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que

la religion antique n'avait point de tort, ou n'en avait d'autres que celui de son impuissance; car rien, je crois, ne commence par le mal. Elle avait mis, par exemple, les mystères que vous nommez sous la garde de la plus sévère pudeur; elle chassait du temple jusqu'au plus petit animal mâle, et jusqu'à la peinture même de l'homme; le poète que vous avez cité rappelle lui-même cette loi avec sa gaîté enragée, pour faire ressortir davantage un effroyable contraste. Vous voyez que les intentions primitives ne sauraient être plus claires j'ajoute qu'au sein même de l'erreur, la prière nocturne de la Vestale semblait avoir été imaginée pour faire équilibre, un jour, aux mystères de la bonne déesse : mais le culte vrai devait se distinguer sur ce point, et il n'y a pas manqué. Si la nuit donne de mauvais conseils, comme vous le disiez tout à l'heure, il faut lui rendre justice, elle en donne aussi d'excellents : c'est l'époque des profondes méditations et des sublimes ravissements pour mettre à profit ces élans divins et pour contredire aussi l'influence funeste dont vous parliez, le Christianisme s'est emparé à son tour de la nuit, et l'a consacrée à de saintes cérémonies qu'il anime par une musique austère et de puissants can

tiques. La religion même, dans tout ce qui ne tient point au dogme, est sujette à certains changements que notre pauvre nature rend inévitables; cependant, jusque dans les choses de pure discipline, il y en aura toujours d'invariables; par exemple, il y aura toujours des fêtes qui nous appelleront tous à l'office de la nuit, et toujours il y aura des hommes choisis dont les pieuses voix se feront entendre dans les ténèbres, car le cantique légitime ne doit jamais se taire sur la terre :

Le jour au jour le rappelle,
La nuit l'annonce à la nuit.

LE SÉNATEUR.

Hélas! qui sait si vous n'exprimez pas, dans ce moment du moins, un vœu plutôt qu'une vérité ! Combien le régne de la prière est affaibli, et quels moyens n'a-t-on pas employés pour éteindre sa voix! Notre siècle n'a-t-il pas demandé à quoi servent les gens qui prient? Comment la prière percera-t-elle les ténèbres, lorsqu'à peine il lui est permis de se faire entendre de jour ? Mais je ne veux pas m'égarer dans ces tristes pressentiments. Vous avez dit tout ce qui a pu chapper sur la nuit, sans avoir dit cependant ce que David en a dit; et c'est à quoi je

m'é

voudrais suppléer. Je vous demande à mon tour la permission de m'en tenir à mon idée principale. Plein d'idées qu'il ne tenait d'aucun homme, David ne cesse d'exhorter l'homme à suspendre son sommeil pour prier (1) : il croyait que le silence auguste de la nuit prêtait une force particulière aux saints désirs. J'ai cherché Dieu, dit-il, pendant la nuit, et je n'ai point été trompé (2). Ailleurs il dit: J'ai conversé avec mon coeur pendant la nuit. Je m'exerçais dans cette méditation, et j'interrogeais mon esprit (3). En songeant d'autres fois à certains dangers qui, dans les temps antiques, devaient être plus forts que de nos jours, il disait dans sa conscience victorieuse : Seigneur, je me suis souvenu de ton nom, pendant la nuit, et j'ai gardé ta loi (4). Et sans doute il croyait bien que l'influence de la nuit était l'épreuve des cœurs, puisqu'il ajoute : Tu as éprouvé mon cœur en le visitant la nuit (5).

(1) In noctibus extollite manus vestras in sancta, etc. (Ps. CXXXIII, 2.) passim.

(2) Deum exquisivi manibus nocte, et non sum deceptus. (LXXVI, 3.) (3) Meditatus sum nocte cum corde meo, et exercitabar et scopebam spiritum meum. (LXXVI, 7.)

(4) Memor fui, nocte, nominis tui, Domine, et custodivi legem tuam. (CXVIII, 52.)

(5) Probasti cor meum, et visitasti nocte. (XVI, 3.)

L'air de la nuit ne vaut rien pour l'homme matériel; les animaux nous l'apprennent en s'abritant tous pour dormir. Nos maladies nous l'apprennent en sévissant toutes pendant la nuit. Pourquoi envoyez-vous le matin chez votre ami malade demander comment il a passé la nuit, plutôt que vous n'envoyez demander le soir comment il a passé la journée ? Il faut bien que la nuit ait quelque chose de mauvais. De là vient la nécessité du sommeil qui n'est point fait pour le jour, et qui n'est pas moins nécessaire à l'esprit qu'au corps, car s'ils étaient l'un et l'autre continuellement exposés à l'action de certaines puissances qui les attaquent sans cesse, ni l'un ni l'autre ne pourraient vivre; il faut donc que les actions nuisibles soient suspendues périodiquement, et que tous les deux soient mis pendant ces intervalles sous une influence protectrice. Et comme le corps pendant le sommeil continue ses fonctions vitales, sans que le principe sensible en ait la conscience, les fonctions vitales de l'esprit continuent de même, comme vous pouvez vous en convaincre indépendamment de toute théorie, par une expérience vulgaire, puisque l'homme peut apprendre pendant le sommeil,

et savoir, par exemple, à son réveil, des vers ou l'air d'une chanson qu'il ne savait pas en s'endormant (1). Mais pour que l'analogie fût parfaite, il fallait encore que le principe intelligent n'eût de même aucune conscience de ce qui se passe en lui pendant ce temps; ou du moins il fallait qu'il ne lui en restât aucune mémoire, ce qui revient au même pour l'ordre établi. De la croyance universelle que l'homme se trouve alors sous une influence bonne et préservatrice naquit l'autre croyance, pareillement universelle, que le temps du sommeil est favorable aux communications divines. Cette opinion, de quelque manière qu'elle doive être entendue, s'appuie incontestablement sur l'Ecriture sainte qui présente un grand nombre d'exemples dans ce genre. Nous voyons de plus que les fausses religions ont toujours professé la même croyance car l'erreur, en tournant le dos à sa rivale, ne cesse néanmoins d'en répéter

(1) L'interlocuteur aurait pu ajouter que l'homme possède de plus le pouvoir de s'éveiller à peu près sûrement à l'heure qu'il s'est prescrite à lui-même avant de s'endormir; phénomène aussi constant qu'inexplicable. Le sommeil est un des grands mystères de l'homme. Celui qui le comprendrait aurait, suivant les apparences, pénétré tous les autres,

(Note de l'éditeur.)

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