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nent amoureux de leurs productions infor ou languiffantes, & ils ne les retouchent p car qui dit amoureux, dit aveugle fur les déf de ce qu'il aime. Auffi aucun tyran de la G n'entendit-il jamais autant de flaterie qu Poëte médiocre s'en dit à lui-même, quan encenfe les prétendues divinités qui vienn de naître fous fa plume. C'est des mauvais P tes principalement qu'il faut entendre ce que Ciceron. (a) In hoc enim genere nefcio quo p magis quàm in aliis fuum cuique pulcherrimum Adhuc neminem cognovi Poëtam qui fibi non optin videretur. Mais un bon Poëte n'eft pas fi fac à fe contenter de ce qu'il a mis fur le papier. n'eft pas encore fatisfait de fes vers, quand font déja affez bons pour plaire aux autres, peine qu'il ne fçauroit s'empêcher de prend pour les perfectionner à fon gré, l'impatiente fo vent contre lui-même.

(b) Tufcul. lib. 5.

&

SECTION X.

Du tems où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils font capables.

LE tems où les génies parviennent au mérite dont ils font capables, eft différent. En premier lieu, les génies nés pour ces profeffions qui demandent beaucoup d'expérience & de la maturité d'efprit, font formés plus tard que ceux qui font nés pour ces profeffions, où l'on réuffit avec un peu de prudence & beaucoup d'imagination. Par exemple, un grand Ministre, un grand Général, un grand Magiftrat, ne deviennent ce qu'ils font capables d'être, que dans un âge plus avancé que l'âge où les Peintres & les Poëtes atteignent le dégré d'excellence où leur étoile leur permet d'atteindre. Les premiers ne fçauroient être formés fans des connoiffances & fans des lumieres qu'on n'acquiert que par l'expérience, & même par fa propre expérience. L'étendue de l'efprit, la fubtilité de l'imagination, l'application même ne fçauroient y fuppléer. Enfin ces profeffions demandent un jugement mûr, & furtout de la fermeté fans

opiniâtreté. On naît bien avec une difpofitio ces qualités; mais on ne naît point avec ces c lités toutes formécs. On ne peut même les av acquifes de fi bonne heure.

Comme l'imagination a plutôt acquis fes ces, que le jugement ne peut avoir acquis fiennes, les Peintres, les Poëtes, les M ciens, & ceux dont le talent confifte princi lement dans l'invention, ne font pas fi lo tems à fe former. Je crois donc que l'âge trente ans eft l'âge, où communément parla les Peintres & les Poëtes fe trouvent être par nus au plus haut dégré du Parnaffe, où leur gé leur permette de monter. Ils deviennent b plus corrects dans la fuite, ils deviennent b plus fages dans leurs productions; mais ils deviennent pas ni plus fertiles, ni plus pat tiques, ni plus fublimes.

Comme les génies font plus tardifs les que les autres (c'eft ce que j'avois à dire en cond lieu), comme leurs progrès peuvent ê retardés par tous les obftacles dont on vient parler, nous n'avons pas prétendu marquer l'a de trente ans, comme une année fatale, ava laquelle & après laquelle on ne dût rien att dre. Il peut fe trouver cinq ou fix années

différence, dans l'âge auquel deux grands Peintres, ou deux grands Poëtes, feront parvenus à leur perfection. L'un y peut être arrivé à vingt-huit ans, & l'autre à trente-trois. Racine fut formé dès vingt-huit ans. La Fontaine étoit bien plus âgé quand il fit les premiers de fes excellens ouvrages. Le genre de poëfie auquel s'applique un Artifan, paroît même retarder encore cette année heureufe. Moliere avoit quarante ans, lorfqu'il fit les premieres de fes Comédies, dignes d'être comptées au nombre des piéces qui lui ont acquis fa réputation. Mais il ne fuffifoit pas à Moliere d'être grand Poëte pour être capable de les composer : il falloit encore qu'il eût acquis une connoiffance des hommes & du monde, qu'on n'a pas de fi bonne heure, & fans laquelle le meilleur Poëte ne fçauroit faire que des Comédies médiocres. Le Poëte tragique doit atteindre le dégré de perfection où il eft capable de monter, de meilleure heure que le Poëte comique : legénie & une connoiffance générale du cœur humain, telle que la donnent les premieres études, fuffifent pour faire une Tragédie excellente. Il faut, pour faire une Comédie de même genre, du génie, de l'étude, & de plus avoir vécu longtems avec le

monde. En effet, pour compofer une excell Comédie, il faut fçavoir en quoi confif différence que l'âge, l'éducation & la pro fion mettent entre des perfonnes, dont le ractere naturel eft le même. Il faut fça quelle forme le caractere d'efprit particuli certains hommes, donne aux fentimens c muns à tous les hommes. En un mot, il connoître à fond le genre humain, & fça la langue de toutes les paffions, de tous les a & de toutes les conditions. Dix ans ne font p trop pour apprendre tant de choses.

Il eft naturel que les grands génies atteign le point de leur perfection un peu plus tard les génies moins élevés & moins étendus. grands génies ont plus de chofes à faire les autres; ils font comme ces arbres qui I tent des fruits excellens, & qui dans le Print pouffent à peine quelques feuilles, lorfque autres arbres font déja tous couverts de 1 feuillage. Quintilien, que fa profeffion o geoit d'étudier le caractere des enfans, pa avec un fens merveilleux fur ce qu'on app communément des efprits tardifs, des efprits coces. Si le corps, dit-il, n'eft pas chargé chairs dans l'enfance, il ne fçauroit être bien

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