

› Je finis en rappelant aux membres de la Convention ici présens, et au peuple français, les conjurations que je viens de dénoncer. Je déclare aux vrais montagnards que la victoire est dans leurs mains, qu'il n'y a plus que quelques serpens à écra

ser. (On applaudit; on s'écrie de toutes les parties de la salle : Ils le seront.)

»Ne nous occupons d'aucun individu, mais seulement de la patrie. J'invite la société à ne s'attacher qu'à la conjuration, sans discuter plus long-temps les numéros de Camille-Desmoulins, et je demande que cet homme, qu'on ne voit jamais qu'une lorgnette à la main, et qui sait și bien exposer des intrigues au théâtre, veuille bien s'expliquer ici; nous verrons comment il sortira de celle-ci. Quand je l'ai vu descendre de sa place, je ne savais s'il prenait le chemin de la porte ou de la tribune, et c'est pour s'expliquer que je l'ai prié de rester. »

Fabre-d'Églantine. « Tout ce que j'ai pu retenir du discours de Robespierre, c'est qu'il existe un parti divisé en deux branches, les ultra et le citra-révolutionnaires.

» Je suis prêt à répondre à tout quand il voudra préciser les accusations; mais n'étant accusé d'aucuns faits particuliers, je garderai le silence, jusqu'à ce que je sache sur quoi je dois m'expliquer.

> Je suis accusé d'avoir influencé Camille, et d'avoir coopéré à ses numéros. J'adjure ici Desmoulins de dire si jamais je lui ai suggéré aucune idée. J'ai eu si peu de part aux ouvrages de Camille, qu'un jour étant allé dans l'atelier où on imprimait le Vieux Cordelier, Desmoulins a grondé un ouvrier, parce qu'il m'avait laissé jeter les yeux sur des feuilles volantes.

» Quant à Philippeaux et à Bourdon de l'Oise, je ne les connais que pour les avoir vus en public; jamais je ne les ai fréquentés particulièrement. »

« Un citoyen se permet de crier contre Fabre-d'Églantine: A la guillotine.

› Robespierre demande que ce citoyen soit chassé à l'instant même de la société, ce qui a été exécuté.

» Fabre continue de parler quelques momens encore; mais les membres, peu satisfaits de ses réponses, se retirent peu à peu.La séance est levée à onze heures et demie. (Moniteur.)

-Quoique la société des Jacobins n'ait pas jugé devoir entendre

la lecture du cinquième numéro de Camille-Desmoulins, comme il y a tracé l'apologie de sa conduite, nous le transcrirons en entier (1):

LE VIEUX CORDELIER,

VIVRE LIBRE OU MOURIR !

N. V. Quintidi nivose, fre décade, l'an II de la république, une et indivisible, Grand discours justificatif de Camille Desmoulins aux Jacobins.

<< Patriotes, vous n'y entendez rien. Eh! mon Dieu, laissez-moi dire; on n'en rabattra que trop.>> (Mot de Marat.)

» Frères et amis, saint Louis n'était pas prophète, lorsqu'il se prenait d'une belle passion pour les Jacobins et les Cordeliers, deux ordres que l'histoire nous apprend qu'il chérissait d'une tendresse de père. Le bon sire ne prévoyait pas qu'ils donneraient leur nom à deux ordres bien différens, qui détrôneraient sa race, et seraient les fondateurs de la République française, une et indivisible. Après cet exorde insinuant et cet éloge qui n'est pas flatteur, et auquel vous avez tous part, j'espère qu'il me sera permis, dans le cours de cet écrit apologétique, de vous adresser quelques vérités qui seront moins agréables à certains membres.

» Le vaisseau de la République vogue, comme j'ai dit, entre deux écueils, le modérantisme et l'exagération. J'ai commencé mon journal par une profession de foi politique qui aurait dû désarmer la calomnie: j'ai dit avec Danton qu'outrer la révo

(1) Le Vieux Cordelier eut en tout sept numéros. M. Mathon ainé, possesseur des mauuscrits de Camille Desmoulins, en a publié une édition en 1834; il s'y trouve des notes et des lettres intéressantes, ainsi qu'un fragment d'un huitième numéro. Nous imprimerons quelques-unes de ces pièces lors du procès de Camille Desmoulins. Quant au Vieux Cordelier, nous nous bornerons à reproduire les trois numéros (3, 4, 5,) quifurent reproches à l'auteur. Cet ouvrage étant très-facile à acquérir, nous n'avons pas cru devoir lui donner une place qu'occuperont plus utilement des pièces plus rares et plus historiques.

