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» Avez-vous eu souvent des relations avec les Lameth, nave et Mirabeau?

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» R. Celle de se voir comme étant mes collègues à l'assemblée nationale.

» Mais ils étaient, comme vous, membres du fameux club de 1789?

› R. J'ai déjà répondu à cette question, lorsque j'ai paru comme témoin dans le procès de la ci-devant reine.

» N'étiez-vous pas dans l'intention, lors du prétendu voyage de Saint-Cloud, de concert avec La Fayette, de déployer le drapeau rouge pour faire passer le char du tyran sur les corps des meilleurs patriotes, et favoriser sa fuite, dont ce prétendu voyage n'était que le prétexte?

» R. Non, je voulais seulement détruire le bruit qui courait dans toute l'Europe que la sanction que le roi donnait aux décrets émanés de l'assemblée nationale était forcée, parce qu'il n'était pas libre; tout le monde sait que toutes les cours étrangères, à cette époque, regardaient le ci-devant roi comme prisonnier, ainsi que sa famille, au château des Tuileries; et je pensai, moi, qu'il était de la gloire du peuple que ce bruit fût détruit; voilà quels ont été mes motifs.

» On entend un autre témoin.

» Louis-Marie Lullier, procureur-général syndic du département, dépose, que le jour d'exécrable mémoire, il dînait dans la ci-devant rue de Bourbon; on lui vint dire qu'il arrivait une colonne du peuple qui précédait le drapeau rouge; étant descendu, il vit passer la municipalité; il remarqua l'accusé, qui avait un air calme et tranquille, comme s'il avait été à une fête; lui déposant courut sur le champ aux Jacobins, raconter ce qu'il venait de voir; ceux-ci l'envoyèrent, avec un autre citoyen, en députation pour observer quels seraient les résultats de cet appareil militaire déployé contre des citoyens paisibles et sans armes: arrivé près de la Pompe à Feu, ils trouvèrent un citoyen qui les avertit de ne pas aller plus loin; effectivement, à peine eurent-ils fait quelques pas, qu'ils virent venir la force armée

qui poursuivait de toutes parts les citoyens; ils entrèrent dans un marais à peine y étaient-ils, qu'ils virent venir des cavaliers tirant des coups de pistolet ; le vieux citoyen qui les avait avertis étant tombé dans un fossé, ils s'empressèrent d'abord de lui donner tous les soins possibles; mais forcés bientôt de pourvoir à leur propre sûreté, ils furent forcés de l'abandonner et de se retirer plus loin; ils virent passer sur des civières plusieurs citoyens tues, entre autres un jeune homme de dix-sept ans; que lui déposant, ayant vu revenir une colonne de gardes nationaux, il s'approcha et longea avec elle jusqu'auprès du pont appelé alors de Louis XVI; il entendit une partie de cette force armée tenir des propos qui prouvaient qu'ils étaient des esclaves vendus, et que le massacre qui venait d'être exécuté était le résultat d'un complot qui avait été médité.

› Le président à l'accusé. Avez-vous quelques observations à faire sur la déposition du témoin?

R. Je dirai que je n'avais pas ce jour-là cet air calme dont parle le citoyen qui vient d'être entendu; j'étais au contraire très-agité.

Le témoin. J'observe que l'accusé avait un air radieux, l'air d'un homme qui triomphe du peuple.

› Un juré. Il paraît, selon ce que dit l'accusé, que ce jour-là le maire de Paris n'était qu'un être de représentation.

› Le président. Pourquoi, dans le rapport que vous fîtes le lendemain à l'assemblée nationale, vous êtes-vous servi du mot factieux?

› L'accusé. On s'est servi des mêmes termes que l'assemblée avait employés.

› Un autre témoin est entendu.

› Jacques Collin déclare n'avoir aucune connaissance des faits portés en l'acte d'accusation, sinon qu'il a été chargé d'apporter le drapeau rouge trouvé dans la maison commune, avec son étui; drapeau dont est question au procès.

› L'accusateur public. Huissiers, représentez ce drapeau à l'accusé, et demandez-lui s'il le reconnaît.

Représentation faite dudit drapeau.

» L'accusé. Je crois le reconnaître, autant que je peux m'en rappeler, pour avoir été fait par les ordres du conseil général.

› L'accusateur public. Vous étiez donc un être nul dans le conseil, tout s'y faisait sans que vous en ayez connaissance? quel était l'usage auquel on destinait ce drapeau?

> R. Je crois que l'usage que l'on voulait en faire était, en cas d'événemens dans quelque endroit de Paris, d'y envoyer un officier municipal avec ce petit drapeau qu'il aurait mis dans sa poche, et qu'il aurait ensuite déployé à son arrivée, pour dissiper les attroupemens.

» Lorsque La Fayette fit semblant de donner sa démission, ce qui n'était qu'une comédie concertée entre lui et vous, quelle conduite avez-vous tenue?

› R. Je pensais alors comme beaucoup de citoyens de Paris, sur le compte du commandant-général, lorsque je le vis donner sa démission ; je croyais utile au peuple qu'il restât à son poste, et je fis tout ce qui dépendait de moi pour l'engager à y rester. › On continue l'audition des témoins.

