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On ne peut lire d'ailleurs sans étonnement ce mot d'ENFIN employé par Voltaire, comme si les sacrifices humains n'avaient été que le résultat tardif des sacrifices d'animaux, antérieurement usités depuis des siècles rien n'est plus faux. Toujours et partout où le vrai Dieu n'a pas été connu et adoré, on a immolé l'homme; les plus anciens monuments de l'histoire l'attestent, et la fable même y joint son témoignage, qui ne doit pas, à beaucoup près, être toujours rejeté. Or, pour expliquer ce grand phénomène, il ne suffit pas tout à fait de recourir aux couteaux de cuisine et aux grandes fourchettes.

Le morceau sur l'inquisition, qui termine la note, semble écrit dans un accès de délire. Quoi donc ! l'exécution légale d'un petit nombre d'hommes, ordonnée par un tribunal légitime, en vertu d'une loi antérieure solennellement promulguée, et dont chaque victime était parfaitement libre d'éviter les dispositions, cette exécution, dis-je, est cent fois plus abominable que le forfait horrible d'un père et d'une mère qui portaient leur enfant sur les bras enflammés de Moloch! Quel atroce délire! quel oubli de toute raison, de toute justice, de toute pudeur! La

rage anti-religieuse le transporte au point qu'à la fin de cette belle tirade il ne sait exactement plus ce qu'il dit. Nous avons, dit-il, substitué les bourreaux aux bouchers. Il croyait donc n'avoir parlé que des sacrifices d'animaux, et il oubliait la phrase qu'il venait d'écrire sur les sacrifices d'hommes: autrement, que signifie cette opposition des bouchers aux bourreaux? Les prêtres de l'antiquité, qui égorgeaient leurs semblables avec un fer sacré, étaient-ils donc moins bourreaux que les juges modernes qui les envoient à la mort en vertu d'une loi ?

Mais revenons au sujet principal: il n'y a rien de plus faible, comme on voit, que la raison alléguée par Voltaire pour expliquer l'origine des sacrifices humains. Cette simple conscience qu'on appelle bon sens suffit pour démontrer qu'il n'y a, dans cette explication, pas l'ombre de sagacité, ni de véritable connaissance de l'homme et de l'antiquité.

Ecoutons enfin Condillac, et voyons comment il s'y est pris pour expliquer l'origine des sacrifices humains à son prétendu ÉLÈVE, qui, pour le bonheur d'un peuple, ne voulut jamais se laisser élever.

« On ne se contenta pas, dit-il, d'adres

«ser aux dieux ses prières et ses vœux; « en crut devoir leur offrir les choses qu'on « imagina leur être agréables... des fruits, « des animaux, et DES HOMMES................. (1). »

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Je me garderai bien de dire que ce morceau est digne d'un enfant; car il n'y a, Dieu merci, aucun enfant assez mauvais pour l'écrire. Quelle exécrable légèreté! Quel mépris de notre malheureuse espèce ! Quelle rancune accusatrice contre son instinct le plus naturel et le plus sacré ! Il m'est impossible d'exprimer à quel point Condillac révolte ici dans moi la conscience et le sentiment : c'est un des traits les plus odieux de cet odieux

écrivain.

(1) OEuvres de Condillac; Paris, 1798, in-8°, tom. I, Hist. anc., ch. xu, p. 98-99.

CHAPITRE III.

THÉORIE CHRÉTIENNE DES SACRIFICES.

QUELLE vérité ne se trouve pas dans le Paganisme?

Il est bien vrai qu'il y a plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, tant dans le ciel que sur la terre (1), et que nous devons aspirer à l'amitié et à la faveur de ces dieux (2).

Mais il est vrai aussi qu'il n'y a qu'un seul Jupiter, qui est le dieu suprême, le dieu qui est le premier (3), qui est le très grand (4); la nature meilleure qui surpasse toutes les

(1) Car, encore qu'il y en ait qui soient appeles dieux, tant dans le ciel que sur la terre, et qu'ainsi il y ait plusieurs dieux et plusieurs seigneurs, cependant, etc., etc. (Saint Paul aux Corinthiens, I. c. VIII, 5, 6; II. Thess. II, 4.)

(2) Saint Augustin, De Civ. Dei, VIII,

25.

(3) Ad cultum divinitatis obeundum, satis est nobis Deus primus. (Arnob., adv. gent., III.)

(4) Deo qui est maximus. (Inscript. sur une lampe antique du Musée de Passeri. Antichità di Ercolano. Napoli, 17 vol. in-fol., t. VIII p. 264.)

autres natures, même divines (1); le quoi que ce soit qui n'a rien au-dessus de lui (2);* le dieu non-seulement Dieu, mais TOUT A FAIT DIEU (3); le moteur de l'univers (4); le père, le roi, l'empereur (5); le dieu des dieux et des hommes (6); le père tout-puissant (7).

Il est bien vrai encore que Jupiter ne saurait être adoré convenablement qu'avec Pallas et Junon; le culte de ces trois puissances étant de sa nature indivisible (8).

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Il est bien vrai que si nous raisonnons sagement sur le Dieu, chef des choses présentes

(1) Melior natura. ( Ovid., Métam. I, 21. ) Numen ubi est, ubi Di?) (ld. Her. XII, 119.) Ipós Atos nxi Oɛóv. ( Demost., pro ¡Cor. Οι Θεοί δέ εἰσονται καὶ τὸ Δαιμόνιον (Id. de falsa leg. 68.) (2) Deum summum, illud quidquid est summum. (Plin. Hist. nat. II, 4.)

(3) Principem et MAXIMÈ DEUM. (Lact. etlin. ad Stat. Theb., IV, 516, cité dans la Biblioth. lat. de Fabricius.)

(4) Rector orbis terrarum. (Sen. ap. Lact., div. just. 1, 4.) (5) Imperator divúm atque hominum. (Plaut., in Rud., prol., v., 11.) (6) Deorum omnium Deus. (Sen., ubi suprà.) Oɛós ö Osão Z:vs. Deus deorum Jupiter. (Plat. in Crit., opp., tom. X, pag. 66.) Deus deorum. (Ps. LXXXIII 7.) Deus noster præ omnibus diis. ( Ibid. CXXXIV, 5.) Deus magnus super omnes deos. ( Ibid. XCIV, 3.) 'Eni Não! Oεós (Plat.. Orig., passim.)

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(7) Pater omnipotens. (Virg., Æn., I, 65, X, 2', etc.)''

(8) Jupiter sine contubernio conjugis filiæque coli non solet. (Lact., div. instit.)

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