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deux partis se heurtent dans une révolution, si l'on voit tomber d'un côté des victimes précieuses, on peut gager que ce parti finira par l'emporter, malgré toutes les apparences contraires.

Si l'histoire des familles était connue comme celle des nations, elle fournirait une foule d'observations du même genre: on pourrait fort bien découvrir, par exemple, que les familles les plus durables sont celles qui ont perdu le plus d'individus à la guerre. Un ancien aurait dit : « A la terre, à l'enfer, ces <<< victimes suffisent (1). » Des hommes plus instruits pourraient dire : Le juste qui donne sa vie en sacrifice verra une longue postérité (2).

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Et la guerre, sujet inépuisable de réflexions, montrerait encore la même vérité, sous une autre face; les annales de tous les peuples n'ayant qu'un cri pour nous montrer comment ce fléau terrible sévit toujours avec une violence rigoureusement proportionnelle aux vices des nations, de manière que, lorsqu'il

(1) Sufficiunt Dis infernis terræque parenti. (Juv. Sat. vin, (2) Qui iniquitatem non fecerit.... si posuerit pro peccato animam suam, videbit semen longævum. (Is. LIII, 9, 10.)

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y a débordement de crimes, il y a toujours débordement de sang. Sine sanguine non fit remissio (1)

La rédemption, comme on l'a dit dans les Entretiens, est une idée universelle. Toujours et partout on a cru que l'innocent pouvait payer pour le coupable (utique si et provocaverit); mais le Christianisme a rectifié cette idée et mille autres qui, même dans leur état négatif, lui avaient rendu d'avance le témoignage le plus décisif. Sous l'empire de cette loi divine, le juste (qui ne croit jamais l'être) essaie cependant de s'approcher de son modèle par le côté douloureux. Il s'examine, il se purifie, il fait sur lui-même des efforts qui semblent passer l'humanité, pour obtenir enfin la grâce de pouvoir restituer ce qu'il n'a pas volé (2).

Mais le Christianime, en certifiant le dogme, ne l'explique point, du moins publiquement; et nous voyons que les racines secrètes de cette théorie occupèrent beaucoup les premiers initiés du Christianisme.

Origène surtout doit être entendu sur ce

(1) Sans effusion de sang, nulle remission de péchés. (Hebr. IX, 22.) (2) Quæ non rapui tunc exsolvebam. (Ps. LVIII, 8.)

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sujet intéressant, qu'il avait beaucoup médité. C'était son opinion bien connue : « Que le << sang répandu sur le Calvaire n'avait pas « été seulement utile aux hommes, mais << aux anges, aux astres, et à tous les êtres « créés (1); ce qui ne paraîtra pas surpre<< nant à celui qui se rappellera ce que saint « Paul a dit: Qu'il a plu à Dieu de réconcilier toutes choses par celui qui est le principe de la vie, et le premier-né entre « les morts, ayant pacifié par le sang qu'il

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a répandu sur la croix, tant ce qui est en « la terre que ce qui est au ciel (2). » Et si toutes les créatures gémissent (3), suivant la profonde doctrine du même apôtre, pour

(1) Sequitur placitum aliud Origenis de morte Christi non hominibus solùm utili, sed angelis etiam et sideribus ac rebus creatis quibuscumque. (P.D. Huetti Origen., lib. 1, cap. II, quæst. 3, no 20. — Orig. opp. tom. IV, p. 149.)

(2) Coloss. I, 20. Eqhes. I, 10.-Paley, dans ses Horæ Paulina (London, 1790, in-8°, p. 212.), observe que ces deux textes sont très remarquables, vu que cette réunion des choses divines et humaines est un sentiment très singulier et qu'on ne trouvera point ailleurs que dans ces deux épîtres: A very singular sentiment and found no where else but in these two epistles. Si ce mot ailleurs se rapporte aux épîtres canoniques, l'assertion n'est pas exacte, puisque ce sentiment très singulier se retrouve expressément dans l'épître aux Hébreux, IX, 25. Si le mot a toute sa latitude, on voit que Paley s'est trompé encore davantage.

(3) Rom., VIII, 22.

quoi ne devaient-elles pas être toutes consolées? Le grand et saint adversaire d'Origène nous atteste qu'au commencement du Ve siècle de l'Eglise, c'était encore une opinion reçue que la rédemption appartenait au ciel autant qu'à la terre (1), et saint Chrysostôme ne doutait pas que le même sacrifice, continué jusqu'à la fin des temps, et célébré chaque jour par les ministres légitimes, n'opérât de même pour tout l'univers (2).

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C'est dans cette immense latitude qu'Origène envisageait l'effet du grand sacrifice. << Mais que cette théorie, dit-il, tienne à des mystères célestes, c'est ce que l'apôtre <<< nous déclare lui-même lorsqu'il nous dit: Qu'il était nécessaire que ce qui n'était que figure des choses célestes, fût purifié par « le sang des animaux; mais que les céles

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(1) Crux Salvatoris non solùm eu quæ in terrâ, sed etiam ea quæ in cælis erant pacasse perhibentur. ( D. Hieron. Epist. LIX, ad Avitum, C. I, v. 22.)

(2) Nous sacrifions pour le bien de la terre, de la mer et de tout l'univers. (Saint Chrysost. Hom. LXX, in Joh.) Et saint François de Sales ayant dit «< que Jésus-Christ avait souffert principalement pour les hommes, et en partie pour les anges; » on voit (sans examiner précisément ce qu'il a voulu dire) qu'il ne bornait point l'effet de la rédemption aux limites de notre planète. (Voy. les Lettres de saint François de Sales, liv. V, p. 58-39.)

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<< tes mêmes le fussent par des victimes plus « excellentes que les premières (1). Con

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templez l'expiation de tout le monde, c'est« à-dire des régions célestes, terrestres et «< inférieures, et voyez de combien de vic<< times elles avaient besoin!... Mais l'agneau <<< seul a pu ôter les péchés de tout le monde, « etc., etc. (2).

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Au reste, quoique Origène ait été un grand auteur, un grand homme, et l'un des plus sublimes théologiens (3) qui ait jamais illustré l'Eglise, je n'entends pas cependant défendre chaque ligne de ses écrits ; c'est assez pour moi de chanter avec l'Eglise romaine :

Et la terre et la mer, et les astres eux-mêmes,
Tous les êtres enfin sont lavés par ce sang (4).

Sur quoi je ne puis assez m'étonner des scrupules étranges de certains théologiens qui se refusent à l'hypothèse de la pluralité des mondes, de peur qu'elle n'ébranle le

(1) Hebr. IX, 23.

(2) Orig. Hom. XXIX, in Num.

(3) Bossuet, Præf. sur l'explication de l'Apoc., num, XXVH, XXIX.

(4)

Terra, pontus, astra, mundus,

Hoc lavantur sanguine (flumine.)

(Hymne des Laudes du dimanche de la passion)

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