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Sans doute, la maxime des Républiques est: qu'il vaut mieux ne par punir plusieurs coupables que de frapper un seul innocent. Mais n'est-il pas vrai que, dans un temps de Révolution, cette maxime pleine de raison et d'humanité sert à encourager les traîtres à la patrie, parce que la clarté des preuyes qu'exige la loi favorable à l'innocence fait que le coupable rusé se dérobe au supplice? Tel est l'encouragement qu'un peuple libre donne contre lui-même. C'est une maladie des républiques, qui vient, comme on voit, de la bonté du tempérament. La maxime aucontraire du despotisme est : qu'il vaux mieux que plusieurs innocens périssent que si un seul coupable échappait. C'est cette maxime, dit Gordon sur Tacite, qui est la force et la sûreté des rois.

» Le comité de salut public l'a bien senti; et il a cru que pour établir la République il avait besoin un moment de la jurisprudence des despotes. Il a pensé, avec Machiavel, que dans les cas de convulsion politique le plus grand bien effaçait le mal plus petit; il a donc voilé pendant quelque temps la statue de la Liberté. Mais confondra-t-on ce voile de gaze et transparent avec la doublure des Cloots, des Coupé, des Montaut, et ce drap mortuaire sous lequel on ne pouvait reconnaître les principes au cercueil? Confondra-t-on la constitution, fille de la Montagne, avec les superfétations de Pitt; les erreurs du patriotisme, avec les crimes du parti de l'étranger; le réquisitoire du procureur de la Commune sur les eertificats de civisme, sur la fermeture des églises, et sa définition des gens suspects, avec les décrets tutélaires de la Convention, qui ont maintenu la liberté du culte et les principes?

»Je n'ai point prétendu faire d'application à personne dans ce numéro. Ce ne serait pas ma faute si M. Vincent, le Pitt de Georges Bouchotte, jugeait à propos de s'y reconnaître à certains traits; mon cher et brave collègue Philippeaux n'a pas pris tant de détours pour lui adresser des vérités bien plus dures. C'est à ceux qui, en lisant ces vives peintures de la tyrannie, y trouveraient quelque malheureuse ressemblance avec leur conduite, à

s'empresser de la corriger; car on ne se persuadera jamais que le portrait d'un tyran, tracé de la main du plus grand peintre de l'antiquité, et par l'historien des philosophes, puisse être devenu le portrait d'après nature de Caton et de Brutus, et que ce que Tacite appelait le despotisme et le pire des gouvernemens, il y a douze siècles, puisse s'appeler aujourd'hui la liberté et le meilleur des mondes possibles. »

-Le Moniteur inous apprend que cette lecture fut écoutée dans le plus grand silence. On proposa de lire le cinquième numéro. Robespierre. Il est inutile de lire le cinquième numéro du Vieux Cordelier; l'opinion doit être déjà fixée sur Camille. Vous voyez dans ses ouvrages les principes les plus révolutionnaires à côté des maximes du plus pernicieux modérantisme. Ici il rehausse le courage du patriotisme, là il alimente l'espoir de l'aristocratie. Desmoulins tient tantôt un langage qu'on applaudirait à la tribune des Jacobins ; une phrase commence par une hérésie politique ; à l'aide de sa màssue redoutable il porte le coup le plus terrible à nos ennemis; à l'aide du sarcasme le plus piquant, il déchire les meilleurs patriotes. Desmoulins est un composé bizarre de vérités et de mensonges, de politique et d'absurdités, de vues saines et de projets chimériques et particuliers.

› D'après tout cela, que les Jacobins chassent ou conservent Desmoulins, peu importe, ce n'est qu'un individu; mais ce qui importe davantage, c'est que la liberté triomphe et que la vérité soit reconnue. Dans toute cette discussion, il a beaucoup été question d'individus, et pas assez de la chose publique. Je n'épouse ici la querelle de personne, Camille et Hébert ont également des torts à mes yeux. Hébert s'occupe trop de lui-même, il veut que tout le monde ait les yeux sur lui, il ne pense pas assez à l'intérêt national.

› Ge n'est donc pas Camille-Desmoulins qu'il importe de discuter, mais la chose publique, la Convention elle-même, qui est en butte aux intrigues du parti de l'étranger qui cause tous les maux dont nous sommes victimes; qui dicte la plus grande

partie des erreurs, des exagérations dont nous sommes environnés.

Ce sont ces petits ambitieux qui, pour avoir occupé une place dans l'ancien régime, se croient faits pour régler les destinées d'un puissant empire; ce sont eux qu'il faut surveiller, puisque leurs passions nous sont devenues si funestes.

› Citoyens, vous seriez bien aveugles si, dans tout ce conflit, et les opinions qui se heurtent avec tant de violence, vous ne voyiez que la querelle de quelques particuliers et des haines privées. L'œil observateur d'un patriote éclairé, soulève cette enveloppe légère, écarte tous les moyens, et considère la chose sous son véritable point de vue. Il existe une nouvelle faction qui s'est ralliée sous les bannières déchirées du brissotisme. Quelques meneurs adroits font mouvoir la machine, et se tiennent cachés dans les coulisses. Au fond, c'est la même faction que celle de la Gironde, seulement les acteurs sont changés; mais ce sont toujours les mêmes acteurs avec un masque différent. La même scène, la même action théâtrale subsistent toujours. Pitt et Cobourg, désolés de voir les trônes s'écrouler, et la cause de la raison triompher, n'ont plus d'autres moyens que de dissoudre la Convention nationale. Aussi tous les efforts des factieux sontils dirigés vers ce seul et unique but. Mais deux espèces de factions sont dirigées par le parti étranger.

