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«<< dieux une partie de leur nourriture, la « chair des animaux dut s'y trouver com

CC.

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prise, et le sacrifice, ajoute-t-il, envisagé de « cette manière, n'a rien de choquant (1). Ces derniers mots, pour l'observer en passant, prouvent que cet habile homme voyait confusément dans l'idée générale du sacrifice quelque chose de plus profond que la simple offrande, et que cet autre point de vue le choquait.

Il ne s'agit point en effet uniquement de présent, d'offrande, de prémices, en un mot, d'un acte simple d'hommage et de reconnaissance, rendu, s'il est permis de s'exprimer

(1) Apparet ( religiosum hunc ritum) peperisse sacrificiorum morem; quippe quæ ex epulis domesticis ortum duxerunt, quum cibi vescendi pars resecta pro primitiis offerretur diis in focum conjicienda : hoc est rò áráρxε nec est quòd HIC mos religiosus discipliceat. (Heyne,

ad loc.)

Cette explication de Heyne ne me surprend pas; car l'école protestante en général n'aime point les idées qui sortent du cercle matériel: elle s'en défie sans distinction, et semble les condamneren masse comme vaines et superstitieuses. J'avoue sans difficulté qué sa doctrine peut nous être utile à nous-mêmes, jamais à la vérité comme aliment, mais quelquefois comme remède. Dans ce cas, néanmoins, je la crois certainement fausse, et je m'étonne que Bergier l'ait adoptée. ( Traite hist. et dogm. de la vraie Relig., in-8°, tom. II, p. 303. 304'; tom. VI, p. 296, 297, d'après Porphyre, de Abstin., lib. II, cité, ibid.) Ce savant apologiste voyait très bien : il semble seulement qu'ici il n'a pas regarde.

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ainsi, à la suzeraineté divine; car les hommes,

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dans cette supposition, auraient envoyé cherher à la boucherie les chairs qui devaient être offertes sur les autels : ils se seraient borJeg nés à répéter en public, public, et avec la pompe convenable, cette même cérémonie qui ouVrait leur repas domestiques.

Il s'agit de sang;'il s'agit de l'immolation proprement dite, il s'agit d'expliquer comment les hommes de tous les temps et de tous les lieux avaient pu s'accorder à croire qu'il y avait, non pas dans l'offrande des chairs (il faut bien observer ceci), mais dans l'effusion du sang, une vertu expiatrice utile à l'homme voilà le problème, et il ne cède pas au premier coup d'œil (1).

Non-seulement les sacrifices ne furent point une, simple extension des aparques, ou de

(1) Les Perses, au rapport de Strabon, se divisaient la chair des victimes, et n'en réservaient rien pour les dieux (Tois Déais ovdev árovεipavres pépos) Car, disaient-ils, Dieu n'a besoin que de l'âme de la victime (c'est-à-dire du sang). Ts yàp ¥IXH≥, pasi του ἱερείου δεῖθας τὸν θεὸν ἄλλου δὲ ὀνδενὸς. Strabo, lib. XI, p. 695, cité dans la dissertation de Cudwort De verá notione cœnæ Domini, cap. I, no vui, à la fin de son livre célèbre: Systema intellec ́| tuale universum. Ce texte curieux réfute directement les idées de Heyne, et se trouve parfaitement d'accord avec les théories hébraïques, suivant lesquelles l'effusion du sang constitue l'essence du sacrifice. (Ibid. cap. II, n°iv.)

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l'offrande des prémices brûlés en commençant les repas; mais ces aparques elles-mêmes ne furent très évidemment que des espèces de sacrifices diminués; comme nous pourrions transporter dans nos maisons certaines cérémonies religieuses, exécutées avec une pompe publique dans nos églises. On en demeurera d'accord pour peu qu'on se donne la peine d'y réfléchir.

Hume, dans sa vilaine Histoire naturelle de la religion, adopte cette même idée de Heyne, et il l'envenime à sa manière : » Un

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sacrifice, dit-il, est considéré comme un présent: or, pour donner une chose à Dieu, il faut la détruire pour l'homme. S'agit-il d'un solide, on le brûle; d'un liquide, on le répand; d'un animal; on le << tue. L'homme, faute d'un meilleur moyen,' << rêve qu'en se faisant du tort il fait du bien << à Dieu; il croit au moins prouver de cette << manière la sincérité des sentiments d'a<<<mour et d'adoration dont il est animé ; « et c'est ainsi que notre dévotion mercenaire cse flatte de tromper Dieu après s'être trompée elle-même (1).

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(1) Hume's Essays and Treatises on several subjects. -- The natural Hystory of religion. Sect. Ix; London, 1758, iu-4°, p. 511.

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Mais toute cette acrimonie n'explique rien: elle rend même le problème plus difficile. Voltaire n'a pas manqué de s'exercer aussi sur le même sujet; en prenant seulement l'idée genérale du sacrifice comme une donnée, il s'occupe en particulier des sacrifices humains.

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« On ne voyait, dit-il, dans les temples << que des étaux, des broches, des grils << des couteaux de cuisine, de longues « fourchettes de fer, des cuillers, ou des « cuillères à pot (1), de grandes jarres pour << mettre la graisse, et tout ce qui peut inspirer le mépris et l'horreur. Rien ne con<< tribua plus à perpétuer cette dureté et cette « atrocité de moeurs, qui porta' enfin les <<< hommes à sacrifier d'autres hommes, et

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3.

On peut remarquer dans ce morceau, considéré comme une formule générale, l'un des caractères les plus frappants de l'impiété : c'est le népris de l'homme. Fille de l'orgueil, mère de l'orgueil, toujours ivre d'orgueil, et ne respirant que l'orgueil, l'impiété ne cesse cependant d'outrager la nature humaine, de la décourager, de la dégrader, d'envisager tout ce que l'homme a jamais fait et pensé, de l'envisager dis-je, de la manière la plus humiliante pour lui, la plus propre à l'avilir et à le désespérer : et c'est ainsi que, sans y faire attention, elle met dans le jour le plus resplendissant le caractère opposé de la religion, qui emploie sans relâche l'humilité pour élever l'homme jusqu'à

Dieu.

(1) Superbe observation, et précieuse surtout par l'à propos.

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jusqu'à leurs propres enfants. Mais les << sacrifices de l'inquisition dont nous avons

<< tant parlé ont été cent fois plus abomina«bles nous avons substitué des bourreaux « aux bouchers (1). »

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Voltaire sans doute n'avait jamais mis le pied dans un temple antique; la gravure même ne lui avait jamais fait connaître ces sortes d'édifices, s'il croyait que le tem ple, proprement dit, présentait le spectacle d'une boucherie et d'une cuisine. D'ailleurs, il ne faisait pas attention que ces grils, ces broches, ces longues fourchettes, ces cuillers ou ces cuillères, et tant d'autres instruments aussi terribles, sont tout aussi à la mode qu'autrefois; sans que jamais aucune mèr de famille, et pas même les femmes des bouchers et des cuisiniers, soient le moins du monde tentées de mettre leurs enfants à la broche ou de les jeter dans la marmite. Chacun sent que cette espèce de dureté qui résulte de l'habitude de verser le sang des animaux, et qui peut tout au plus faciliter tel ou tel crime particulier, ne conduira jamais à l'immolation systématique de l'homme.

(1) Voyez la note xuR sur la tragédie décrépite de Minos.

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