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son génie échappe à ce cercle rétréci; toujours il généralise: comme il voit tout dans l'immense unité de la puissance qui l'inspire, toutes ses pensées et tous ses sentiments se tournent en prières : il n'a pas une ligne qui n'appartienne à tous les temps et à tous les hommes. Jamais il n'a besoin de l'indulgence qui permet l'obscurité à l'enthousiasme; et cependant, lorsque l'Aigle du Cédron prend son vol vers les nues, votre œil pourra mesurer au-dessous de lui plus d'air qu'Horace n'en voyait jadis sous le Cygne de Dircé (1). Tantôt il se laisse pénétrer par l'idée de la présence de Dieu, et les expressions les plus magnifiques se présentent en foule à son esprit: Où me cacher, où fuir tes regards pénétrants? Si j'emprunte les ailes de l'aurore et que je m'envole jusqu'aux bornes de l'Océan, c'est ta main même qui m'y conduit et jy rencontrerai ton pouvoir. Si je m'élance dans les cieux, t'y voilà; si je m'enfonce dans l'abime, te voilà encore (2). Tantôt il jette les yeux sur la nature, et ses transports nous apprennent de quelle manière

(1) Multa dircæum levat aura Cycnum, etc. (Hor.)

(2) Ps. CXXXVIII, 7, 9, 10, 8.

nous devons la contempler.- Seigneur, ditil, vous m'avez inondé de joie par le spectacle de vos ouvrages; je serai ravi en chantant les œuvres de vos mains. Que vos ouvrages sont grands, ó Seigneur ! vos desseins sont des abîmes; mais l'aveugle ne voit pas ces merveilles et l'insensé ne les comprend pas (1).

S'il descend aux phénomènes particuliers, quelle abondance d'images! quelle richesse d'expressions! Voyez avec quelle vigueur et quelle grâce il exprime les noces de la terre et de l'élément humide: Tu visites la terre dans ton amour et tu la combles de richesses! Fleuve du Seigneur, surmonte tes rivages! prépare la nourriture de l'homme, c'est l'ordre que tu as reçu (2); inonde les sillons, va chercher les germes des plantes, et la terre, pénétrée de gouttes génératrices, tressaillera de fécondité (3). Seigneur, tu ceindras l'année d'une couronne de bénédictions; tes nuées distilleront l'abondance (4); des îles de verdure embelliront le désert (5); les collines

(1) Ps. XCI, 5, 6, 7.

(2) Quoniam ita est præparatio ejus. (LXIV, 10.)

(3) In stillicidiis ejus lætabitur germinans. Je n'ai pas l'idée d'une plus belle expression.

(4) Nubes tue stillabunt pinguedinem. (12. Hebr.)

(5) Pinguescent speciosa deserti. (15.)

seront environnées d'allégresse; les épis se presseront dans les vallées; les troupeaux se couvriront de riches toisons; tous les êtres pousseront un cri de joie. Oui! tous diront une hymne à ta gloire (1).

Mais c'est dans un ordre plus relevé qu'il faut l'entendre expliquer les merveilles de ce culte intérieur qui ne pouvait de son temps être apperçu que par l'inspiration. L'amour divin qui l'embrase prend chez lui un caractère prophétique; il devance les siècles, et déjà il appartient à la loi de grâce. Comme François de Sales ou Fénélon, il découvre dans le cœur de l'homme ces degrés mystérieux (2) qui, de vertus en vertus, nous mènent jusqu'au Dieu de tous les dieux (3). Il est inépuisable lorsqu'il exalte la douceur et l'excellence de la loi divine. Cette loi est une lampe pour son pied mal assuré, une lumière, un astre, qui l'éclaire dans les sentiers ténébreux de la vertu (4); elle est vraie, elle est la vérité même : elle porte sa justification en elle-même; elle est plus

(1) Clamabunt, etenim hymnum dicent. (14.)

(2) Ascensiones in corde suo disposuit. (LXXXIII, 6.)

(3) Ibunt de virtute in virtutem, videbitur Deus deorum in Sion. (8). (4) CXVIII, 105.

douce le miel,

que

plus désirable que Lor et les pierres précieuses; et ceux qui lui sont fidèles y trouveront une récompense sans bornes (1); il la méditera jour et nuit (2) ; il cachera les oracles de Dieu dans son cœur afin de ne le point offenser (3) ; il s'écrie : Si tu dilates mon cœur, je courrai dans la voie de tes commandements (4).

Quelquefois le sentiment qui l'oppresse intercepte sa respiration. Un verbe, qui s'avançait pour exprimer la pensée du prophète, s'arrête sur ses lèvres et retombe sur son cœur; mais la piété le comprend lorsqu'il s'écrie: TES AUTELS, Ô DIEU DES ESPRITS (5)!

D'autres fois on l'entend deviner en quelques mots tout le Christianisme. Apprendsmoi, dit-il, à faire ta volonté, parce que tu es mon Dieu (6). Quel philosophe de l'antiquité a jamais su que la vertu n'est que l'obéissance à Dieu, parce qu'il est Dieu, et que le mérite dépend exclusivement de cette direction soumise de la pensée ?

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Il connaissait bien la loi terrible de notre nature viciée : il savait que l'homme est conçu dans l'iniquité, et révolté dès le sein de sa mère contre la loi divine (1). Aussi-bien que le grand Apôtre, il savait que l'homme est un esclave vendu à l'iniquité qui le tient sous son joug, de manière qu'il ne peut y avoir de liberté que là où se trouve l'esprit de Dieu (2). Il s'écrie donc avec une justesse véritablement chrétienne : C'est par toi que je serai arraché à la tentation; appuyé sur son bras je franchirai le mur (3): ce mur de séparation élevé dès l'origine entre l'homme et le Créateur, ce mur qu'il faut absolument franchir, puisqu'il ne peut être renversé. Et lorsqu'il dit à Dieu : Agis avec moi (4), ne confesse-t-il pas, n'enseigne-t-il pas toute la vérité ? D'une part rien sans nous, et de l'autre rien sans toi. Que si l'homme ose témérairement ne s'appuyer que sur lui-même, la vengeance est toute prête: Il sera livré

(1) In iniquitatibus conceptus sum, et in peccatis concepit me mater mea. (L, 7.) Alienati sunt peccatores à vulvá: erraverunt ab utero. (LVII, 4.)

(2) Rom. XII, 14. II, Cor. III, 19.

(3) In Deo meo transgrediar murum. (Ps. XVII, 30.)

(4) Fac mecum. (LXXXV, 17.)

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