Pierre-André Coffinhal, juge du tribunal révolutionnaire, dépose des faits antérieurs à l'affaire du massacre du 17, dans lesquels il reproche à l'accusé des abus de pouvoir, et d'avoir été constamment le complice de La Fayette et de la ci-devant cour, notamment lors des malheureuses affaires de La Chapelle; de Vincennes, du prétendu voyage de Saint-Cloud, etc., etc. Quelques jours avant le massacre, il fut averti par un citoyen, dont il ne se rappelle pas le nom en ce moment, qu'il devait y avoir du grabuge pour le 17, et qu'il fallait surveiller Bailly. Le 17 au matin, s'étant rendu à la Commune, il y vit beaucoup d'agitation dans les esprits, un grand nombre de membres du conseil chuchotaient entre eux et se parlaient bas; il sortit, et y retourna l'après-midi. La fermentation y était à son comble; il entendit une foule d'hommes à face sinistre crier, dans les couloirs, que ceux qui étaient au Champs-de-Mars étaient des

brigands, des scélérats. Etant parvenu près de la salle des séan

'il entendit que l'on discutait sur les pétitionnaires du Champ de la Fédération. Les opinions étaient partagées ; les uns voulaient, et c'étaient les bons citoyens, que l'on attendît le retour des commissaires qui y avaient été envoyés, avant de rien statuer; d'autres, ceux du parti de la cour, voulaient qu'on y marchât sur le champ avec le drapeau rouge et la force armée; ils motivaient leurs opinions en disant: Entendez-vous le vœu du peuple (parlant de ceux qui étaient dans les couloirs), qui vous demande justice des scélérats qui sont rassemblés au Champ-deMars, de ces brigands qui veulent allumer la guerre civile dans Paris, et y exciter la contre-révolution, et piller ensuite les propriétés (et ceux des couloirs de crier : C'est vrai, c'est vrai!)? puis un autre orateur, reprenant la parole, dire avec véhémence : Il vous accompagnera ce peuple, et ne souffrira pas impunément qu'on lui ravisse le plus précieux des biens, la liberté; si vous craignez qu'il y ait du danger, eh bien! ce bon peuple le partagera avec vous (et ceux des couloirs de répondre en chorus: Oui, oui )!

› Le déposant étant descendu sur la place de la Maison-Commune, après s'être promené dans les rangs de la force armée pendant environ trois minutes, il vit descendre une foule immense, dans laquelle il reconnut un grand nombre d'individus qu'il savait attachés à l'état-major de l'armée parisienne, et servir La Fayette en qualité d'espions, se répandant tous les jours dans les groupes pour y semer du trouble, et ensuite arrêter ceux qui disaient du mal de leurs dignes chefs ou de l'accusé. Il vit aussi descendre la municipalité, et de suite faire les dispositions nécessaires pour publier la loi martiale; il part pour le Champ de la Fédération, afin d'avertir les patriotes de ce qui se passait; ceux-ci ne peuvent croire un pareil trait de perfidie; ils représentent à lui déposant qu'ils sont rassemblés au terme de la loi, qu'ils ont fait la déclaration la veille à la municipalité; il retourne sur ses pas, et voit arriver les mêmes hommes qu'il avait vus et entendus dans les couloirs et sur la place de la Mai

son-Commune; il les vit se placer sur les glacis dominant le côté par où est arrivée la force armée et la municipalité, au milieu des citoyens qui y étaient; peu de minutes après, arriva la force armée, qui précédait la force civile; sitôt que la première fut parvenue près des glacis, on jeta sur elle des pierres; elle y répondit par une décharge en l'air qui ne blessa personne, et doubla le pas pour arriver à l'autel de la Patrie; plusieurs décharges se firent entendre successivement; en peu de minutes il vit passer une foule immense de citoyens et citoyennes, lesquels annonçaient que l'on massacrait les citoyens qui étaient sur l'autel de la Patrie. L'épouvante glaça les cœurs, qui fut encore augmentée lorsque l'on vit passer d'autres citoyens blessés qui s'arrachaient les cheveux de douleur d'avoir vu tomber à côté leurs parens, leurs amis ; mais ce fut bien pis, lorsqu'un instant après on vit venir, à course de chevaux, la cavalerie poursuivant les citoyens qui fuyaient, et les hachant à coups de sabre; lui déposant sc cacha, avec un autre citoyen, dans un marais, derrière un puits; là, il vit tuer près de lui plusieurs femmes, et eut le bonheur de ne pas être vu (attendu qu'il était déjà pour ainsi dire nuit); voyant que la force armée s'en retournait, il prit le parti de revenir en ville avec elle; s'étant placé près des rangs, il entendit les coupe-jarrets dire: « La Fayette est tué, mais nous ferons tomber autant de têtes qu'il avait de cheveux. De retour dans sa section, il entendit dire aux uns: Moi, j'en ai tué deux; d'autres et moi trois; et aujourd'hui, observe le déposant, ils ne veulent avoir tué personne. Il ajoute que s'étant transporté, dans la nuit, entre minuit et une heure, au Champ de la Fédération, avec le capitaine Ferrat, de sa section, ils ont compté 54 morts; et il est à remarquer que tous ceux qui avaient été tués du côté de la rivière avaient disparu.

Le président à l'accusé. Qu'avez-vous à répondre sur la déposition du témoin?

» R. J'ai à dire que c'est à tort que le témoin dépose que j'étais le complice de La Fayette; je n'ai jamais eu d'autres liaisons avec lui que celles nécessitées par la correspondance que le

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