› Voici comme ils raisonnent. Tous moyens sont bons, pourvu que nous parvenions à nos fins; ainsi pour mieux tromper le public et la surveillance du patriotisme, ils s'entendent comme des brigands dans une forêt. Ceux qui sont d'un génie ardent et d'un caractère exagéré, proposent des mesures ultra-révolutionnaires; ceux qui sont d'un esprit plus doux et plus modéré, proposent des moyens citra-révolutionnaires. Ils se combattent entre eux; mais que l'un ou l'autre parti soit victorieux, peu leur importe; comme l'un ou l'autre système doit également perdre la République, ils obtiennent un résultat également certain, la dissolution de la Convention nationale.

» On n'ose pas encore heurter de front le pouvoir des repré

sentans du peuple réunis ; mais on fait de fausses attaques; on tâte, pour ainsi dire, son ennemi.

» On a une certaine phalange de contre-révolutionnaires masqués, qui viennent, à certains temps, exiger de la Convention audelà de ce que le salut public commande.

› On a des hypocrites et des scélérats à gages; on propose aujourd'hui un décret impolitique; et le soir même, dans certains cafés, dans certains groupes, on crie contre la Convention, on veut établir un nouveau parti girondin; on dit que la Montagne né vaut pas mieux que le Marais. On ne dira pas au peuple : Portons-nous contre la Convention; mais, portons-nous contre la faction qui est dans la Convention, sur les fripons qui s'y sont introduits.

› Les étrangers seront de cet avis; les patriotes seront égor gés, et l'autorité restera aux fripons. Les deux partis ont un certain nombre de meneurs, et, sous leurs bannières, se rangent des citoyens de bonne foi, suivant la diversité de leur caractère.

» Un meneur étranger, qui se dit raisonnable, s'entretient avec des patriotes de la Montagne, et leur dit : Vous voyez que l'on enferme des patriotes (or c'est lui qui a contribué à les fairé arrêter); vous voyez bien que la Convention va trop loin, et qu'au lieu de déployer l'énergie nationale contre les tyrans, elle la détourne sur les prêtres et sur les dévots. Et ce même étranger est un de ceux qui ont tourné contre les dévots la foudre destinée aux tyrans.

› On sait que des représentans du peuple ont trouvé dans les départemens des envoyés du comité de salut public, du conseil exécutif, et que ces mêmes envoyés ont semblé, par leur imprųdence, manquer de respect au caractère de représentant.

› L'étranger ou le factieux dit aux patriotes: Vous voyez bien que la représentation nationale est méprisée; vous voyez que les envoyés du pouvoir exécutif (car on n'a pas osé encore mettre le comité de salut public en scène), vous voyez que les envoyés du conseil exécutif sont les ennemis de la représentation :

donc le conseil exécutif est le foyer de la contre-révolution : donc tel secrétaire de Bouchotte est le chef du parti contre-révolutionnaire.

» Vous voyez que le foyer de la contre-révolution est dans les bureaux de la guerre ; il est nécessaire de l'assiéger. (On ne veut pas dire: Allez assiéger le comité de salut public.)

>> Je sens que ces vérités sont dures: Il est certaines gens qui ne s'attendaient pas si tôt à les entendre, mais la conjuration est mûre, et je crois qu'il est temps de prononcer.

» Vous apercevez d'un seul coup d'oeil tout le système de conspiration qui se développe; vous distinguez les étrangers cherchant, par le moyen de certains fripons, à ressusciter le girondinisme.

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› Peu leur importe que ce soit Brissot ou un autre qui en soit le chef. Les fautes apparentes des patriotes sont converties en torts réels; les torts réels sont transformés en un système de contre-révolution. Les fripons cherchent à faire croire que la liberté n'a plus d'autres ennemis que ceux que les agents étrangers ont désignés comme tels, afin de trouver un moyen de s'en défaire. On se permet de proposer à la Convention des mesures qui tendent à étouffer l'énergie nationale ; et d'un autre côté on excite des inquiétudes, on dit que la Convention n'est pas à sa véritable hauteur. Il en est qui vont jusqu'à dire confidentiellement qu'il faut la changer. Dans le même moment, on fait à la Convention des propositions modérées, auxquelles les patriotes ne peuvent répondre, à cause des occupations qui les obligent de s'absenter; alors on fait colporter dans les groupes des motions dangereuses et des calomnies. (Robespierre fait ici allusion à la séance de la Convention du 7 janvier.)

» Je vous l'ai déjà dit, les moyens ne sont que changés, afin qu'il soit plus difficile de les reconnaître. C'est une trentaine de scélérats qui ont corrompu le côté droit, en s'emparant dans les départemens de l'opinion de ceux que le peuple appelait à la Convention; on avait eu soin de leur représenter Paris comme un fantôme épouvantable; chaque jour on augmentait leur ter

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