(Note des auteurs.)

lution avait moins de péril et valait mieux encore que de rester en deçà; que, dans la route que tenait le vaisseau, il fallait encore plutôt s'approcher du rocher de l'exagération que du banc de sable du modérantisme. Mais voyant que le Père Duchesne, et presque toutes les sentinelles patriotes se tenaient sur le tillac, avec leur lunette, occupés uniquement à crier : Gare! vous touchez au modérantisme ! il a bien fallu que moi, vieux Cordelier et doyen des Jacobins, je me chargeasse de la faction difficile, et dont aucun des jeunes gens ne voulait, crainte de se dépopulariser, celle de crier : Gare! vous allez toucher à l'exagération! et voilà l'obligation que doivent m'avoir mes collègues de la Convention, celle d'avoir sacrifié ma popularité même pour sauver le navire où ma cargaison n'était pas plus forte que la leur.

Pardon, frères et amis, si j'ose prendre encore le titre de Vieux Cordelier, après l'arrêté du club qui me défend de me parer de ce nom. Mais, en vérité, c'est une insolence si inouïe que celle de petit-fils se révoltant contre leur grand-père et lui défendant de porter son nom, que je veux plaider cette cause contre ces fils ingrats. Je veux savoir à qui le nom doit rester, ou au grand-papa, ou à des enfans qu'on lui a faits, dont il n'a jamais ni reconnu, ni même connu la dixième partie, et qui prétendent le chasser du paternel logis. O dieux hospitaliers ! je quitterai le nom de vieux Cordelier quand nos pères profès du district et du club me le défendront; quant à vous, messieurs les novices, qui me rayez sans m'entendre:

Sifflez-moi librement; je vous le rends, mes frères.

» Lorsque Robespierre a dit : Quelle différence y a-t-il entre Le Pelletier et moi, que la mort? il y avait de sa part bien de la modestie. Je ne suis pas Robespierre; mais la mort, en défigurant les traits de l'homme, n'embellit pas son ombre à mes yeux, et ne rehausse pas l'éclat de son patriotisme à ce point de me faire croire que je n'ai pas mieux servi la République, même étant rayé des Cordeliers, que Le Pelletier dans le Panthéon :

et puisque je suis réduit à parler de moi, non-seulement pour donner du poids à mes opinions politiques, mais même pour me défendre, bientôt j'aurai mis le dénoncé et les dénonciateurs chacun à leur véritable place, malgré les grandes colères du Père Duchesne, qui prétend, dit Danton, que sa pipe ressemble à la trompette de Jéricho, et que, lorsqu'il a fumé trois fois autour d'une réputation, elle doit tomber d'elle-même.

» Il me sera facile de prouver que j'ai dû crier aux pilotes du vaisseau de l'état : Prenez garde! nous allons toucher à l'exagération. Déjà Robespierre et même Billaud-Varennes avaient reconnu ce danger. Il restait au journaliste à préparer l'opinion, à bien montrer l'écueil : c'est ce que j'ai fait dans les quatre premiers numéros.

» Ce n'est pas sur une ligne détachée qu'il fallait me juger. Il y a vingt phrases dans l'Évangile, dit Rousseau, tout en appelant son auteur sublime et divin, sur lesquelles M. le lieutenant de police l'aurait fait pendre, en les prenant isolément et détachées de ce qui précède et de ce qui suit. Ce n'est pas même sur un numéro, mais sur l'ensemble de mes numéros, qu'il faudrait me juger.

Je lis dans la feuille du Salut-Public, à l'article de la séance des Jacobins, primidi nivose : « Camille-Desmoulins, dit Nico>> las, frise depuis long-temps la guillotine; et, pour vous en › donner une preuve, il ne faut que vous raconter les démarches » qu'il a faites au comité révolutionnaire de ma section, pour » sauver un mauvais citoyen que nous avions arrêté par ordre du ⚫ comité de sûreté générale, comme prévenu de correspondance » intime avec des conspirateurs, et pour avoir donné asile chez » lui au traître Nantouillet (1). »

» Vous allez juger, frères et amis, quel était ce scélérat que j'ai voulu sauver. Le citoyen Vaillant était accusé, de quoi? vous ne le devineriez jamais : d'avoir donné à dîner dans sa campagne,

(1) Ce fait, et tous ceux dont Camille Desmoulins s'occupe dans le courant de ce numéro, sont rapportés à leur date, dans notre histoire de la période que nous avons fixée entre le fer novembre 1793 et le 7 mai 1794. (Note des auteurs.)

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